Après la BEA considérée de longue date comme la « banque de Sonatrach » voila que le gouvernement algérien décide en quelques mois de transformer quasiment la CNEP en «banque de Sonelgaz» tandis que le CPA est appelé officiellement à devenir « une banque du logement».
A ce tableau, il faut ajouter des banques privées qui s’intéressent de plus en plus au financement du commerce extérieur et des patrons privés qui réclament à cor et à cris la création d’une « banque des PME » . C ’est un grand retour du concept ,et de la pratique, de la spécialisation bancaire en vogue dans les années 70 qui risque de transformer durablement le paysage bancaire algérien en l’éloignant de tous les standards internationaux.
La semaine dernière le ministre de l’habitat et le DG du CPA ont annoncé triomphalement « La plus grosse opération de financement par concours bancaire dans l’histoire de l’Algérie et l’une des plus importantes à l’échelle mondiale » (sic). La banque du boulevard Amirouche va , à ce titre ,prendre la tête de financements syndiqués assurés par l’ensemble des banques d’Etat au profit de la relance des programmes AADL et de logements promotionnels. Au total, 1 200 milliards de dinars (soit 15 milliards de dollars) seront versés par l’ensemble des banques publiques algériennes pour mener à bien ces projets immobiliers. . Cette décision est commentée avec enthousiasme par le ministre de l’Habitat et de l’urbanisme, Abdelmadjid Tebboune, pour qui « L’Algérie vient, grâce à ces conventions, de franchir une étape extrêmement importante dans la reconversion de l’économie nationale grâce à la nouvelle stratégie du secteur de l’habitat qui vise à alléger les charges sur le Trésor en impliquant les banques publiques dans la réalisation de ses projets».
Un enthousiasme pas forcement partagé par la plupart des spécialistes qui observent avec perplexité les transformations récentes , et massives, de la structure du portefeuille des banques publiques au profit du financement des infrastructures économiques et sociales tandis que l’investissement productif peine encore à décoller.
Quand la CNEP devient la «banque de Sonelgaz»
Le CPA n’est en effet pas la seule banque concernée par cette nouvelle orientation .Il y a moins d’un mois c’est un communiqué de la CNEP passé un peu inaperçu dans les médias nationaux qui annonçait que cette dernière a été récemment appelée au chevet de Sonelgaz dont elle finance depuis la fin 2011 les investissements en mobilisant ses excédents colossaux. Les crédits à l’investissement accordés par la CNEP ont atteint 343 milliards de DA ( plus de 4 milliards de dollars) en 2012.A elle seule SONELGAZ a bénéficié l’année dernière de 312 milliards de dinars soit près de 90% des crédits à l’investissement octroyés par la CNEP en 2012. En comparaison , et pour donner une idée de l’importance de cette décision , la « Banque de l’habitat » n’a accordé, en dépit d’une progression très sensible de son activité dans ce domaine, qu’un peu plus de 40 milliards de dinars de crédits immobiliers en 2012.
Que se passe-t-il donc dans le secteur bancaire algérien ?
Pour comprendre les transformations en cours dans le secteur bancaire , il faut remonter quelques années en arrière. L’excès structurel de liquidité des banques algériennes est une tendance qui s’est imposée depuis un peu plus d’une dizaine d’année. Dans une allocution prononcée récemment devant les banquiers centraux africains , Mohamed Laksaci la faisait remonter à l’année 2002. Cette surliquidité est alimentée, d’une part, par l’importance des dépôts du secteur des hydrocarbures en raison des prix élevés du baril . Elle est, d’autre part, le résultat de l’augmentation de la collecte de l’épargne des particuliers, qui se développe à un taux moyen proche des 20% au cours des dernières années, stimulée à la fois par les injections de revenus des plans de relance publics et par une bancarisation de l’économie en progrès rapide.
Les crédits à l’économie ne suivent pas
Face à la progression des ressources des banques , les crédits à l’économie ne parviennent pas à tenir le rythme , même si des progrès en matière de crédits à l’économie ont été enregistrés. Ces crédits ont augmenté de 15 % en 2012 contre 14% en 2011.La persistance de cette situation tout au long de la décennie écoulée est la traduction d’une véritable crise de l’investissement productif. Elle est devenue un véritable casse tête pour les pouvoirs publics qui ont testé , successivement et à un rythme qui s’est accéléré au cours des dernières années, différentes solutions .L’encouragement des crédits en direction des PME a été l’un d’entre eux ,dès le milieu de la décennie écoulée, marqué notamment par la mise en place des fonds de garantie qui peinent cependant à décoller véritablement en dépit de dotations financières importantes .Un retard à l’allumage qui est à l’origine des revendications récentes des patrons algériens en faveur de la création d’une « banque des PME ».Encore une banque spécialisée……
Le boom de la micro entreprise
En attendant le développement du chantier de longue haleine du crédit aux PME. l’action des pouvoirs publics algériens en vue de résorber les surliquidités du secteur bancaire a pris au cours des dernières années des formes inédites et spectaculaires. C’est ainsi que depuis le début de 2011 , l’Etat a donné instruction aux banques publiques de miser massivement sur la micro entreprise .Les résultats ont été au rendez vous et dès 2011 ce sont plus de 90 000 micro entreprises qui ont été créées. Des chiffres rendus publics récemment indiquent que le cap des 100 000 micro entreprises a été franchi largement en 2012.Le coût de ces mesures , ,qui n’ont pas encore fait l’objet d’un chiffrage précis , est estimé à environ 5 milliards de dollars par an. Il est en passe de modifier de façon significative la structure du portefeuille des banques publiques qui assurent 70% du financement du dispositif.
Des risques importants
Les décisions les plus lourdes de conséquences financières ont cependant été prises dans une période encore plus récente. Depuis la fin de l’année 2011 , en vue d’ utiliser leurs ressources financières excédentaires ,les banques commerciales publiques sont en effet sollicitées massivement par l’Etat ,qui est leur actionnaire unique, pour financer les investissements réalisés dans les infrastructures économiques et sociales, en lieu et place du Trésor public, qui assurait encore presque exclusivement ce rôle jusqu’à une période récente. D’où les dernières décisions concernant la CNEP et le CPA mais qui affectent en réalité l’ensemble des banques publiques à travers la pratique des « crédits syndiqués » qui ont mobilisés au total l’équivalent de 8 milliards de dollars en 2012.
Aux yeux de beaucoup de spécialistes , les évolutions récentes du secteur bancaire algérien sont porteuses de risques importants pour la structure du portefeuille des banques publiques et leur solidité financière. Elles risquent également d’accentuer le dualisme existant entre banques publiques et privées.
Banques universelles ou banques spécialisées
Les orientations récentes des autorités financières algériennes tournent en effet le dos à ce qui était voici encore quelques mois le credo de toutes les banques publiques : la « banque universelle » développant à la fois ses activités en direction des entreprises , tous secteurs confondus , des professions libérales ou encore des particuliers .C’était devenu le programme et la stratégie affichée par les banques publiques algériennes depuis plus d’une décennie. A l’image de toutes les grandes banques internationales , il s’agissait d’élargir leurs domaines de compétence, renforcer leur professionnalisme , accroître leur rentabilité et diviser leurs risques. Aujourd’hui le changement de décor est complet. La concentration des crédits accordés par certaines banques publiques au profit d’un seul secteur ,voire même d’une seule entreprise, risque de se révéler à l’avenir un facteur de fragilité qui semble ignorer les règles prudentielles les plus élémentaires….
Vers une accentuation du dualisme entre banques publiques et banques privées
Le risque de renforcement du dualisme entre des banques privées très fortement bénéficiaires et des banques publiques fragilisées par les contraintes imposées par l’Etat est également réel. Les dernières années ont surtout été marquées par une accentuation du dualisme entre les deux secteurs. Pour l’essentiel , les décisions gouvernementales concernant la généralisation du crédit documentaire ont constitué une forte incitation au renforcement de la spécialisation des banques privées, dont 70% des engagements sont constitués de crédits à court terme ,dans un financement du commerce extérieur devenu extraordinairement rentable.
De leur coté, les banques publiques , dont plus des deux tiers des engagements sont déjà des crédits à moyen et long terme ,ont été simultanément invitées à supporter seules le poids des décisions récentes de financement massif de la micro entreprise ou de financement des infrastructures économiques et sociales. Avec les risques que cela comporte inévitablement pour le recouvrement futur de leurs créances et leur santé financière…. Le dernier projet de réforme en date concerne la création d’une banque spécialisée dans le domaine du logement . En décembre dernier, le ministre de l’Habitat, M. Abdelmadjid Tebboune, annonçait que le gouvernement a décidé de confier cette tâche au CPA, encore lui , ajoutant que le choix de cette institution financière était motivé par la «grande expérience» de celle-ci dans la gestion des fonds et crédits destinés au secteur . M. Tebboune affirmait que le CPA devra assumer le rôle de «banque du logement», précisant, qu’il prendra en charge «seul» cette opération. Au sein de nombreuses banques du secteur public comme du secteur privé , qui ont fait du crédit immobilier l’une de leurs priorités, et tout spécialement à la CNEP , on nous confirme que les déclarations des officiels algériens « ont fait mal » et provoqué une évidente perplexité. Aux dernières nouvelles , le projet initialement très radical de M. Tebboune de concentrer l’ensemble des aides de l’Etat au secteur immobilier au sein d’un seul établissement bancaire pour des raisons d’efficacité et de lisibilité n’a pas été approuvé par le gouvernement.