Lundi dernier, le gouverneur de la Banque d’Algérie, M.Mohamed Laksaci, présentait, devant la presse et les dirigeants des banques, les grandes tendances financières de l’année écoulée : « La progression des réserves de change et celle des crédits à l’économie constituent les points forts de l’année 2012 », a résumé M. Laksaci. Avec 190 milliards de dollars de réserves de change, soit 39 mois d’importations, l’Algérie « récolte le fruit de sa gestion macroéconomique prudente des surcroîts de ressources financières », s’est-il encore félicité.
Il n’y a pourtant pas vraiment de raisons de se réjouir. Ce que ne dit pas M.Laksaci c’est qu’en matière de paiements extérieurs, les performances de l’Algérie en 2012 sont au moins décevantes et éventuellement inquiétantes.
Décevantes d’abord, parce que l’on est très loin des 205 milliards de dollars de réserves à fin 2012 évoquées par les dernières prévisions du Fonds monétaire international. Les raisons de cette relative contre performance sont multiples. Il s’agit d’abord de recettes d’exportations en baisse sensible non pas à cause de la baisse des prix du baril mais à cause de la réduction des volumes d’hydrocarbures exportés. Comme de leur côté les importations sont encore en hausse de prés de 8%, c’est l’excédent commercial qui s’est réduit sensiblement l’année dernière. Si on ajoute des importations de services qui sont en pleine explosion et des exportations de capitaux qui ne cessent de gonfler, principalement à cause des transferts réalisés par les associés de Sonatrach, le solde de la balance des paiements a été pratiquement divisé par deux par rapport à 2011. Résultat des courses, les excédents accumulés en 2012 sont beaucoup moins importants que prévus et représentent à peine un peu plus de 8 milliards de dollars alors qu’on s’attendait encore voici quelques mois à près de 20 milliards comme en 2011.
Le scénario inquiétant des experts de NABNI
Plus qu’une déception conjoncturelle, l’optimisme désormais coutumier du gouverneur de la Banque d’Algérie masque surtout des tendances inquiétantes. Depuis 2012, on est peut être déjà entré dans un processus de tassement de nos réserves de change qui pourrait, selon beaucoup d’experts, précéder leur réduction voire leur disparition complète dans un horizon à peine supérieur à une décennie. Dans un travail en tous points remarquables publié à la fin du mois dernier, les experts du groupe NABNI évoque le scénario de réserves de change de notre pays qui « commenceront à baisser à partir de 2016 et risquent de s’épuiser autour de 2024, ce qui à partir de cette date nous obligera à nous endetter pour financer nos déficits commerciaux. » Un scénario qui, en dépit de l’euphorie ambiante et de l’autosatisfaction affichée par la plupart de nos responsables économiques, est actuellement très probable en l’absence d’un hypothétique renouveau de notre potentiel pétrolier.
Les économistes pour un fonds souverain
Comment tenter de sauver les réserves de change algériennes de cet épuisement annoncé ? La période la plus récente a été surtout marquée dans ce domaine par des pressions croissantes en faveur de la diversification des réserves et leur utilisation plus active au service du développement économique du pays. Une approche défendue notamment par des personnalités ayant exercé des responsabilités importantes comme M. Abderrahmane Hadj Nacer.
Dans une déclaration rapportée par la presse voici quelques mois, l’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie fustigeait la gestion des réserves de change par les autorités algériennes qu’il qualifie de « gestion de court terme » animée par le seul souci de « disposer de liquidités permettant de couvrir trois années d’importation ». C’est ainsi l’option évoquée périodiquement d’un investissement des réserves de change du pays dans des actifs privés à travers la création d’un fonds souverain qui refait surface au cours des dernières mois. Les prises de position récentes des autorités algériennes sur ce chapitre n’ont manifestement pas suffi pour clôre le débat. Abdellatif Benachenhou plaide en faveur d’un début de diversification des placements à travers la création d’un fonds souverain auquel serait affecté dans une première étape « de 1 à 5% des réserves de change du pays ». Mustapha Mékidèche, vice-président du Conseil national économique et social (CNES) résume pour sa part une vision très largement partagée en considérant la création éventuelle d’un tel fonds comme « un moyen pour l’économie algérienne de se moderniser et de s’internationaliser à travers l’acquisition d’actifs industriels et technologiques à l’étranger.»Mais l’approche la plus complète et les propositions les plus audacieuses sont encore à mettre à l’actif du groupe NABNI qui voudrait non seulement consacré 20 % des réserves de change actuelles du pays à la création d’un Fonds souverain international, mais qui vient aussi et surtout, en détaillant les étapes et les principaux aspects, de formuler des propositions pour un changement de cap complet de la politique économique de notre pays dans le but de rompre avec la dépendance à l’égard des hydrocarbures.