Si on avait besoin d’une preuve du caractère pionnier de la démarche du patron de Cevital, Issad Rebrab, c’est la Banque d’Algérie elle-même qui vient de la donner.
Abdeslam Bouchouareb aurait mieux fait de se taire . « Les entreprises algériennes ne sont pas autorisées à investir à l’étranger », affirmait-il au début du mois de novembre, à l’occasion de la Conférence nationale sur l’industrie organisée par son ministère. A propos des groupes privés qui, à l’image de Cevital, utilisent leurs propres ressources en devises pour effectuer des acquisitions d’actifs industriels, le ministre de l’industrie était tout aussi péremptoire : « Ces investissements à l’étranger ne nous concernent pas ».
En fait le ministre de l’industrie se trompe doublement. Non seulement les acquisitions récentes réalisées à l’étranger par Issad Rebrab, patron du groupe Cevital, nous concernent, mais elles sont sans doute un modèle économique exemplaire qui pourrait être imité ; y compris par les entreprises publiques voire par l’Etat algérien lui-même. C’est d’ailleurs ce que vient de reconnaître très officiellement la Banque d’Algérie.
Après l’acquisition d’ Oxxo et de Fagor Brandt, Issad Rebrab n’a apparemment pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Il vient de se porter acquéreur d’un des géants italiens de la sidérurgie, le groupe Lucchini. Cevital proposait un investissement de 400 millions d’euros, dont 60 millions pour la remise à niveau des installations.
Le patron de Cevital, qui a pris une bonne longueur d’avance sur le reste des opérateurs économiques algériens, confirme ainsi une stratégie mise en œuvre méthodiquement depuis plusieurs années. Voici quelques mois, il nous confiait que « la crise en Europe est une opportunité unique telle qu’il ne s’en présente qu’une seule en un siècle. On peut aujourd’hui aller faire son marché en Europe et acquérir des usines entières pour une bouchée de pain ». Il faut dire que ses ambitions dans ce domaine sont facilitées par la cession de ses parts dans Djezzy qui lui permet, ainsi qu’il le déclarait à la revue française Challenges, de disposer d’un “trésor de guerre” de plus de 200 millions de dollars. De quoi effectivement faire quelques emplettes substantielles et se passer, accessoirement, de l’autorisation de la Banque d’Algérie .
Un modèle pour les patrons privés algériens
Les acquisitions à l’étranger réalisées au cours des dernières années par le patron de Cevital lui valent, en tous cas, déjà un regain de popularité auprès du grand public, dont l’amour propre national est certainement flatté par la réussite économique de cet entrepreneur algérien. Ce n’est cependant sans doute pas l’aspect le plus important de la stratégie mise en œuvre par Issad Rebrab.
L’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, plaide depuis longtemps, avant même le déclenchement de la crise financière des dernières années, en faveur de la création d’un fonds souverain international capable d’assurer une gestion plus active des réserves financières de notre pays et d’exploiter les opportunités offertes par l’évolution des marchés internationaux. Faute d’avoir pu convaincre les pouvoirs publics d’adopter cette démarche qu’il préconise depuis plus d’une décennie, Hadj Nacer souligne aujourd’hui la valeur exemplaire de la stratégie développée par le patron de Cevital : « Tout ce qu’il fait c’est ce que l’Algérie, tous secteurs confondus, devrait faire depuis 20 ans ». Pour Hadj Nacer, “la seule façon de rattraper le temps perdu c’est d’aller à l’étranger et d’acheter des actifs”.
« L’Algérie peut tirer avantage des investissements à l’étranger »
Si on avait besoin d’une preuve du caractère pionnier de la démarche du patron de Cevital, c’est la Banque d’Algérie elle-même qui vient de la donner. La Villa Joly, qui freinait des deux fers depuis plus d’une décennie et opposait un refus à toutes les demandes formulées par des investisseurs algériens moins prospères que Cevital, a publié le 12 novembre dernier au Journal officiel un règlement qui « autorise » les entreprises algériennes publiques et privées à investir à l’étranger.
Pour mesurer le chemin parcouru par les autorités financières algériennes, il faut se reporter à l’exposé des motifs du récent règlement qui affirme très officiellement que « de profonds changements structurels ont affecté l’économie nationale au cours des deux dernières décennies ; entre autres la capacité et la possibilité pour beaucoup d’opérateurs publics et privés de s’étendre à l’international pour stimuler leurs exportations ou mettre en place des activités de production de biens et services en complément de leurs activités en Algérie ». Pour la Banque d’Algérie : « L’économie nationale peut tirer avantage des investissements à l’étranger des opérateurs économiques résidents. L’ouverture de bureaux de représentation peut constituer un point d’appui au développement des exportations hors hydrocarbures ; l’investissement direct, en complément des activités en Algérie, ne peut être que profitable à la croissance de l’activité domestique, à la compétitivité et à l’innovation lorsque le centre d’activité principal de l’entreprise demeure en Algérie ». Ouf , il était temps .
Des conditions restrictives
Attention, la nouvelle réglementation ne va pas ouvrir tout grand les robinets. Avant de voir la couleur de l’argent de la Banque centrale les candidats à l’investissements à l’étranger devront monter « patte blanche ». Le nouveau règlement de la Banque d’Algérie formule un certain nombre de conditions très restrictives et qui semble en réalité limiter le bénéfice éventuel de l’autorisation d’investir à l’étranger à un petit nombre d’entreprises publiques et privées. « Off the record », les hauts fonctionnaires de la Banque d’Algérie que nous avons rencontré insistent en substance sur le caractère désormais « opérationnel » de la réglementation. Pour nos interlocuteurs, les textes précédents étaient trop ouverts et trop imprécis pour pouvoir être appliqués à moins de bénéficier à tout le monde sans aucune restriction et d’ouvrir la voie à des fuites de capitaux importantes .C’est donc justement le caractère « restrictif » de la nouvelle réglementation qui la rendrait « applicable » à travers l’identification des acteurs, publics et privés , qui sont susceptible d’en bénéficier et les conditions auxquelles cette autorisation d’investir à l’étranger est soumise.
Le FCE plutôt satisfait
La nouvelle réglementation a plutôt été bien accueillie par les patrons algériens. L’ancien Président du FCE ainsi que son successeur, qui vient d’être désigné, Ali Haddad, l’ont salué en chœur au cours des derniers jours. Pour Reda Hamiani, elle peut « donner un atout supplémentaire à nos champions nationaux. Nous avons 500 entreprises exportatrices, mais seules 50 sociétés exportent d’une façon régulière, comme le groupe Benamor, Cevital, SIM. Ces entreprises ont besoin d’avoir des succursales à l’étranger pour pouvoir exporter. C’est carrément leur couper des ailes que de ne pas leur permettre de s’implanter à l’étranger notamment en Afrique. On était l’un des rares pays à ne pas le permettre. L’investissement à l’étranger donnera un plus à notre économie ». De son coté, Ali Haddad, PD-G de ETRHB, qui était le seul candidat à la présidence du Forum des Chefs d’Entreprise après la démission de Réda Hamiani, se réjouit déjà de cette « très bonne » nouvelle. Il ajoute que « C’est une très bonne chose. D’ailleurs, nous sommes en pourparlers sur plusieurs projets en France et en Italie pour investir dans l’industrie » …
Hassan Haddouche