La réunion de la tripartite, qui s’ouvre ce matin même, domine l’actualité de la rentrée 2014. On aurait bien tort de traiter par la dérision une de nos rares, peut-être la seule, concertations de nos institutions économiques et sociales.
Alors que les deux chambres du Parlement sont devenues de l’avis même de leurs membres les plus lucides, des chambres d’enregistrement dépourvues de toute capacité d’expertise, alors que le Conseil national économique et social (CNES), créé explicitement dans le but d’accompagner les réformes économiques et d’ancrer le débat économique et social dans les traditions de notre pays, ne joue plus ce rôle depuis très longtemps, c’est dans l’enceinte exiguë de la tripartite que semble s’être réfugié ce qui reste de dialogue économique et social dans notre pays. Ajoutons qu’il faut inscrire au crédit des deux gouvernements Sellal une volonté manifeste de conforter cette institution. Ahmed Ouyahia avait créé beaucoup de frustration chez les partenaires sociaux, patronaux notamment, en « convoquant », après des éclipses fréquentes, la tripartite aux moments qui l’arrangeaient le mieux et souvent dans l’urgence. L’équipe Sellal tente depuis quelques années d’asseoir une nouvelle conception de la tripartite basée sur une périodicité régulière, des ordres du jour connus longtemps à l’avance et un suivi des décisions adoptées par les partenaires sociaux. Elle a également eu la bonne idée d’élargir la participation à ce vaste forum social à des experts indépendants. Même si la participation des syndicats autonomes, invités une seule fois, n’a été pour l’instant qu’une expérience éphémère.
Un ordre du jour …..
L’ordre du jour de cette 17è édition est donc connu. On va parler de sujets qui retiendront plus ou moins l’attention de l’opinion et des médias. Le pacte économique et social, le renforcement du rôle du Fonds national d’investissement (FNI), ou encore les facilitations accordées aux entreprises nationales du secteur du BTPH sont des sujets qui ont peu de chances de passionner l’opinion nationale. On parlera aussi, comme d’habitude, et sans doute avec les même résultats que d’habitude, de la fameuse dépénalisation de l’acte de gestion. Un autre thème à l’ordre du jour devrait connaître plus de succès : on pourrait obtenir des précisions importantes sur le calendrier et les modalités du rétablissement du crédit à la consommation pour lequel on parle du 2è semestre 2015. Mais la star de cette édition sera incontestablement le désormais célèbre article 87 bis.
….et le 87 bis en vedette
En tête des préoccupations et des commentaires des médias nationaux depuis déjà plusieurs semaines, la confirmation de l’abrogation de l’article 87 bis est un succès symbolique pour l’UGTA qui porte de longue date cette revendication et qui n’a pas été à pareille fête depuis de nombreuses années. Pour beaucoup de travailleurs algériens ( au moins 1 million d’entre eux et sans doute beaucoup plus), il s’agit de bien plus qu’un symbole : une bouffée d’oxygène annoncée à l’occasion d’une rentrée sociale caniculaire et meurtrière pour les bourses modestes. Ceci n’empêche pas cela : beaucoup d’économistes tirent le signal d’alarme. Combien va coûter la mesure ? les estimations varient de 1 milliard de dollars à plus de 10 milliards. Une preuve supplémentaire de la qualité et de la précision de nos outils d’analyse économique. N’empêche, les économistes ont sans doute raison. Au bout du compte les augmentations de salaires risquent d’ouvrir un nouveau cycle de croissance des importations au moment ou le précédent, entamé en 2011, commençait à épuiser ses effets. Le problème c’est que 2014 n’est pas 2011. Nos marges de manœuvres financières n’existe plus. L’excédent commercial considérable d’il y a encore quelques années a fondu comme neige au soleil et la balance des paiements est déjà déficitaire au premier semestre. Un bon sujet de réflexion pour la tripartite ….
La suppression du 87 bis, combien ça va coûter ?
Quel sera le coût macroéconomique de l’abrogation de l’article 87 bis annoncée pour le début 2015 ? Une évaluation précise semble aujourd’hui bien difficile à réaliser même si certains de nos économistes les plus réputés n’ont pas hésité au cours des derniers mois à prendre le risque de tenter de le mesurer. Il y a d’abord ces chiffres déjà anciens, révélés en 2005 ou 2006, par lesquels le gouvernement algérien estimait lui-même l’impact financier de cette mesure à 500 milliards de DA pour l’État et 40 milliards pour les entreprises, soit près de 7 milliards de dollars. C’est ce qui conduisait logiquement Aderrahmane Mebtoul, compte tenu de l’augmentation de la masse salariale depuis cette date, à évaluer, au printemps dernier, les incidences financières d’une abrogation de l’article 87 bis dans une fourchette allant «de 9 à 11 milliards de dollars en rythme annuel». Au mois de mai dernier avant même que les travaux de la 16è tripartite ne débutent à Djenane El-Mithaq, l’économiste Abdelhak Lamiri évoquait de son côté de façon très imprécise, un risque de « relèvement de 10 à 20% de la masse salariale » avant de parler d’un impact possible de « 6 à 7 milliards de dollars ». Du côté de l’UGTA, un président de Fédération, M. Amar Takdjout, évoque des augmentation de salaire évaluées en moyenne à 3 ou 4000 dinars qui toucheront de façon variable près de 2 millions de travailleurs et qui représenteront près de 15% de la masse salariale nationale. Pour un spécialiste comme Said ighil Ahriz, directeur du bureau d’études Ecotechnics, que nous avons interrogé sur ce sujet voici quelques jours, ces différents chiffrages restent relativement hasardeux. En l’absence de données véritablement fiables, il considère que le « seul impact mesurable avec une certaine précision concerne la fonction publique pour laquelle il pourrait atteindre entre 2 et 3 milliards de dollars ». Des évaluations qui illustrent non seulement la faiblesse des outils économétriques disponibles mais également les incertitudes qui portent sur le futur cadre réglementaire lui-même qui est loin d’avoir été entièrement précisé.
Le budget de fonctionnement en première ligne….
Quelle que soit l’hypothèse d’impact financier retenue, le budget de fonctionnement de l’Etat sera en première ligne et on peut déjà s’interroger sur le fiabilité des prévisions de l’avant-projet de loi de finances pour 2015 qui prévoit, de façon très conservatrice, une croissance des dépenses de fonctionnement limitée à 5% ; le même document annonce officiellement la constitution d’une provision de 100 milliards de dinars (environ un milliard d’euros) pour financer la hausse des salaires induites par l’abrogation du 87 bis. Dans ce domaine c’est Abderahmane Mebtoul qui rappelle très opportunément que la masse salariale de la fonction publique a déjà atteint 34 milliards de dollars en 2013. Elle devrait dépasser très largement le cap des 40 milliards de dollars l’année prochaine compte tenu non seulement des augmentations de salaires prévues mais également des dizaines de milliers (plus de 100 000 en 2 ans) de fonctionnaires dont le recrutement est prévu en 2014 et 2015.
… Et le prix du baril qui chute au mauvais moment
Mais les conséquences ne s’arrêteront pas là. Le principal intérêt des avertissements délivrés par de nombreux économistes algériens, imités par le FCE qui évoque un risque d' »effet accordéon » sur l’ensemble de la grille des salaires, concerne aujourd’hui la réduction des marges de manœuvre financières de notre pays dont les équilibres financiers extérieurs sont devenus très fragiles depuis la fin 2013. Abdelhak Lamiri annonce une aggravation de la facture des importations, « puisque 79 à 80% des biens consommés par les Algériens sont des biens importés ». Suivant les différentes hypothèses d’impact financiers retenues, l’excédent de notre balance commerciale, déjà fortement mis à mal au cours des dernières années et inférieur à une dizaine de milliards de dollars en 2013, pourrait de nouveau être réduit de moitié, voire disparaître presque complètement dès 2015. La balance des paiements, tout juste équilibrée en 2013 et déjà légèrement déficitaire au cours du premier trimestre 2014, ainsi que le signalait le rapport de conjoncture de la Banque d’Algérie publié au début du mois d’août dernier, devrait alors plonger dés 2015 dans un déficit considérable compris dans une fourchette de 3 à 8 milliards de dollar. Une estimation qui ne préjuge pas de l’impact supplémentaire sur notre balance des paiements qui pourrait provenir de la poursuite de la baisse tendancielle de nos exportations d’hydrocarbures en volume ou d’une érosion ,déjà entamée en 2013 et qui semble s’accélérer depuis l’été 2014, du prix du baril. C’est une « préoccupation » que 3 jours avant l’ouverture de la tripartite, le ministre de l’énergie, M.Youcef Yousfi, a tenu à confier aux médias nationaux en évoquant une baisse de 10 dollars du prix du brut algérien depuis le mois de juin dernier.
Hassan HADDOUCHE