Un dinar fort pour une économie faible ? Par Hassan Haddouche

Redaction

Le débat sur la « faiblesse » du dinar est de retour. C’est le cas chaque fois que l’euro grimpe. Les producteurs nationaux mettent en avant le renchérissement des biens d’équipement importés ou encore des matières premières nécessaires au fonctionnement de l’appareil productif. Le pouvoir d’achat des plus défavorisés serait également menacé par la hausse des prix des produits importés. C’est du moins ce qu’affirme une grande partie des médias nationaux qui se sont encore émus ces derniers jours d’une présumée « chute libre » de la valeur de la monnaie nationale, en dénonçant dans certains cas « le jeu trouble » de la Banque d’Algérie. Un dinar fort serait-il une solution miracle et un rempart pour l’économie nationale ?

Au cours des dernières années, la politique dite de flottement dirigé du dinar mise en œuvre par la Banque d’Algérie a eu en réalité pour principale conséquence d’atténuer l’impact des fluctuations des devises sur le dinar. Si elle a  globalement stabilisé la valeur du dinar par rapport au dollar, elle n’a cependant pas permis d’éviter une forte dépréciation du dinar par rapport à l’euro. C’est cette dépréciation, de l’ordre de près de 40% depuis cinq ans, qui est à l’origine d’un débat sur la valeur du dinar.

Avec des réserves de changes qui représentent près de quatre années d’importation, la « dévaluation rampante » du dinar par rapport à l’euro apparaît comme un paradoxe et un « fardeau » difficile à porter pour nombre d’acteurs économiques, notamment en raison de la part prépondérante des pays de l’Union européenne dans les importations algériennes.

Des voix se sont élevées, notamment au sein des milieux patronaux, insistant sur le renchérissement des biens d’équipement importés ou encore des matières premières nécessaires au fonctionnement de l’appareil productif. Elles sont épaulées par nombre de personnalités ou de responsables économiques dénonçant d’importantes pertes du pouvoir d’achat au cours des dernières années. À l’étape actuelle, ces points de vue ont cependant peu de chances d’être entendus.

La Banque d’Algérie préfère « le flottement dirigé »

Dans ses différents rapports de conjoncture, la Banque d’Algérie ne s’émeut pas outre mesure de ce débat récurrent. Dans son dernier communiqué publié voici quelques jours, elle note qu’elle « reste la principale source de devises offertes sur le marché interbancaire des changes où la détermination des cours, applicables aux opérations conclues suivant les règles et usages internationaux, relève des mécanismes de marché. Il s’agit d’un régime dit de flottement dirigé du taux de change du dinar vis-à-vis des principales devises, monnaies des plus importants partenaires commerciaux de l’Algérie. Sous l’angle opérationnel, la Banque d’Algérie intervient sur le marché interbancaire des changes pour veiller à ce que le mouvement du taux de change nominal n’affecte pas l’équilibre au long terme du taux de change effectif réel du dinar ».

Un cadre de la Banque d’Algérie traduit ceci pour nous en langage clair : « Le système appliqué depuis le milieu des années 1990 s’inspire de la doctrine prônée par le FMI. Il consiste tout d’abord à tenir compte de l’évolution des taux de change sur les marchés internationaux des monnaies de nos principaux partenaires commerciaux, c’est le taux de change effectif. On tient compte ensuite du différentiel d’inflation entre l’Algérie et ses partenaires commerciaux pour passer au taux de change effectif réel qui est resté stable sur une longue période . »

Des instruments de soutien  ciblés

Le choix du maintien à tous prix  de la valeur nominale du  dinar n’est pas non plus celui du gouvernement algérien qui a préféré, au cours des dernières années, recourir à des instruments d’action économiques plus ciblés. Un choix approuvé par beaucoup d’experts, qui considèrent en substance  que « plutôt que l’amélioration du pouvoir d’achat par une appréciation du dinar qui entraîne des effets pervers, il vaut mieux subventionner directement la production locale et les couches sociales défavorisées ».

Une option confirmée encore par le projet de  loi de finances 2014 qui a prévu par exemple  une cagnotte destinée au soutien des prix de différents produits de plus de 400 milliards de DA (près de 5 milliards de dollars). Sans parler des « subventions implicites » chiffrées pour la première fois par  la loi de finance 2014  et qui bénéficient  d’abord aux producteurs nationaux (à travers les exonérations fiscales) pour une valeur estimée à plus de 12 milliards de dollars  et aux  carburants pour la bagatelle  de 8 milliards de dollars.

Le dinar fort : une ruse de l’idéologie rentière

Plus largement, le questionnement sur la valeur du dinar qui a tendance à rebondir à chaque séquence de montée de l’euro sur les marchés des changes, illustre le décalage entre notre débat interne et les principaux enjeux monétaires internationaux. Pour un expert financier algérien : « La guerre des monnaies qui oppose aujourd’hui les États-Unis, accusés de provoquer la baisse du dollar aux principaux pays émergents, la Chine et le Brésil en tête, repose pour l’essentiel sur des politiques de dévaluation ou de sous-évaluation compétitives des monnaies qui visent à gagner des parts de marché à l’exportation. »

C’est une préoccupation qui est totalement absente du débat national qui reste circonscrit dans l’idéologie de la rente. Pour notre expert : « Le débat récurrent sur la valeur du dinar n’est, en réalité, qu’une ruse de l’idéologie rentière. Au cours des dernières années, à la suite de l’augmentation des prix pétroliers, nous consommions en moyenne environ les trois quarts de la rente pétrolière. Le solde positif était  transformé en réserves de changes qui ont dépassé 190 milliards de dollars à la fin de l’année dernière. Depuis le début de l’année 2013 nous sommes entrés, en raison de l’augmentation sensible de nos importations, dans une période de déficit de la balance des paiements et de diminution des réserves de change. »

Les partisans d’un  dinar fort voudraient en réalité, sans le dire, et quelquefois même sans s’en rendre compte eux-mêmes, consommer 100% de la rente pétrolière ainsi que les réserves de change que nous avons constitué depuis 15 ans grâce à des prix pétroliers élevés. C’est le résultat automatique auquel aboutirait en quelques années le maintien de la valeur du dinar à sa parité actuelle. C’est également la raison pour la quelle la plupart des économistes algériens considèrent, à l’image d’Aderrahmane  Hadj  Nacer, que « la vraie valeur du dinar est celle du marché parallèle ». On est bien loin du ton et des arguments démagogiques dont la plus grande partie des médias nationaux semble avoir fait aujourd’hui son credo.

Hassan Haddouche

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