Ce mercredi, l’Assemblée populaire nationale vote la Loi de Finances. C’est devenu l’une des curiosités de la vie économique et politique nationale : tandis que le gouvernement dépense sans compter, ce sont maintenant les députés qui l’invitent à la prudence et à plus de retenue.
Il faut dire qu’il y a de quoi. Les parlementaires algériens sont invités à voter aujourd’hui même une Loi de Finances qui prévoit pas moins de 110 milliards de dollars de dépenses. La plus grande partie, plus de 60 milliards de dollars, est destiné au budget de fonctionnement. C’est notre très officielle agence APS qui annonçait voici quelques jours que : « les présidents de six groupes parlementaires de l’APN ont exprimé jeudi dernier à Alger, dans leurs interventions sur le projet de loi de finances 2015, leurs inquiétudes quant à l’impact de la baisse des prix du pétrole sur les équilibres financiers du pays ».
Le chef du groupe parlementaire du RND, Mohamed Diji, a estimé que la baisse des prix du pétrole « représente un danger réel et imminent pour les équilibres financiers du pays » en invitant le gouvernement à « prendre les précautions nécessaires à travers la rationalisation des dépenses ».
De son côté le FFS va encore plus loin et ne fait pas du tout confiance au gouvernement pour tenir les cordons de la bourse, puisque son représentant M. Chafaa Bouaiche, pense que « le seul moyen qui contraindra le gouvernement à trouver sérieusement des alternatives à la dépendance aux hydrocarbures est que le prix de référence du pétrole soit fixé, au préalable, par le parlement ». Ce ne sera pas encore pour cette année .
Le budget de fonctionnement au bord de l’explosion
Il faut bien dire que les députés ont quelques bonnes raisons de s’inquiéter. Le budget de fonctionnement de l’Etat algérien est au bord de l’explosion. En décembre dernier, le parlement a déjà approuvé pour l’année 2014 des dépenses de fonctionnement de près de 60 milliards de dollars (environ 4700 milliards de dinars) qui s’affichaient en hausse de près de 9% par rapport à 2013 soit une croissance 3 fois supérieure à celle du PIB. Elles prennent en charge notamment la création de plusieurs dizaines de milliers de nouveaux postes dans la Fonction publique qui compte déjà plus de 2 millions de salariés titulaires sans compter le million d’employés supplémentaires qui émargent aux budgets des vacataires et des « emplois d’attente » .
La masse salariale de la fonction publique a déjà atteint 34 milliards de dollars en 2013. Elle devrait dépasser très largement le cap des 40 milliards de dollars l’année prochaine compte tenu non seulement des augmentations de salaires prévues (et imprévues dans le cas des policiers), mais également des dizaines de milliers (plus de 100 000 en 2 ans) de fonctionnaires dont le recrutement est prévu en 2014 et 2015. On peut déjà s’interroger sur le fiabilité des prévisions du projet de loi de finances pour 2015, adossé de façon très irréaliste à un prix de marché du baril de plus de 100 dollars, et qui prévoit, de façon très conservatrice, une croissance des dépenses de fonctionnement limitée à 5%. Ce qui les portera tout de même, au minimum, à un niveau déjà proche de la barre des 5000 milliards de dinars (près de 63 milliards de dollars).
13 milliards de dollars de subvention aux carburants
Le laxisme salarial du gouvernement qui s’est accentué depuis le début de l’année 2011 et le déclenchement des « révolutions arabes » n’est pas le seul responsable du dérapage sans précédent des dépenses de fonctionnement de l’Etat algérien. Le modèle « social », basé sur des subventions tout azimuts, si cher au Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, est également sur la sellette. C’est, cette fois, l’ancien ministre des Finances Abdellatif Benachenhou qui fustigeait voici quelques jours au « Forum de Liberté », le système des subventions mis en place par le gouvernement algérien. Selon lui, la fiscalité pétrolière (3.690 milliards de dinars en 2013) est intégralement reversée aux citoyens sous forme de subventions (3.600 milliards de dinars pour la même période). Sa conclusion la plus saillante est que ce système est paradoxalement la source d’une « injustice sociale colossale ». Pour Benachenhou, si la partie la plus pauvre de la population profite de 60% des subventions d’origine budgétaire (logements sociaux, alimentation, etc.) ; en revanche, elle ne reçoit que 20% des subventions « implicites » (carburants, électricité, gaz…) : « L’explication en est simple : les pauvres n’ont tout simplement pas de voitures, et ils ne profitent des subventions qu’à travers le transport collectif. L’ancien ministre recommande de sortir progressivement de ce système « pervers » et préconise de faire « un effort de pédagogie » en direction des citoyens. Il se dit favorable à l’augmentation « progressive » des prix des carburants « comme c’est le cas dans certains pays à l’instar du Maroc ». La subvention du carburant coûte au Trésor public algérien près de 13 milliards de dollars par an.
Hassan Haddouche