Comment l’Algérie peut-elle éviter la faillite ?/Les précieuses pistes de réflexion d’un expert

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Entretien réalisé par Abdou Semmar

Mohamed Kecel est un expert financier qui a travaillé et collaboré avec de nombreuses banques algériennes et internationales. Aujourd’hui, il est consultant indépendant et réalise de nombreuses études de marché. Dans cet entretien, il livre à Algérie-Focus une analyse détaillée de la situation économique actuelle de notre pays. Il diagnostique les maux de notre économie et propose, surtout, des pites de réflexion pour aboutir à une feuille de route concrète, à même de nous protéger d’une éventuelle et très dangereuse faillite. Les conseils précieux de cet expert valent leur pesant d’or. Entretien.  

Algérie Focus: De nombreux experts parlent d’une brutale rareté de la ressource financière qui va prochainement frapper de plein fouet l’Algérie. Qu’avez-vous à dire à ce propos ? Et comment pourra-t-il se produire ?

Mohamed Kecel: A vrai dire, la question mérite d’être nuancée. Si l’on parle de ressources financières en monnaie locale (DZD), ces dernières ne sont pas censées manquer, puisque la Banque d’Algérie ajuste sa politique monétaire en fonction de l’évolution des agrégats monétaires. C’est ce que l’on appelle des politiques contra-cycliques. En d’autres termes, elle régule l’offre de monnaie en fonction des besoins de l’économie en terme de niveau de taux d’intérêt cible, de l’inflation et de la croissance entre autres. Cela étant clarifié, il est vrai, néanmoins, que qu’il y a eu décrue de la liquidité bancaire depuis une année, mais qui n’est que le reflet de nos déséquilibres extérieurs. Ce phénomène s’est accéléré depuis la fin de l’année 2014, avec la chute brutale du prix du pétrole. Tout ceci est lié en fait. Cela fait depuis presque trois ans que nous sommes entrés dans la fin du cycle cumulatif des réserves de change et de l’épargne budgétaire. Pour les observateurs avertis, ceci augurait déjà de quelques gros nuages à l’horizon du ciel d’Algérie…

Pour revenir à votre question, c’est donc sous l’angle de l’érosion de nos réserves de change qu’il faudrait situer la problématique. Nous avons un commerce extérieur (balance commerciale) trop déséquilibrée. La raréfaction des ressources en devises va certainement imposer des ajustements de parité de change (entendez par là dévaluation). Nous n’avons pas le choix et tout ce qui a été fait depuis 2009, en matière de réglementation bancaire pour « contenir » les importations, n’a fait que rajouter du désordre à une situation déjà compliquée. En d’autres termes, les précédentes mesures dans le secteur bancaire ont retardé l’échéance des vraies réformes structurelles dont notre économie avait cruellement besoin.

Que disent exactement les derniers indicateurs de la Banque d’Algérie sur le plan macro-économique et micro-économique ? 

Depuis quelques temps, les rapports périodiques de la Banque d’Algérie parlent de « situation intenable si le choc externe venait à perdurer ». Le « choc externe » est un euphémisme pour désigner la chute du prix du pétrole.  A vrai dire ce qui pose problème dans ce style de communication c’est qu’elle se limite à faire part d’une symptomatologie sévère de la crise, qui engage le pronostic vital, mais sans pour autant prescrire de thérapie. C’est comme si vous allez chez le médecin et ce dernier se contente de vous  diagnostiquer la maladie, mais refuse de vous administrer un traitement…. Il est temps de mettre un peu d’ordre dans les périmètres d’intervention et de la coordination entre les différents centres de décision économique (Banque d’Algérie, Premier ministère, ministère des Finances)

Aujourd’hui, il y a un vrai déséquilibre de la balance des paiements. Comment un pays comme l’Algérie, qui est  moins industrialisé que le Maroc, importe plus de services que ce pays, alors que, soit disant, les services sont autorisés à l’importation  que par des entités productrices de bien de services ?

D’autre part, je prends en exemple le recyclage  des produits plastiques et  PET  dont le marché est estimée à 250 millions d’ euros par an. Qu’avons-nous fait, dans ce sens, pour réduire les importations avec la récupération des déchets sachant que l’importation de plastique dépasse les  2 milliards de dollars par an  ?

Que proposez-vous pour augmenter les recettes fiscales de l’Etat dans ce contexte marqué par la chute des prix du pétrole ? Augmenter les impôts ? Lesquels exactement et quelles sont les taxes qu’il est possible d’appliquer ?

Pour moi, la problématique fiscale est indissociable de la politique budgétaire. Partant de là, je crois qu’il y a deux problématiques auxquelles nous devrions répondre rapidement. Primo : quel est le niveau optimal de ressources fiscales pour un fonctionnement efficace de l’Etat et de l’économie ? Secundo : quelles sont les perspectives budgétaires dans un contexte  de baisse structurelle de la fiscalité pétrolière ?

La première problématique renvoie au dimensionnement de l’Etat (au plan budgétaire). Je crois qu’aujourd’hui le modèle de l’Etat-Providence basé sur une redistribution de la rente est dépassé. De toute façon, nous n’avons plus le choix. Revoir le système de subventions est une nécessité. Les Algériennes et les Algériens ont besoin d’un système de santé de qualité, d’une école moderne et d’une université de très haut niveau. Voilà des secteurs ultra-prioritaires sur le plan budgétaire que l’Etat se doit de maintenir et de conforter dans les années à venir. Pour le reste, à savoir les subventions directes, nous devrions les abandonner graduellement. Cela dit, la Nation doit rester solidaire envers ceux d’entre nous qui sont vulnérables. Il est possible de mettre, dans ce sens, un système d’aide ciblé via une fiscalité avantageuse pour les actifs et retraités et un système d’allocations sociales pour les sans-emplois. Pour ce faire, il suffit aussi de mettre en place un fichier national des revenus pour éviter les abus.

La deuxième problématique a trait à la transition graduelle d’un budget dominé par la fiscalité pétrolière vers un modèle plus pérenne reposant sur la fiscalité ordinaire. Pour cela, des transformations économiques radicales sont nécessaires : développer notre base industrielle, réformer en profondeur notre système financier (banques, assurances, bourse, BA…) et assécher les sources de l’économie parallèle. En résumé, il est question de créer la richesse qui servira d’assiette pour l’impôt de demain.

Et le fonds de régulation, combien de temps pourra-t-on puiser dedans pour combler les déficits budgétaires ? Cette solution est-elle raisonnable ?

Selon quelques estimations, le fonds de régulation sera complètement épuisé fin 2016/2017, bien sûr si l’on maintient les hypothèses d’un niveau de prix du pétrole évoluant entre 60/70$ et d’un niveau élevé de dépenses budgétaires.

Y-a-t-il, selon vous, un parallèle à dresser entre l’Algérie de 1988 et celle de 2015 ? 

Si je dois parler au sens caricatural je vous dirai qu’en juin 1988,  après le choc pétrolier de 1986, les débats du Comité central du FLN étaient centrés sur la fermeture ou pas du lycée Descartes à Alger, etc. Alors que vous connaissez le choc de l’après  octobre  1988. Comme par hasard, aujourd’hui aussi  la classe politique est davantage préoccupée par vendre la bière avec une ou deux autorisations, alors que les véritables enjeux sont ailleurs… Pour être sérieux,  je crois qu’il faut souligner quelque chose de très important : aujourd’hui, il y a une convergence de vues parmi la plupart des analystes qui travaillent sur l’Algérie, y compris au FMI : le pays aborde cette étape difficile dans de meilleures conditions qu’au début des années 1990. Nous avons des ressources financières que nous n’avions pas à l’époque. Ce matelas de sécurité servira d’« amortisseur » de choc des effets de l’ajustement. En plus, la structure économique d’aujourd’hui est différente de celle d’il y a 20 ou 25 ans. Le secteur privé aujourd’hui, malgré quelques insuffisances, a fait des progrès indéniables. A titre d’exemple, la part du secteur prive dans le PIB est passé de 30% dans les  années 90, à 45 % aujourd’hui. C’est une amélioration soutenue ce qui démontre une profonde restructuration

Il est mieux structuré et surtout davantage présent dans beaucoup de secteurs économique (agroalimentaire, pharmaceutique, électronique, services, BTP…). Ce secteur peut prendre le relais de la croissance, si les politiques publiques et le climat général des affaires venaient à s’améliorer. Par ailleurs, nous n’avons pratiquement plus d’endettement extérieur par rapport aux années 90, ce qui est un atout majeur.

Dites-nous enfin quelles sont les principales décisions à prendre pour éviter à l’Algérie de sombrer dans la faillite financière ? 

A très court terme, réajuster la parité du dinar (dévaluer), permettra de rétablir une viabilité de notre balance commerciale. Mais le processus de réforme ne se limite pas à rétablir une viabilité d’une balance des paiements. C’était l’erreur des années 90/2000.  Nous devons, cette fois-ci, nous atteler sérieusement à entamer les réformes de seconde génération dont l’économie à besoin : elles sont d’ordre micro-économique ; libérer les initiatives pour doter le pays d’une base industrielle solide et améliorer la compétitivité internationale de nos entreprises par une politique volontariste en matière d’exportation et d’internationalisation pour celles qui ont du potentiel, réformer en profondeur le système bancaire, développer les marchés de capitaux qui sont appelés à prendre le relais des financements budgétaires, améliorer l’attractivité du site Algérie en matière d’IDE, pas uniquement dans l’industrie, même dans les services, développer l’offshoring, aussi bien dans l’industrie que les services. Le Maroc, à titre d’exemple s’est doté, à travers « Casablanca Finance City » d’un « hub financier offshore » dont l’ambition est de faire de Casablanca un pont financier entre l’Afrique et le reste du monde.

C’est une initiative prise dans le cadre d’un partenariat « public-privée » incluant les banques commerciales, les banques d’investissements, Bank Al Maghrib (Banque Centrale) et la Bourse de Casablanca. Voilà, regardez l’état d’esprit et d’ambition qui prévaut chez nos voisins. S’offrir une telle ambition pour Alger doit être un rêve  plus que légitime, même si le constat aujourd’hui est que l’on est à des années-lumière de cet état d’esprit.

Enfin, je dois juste préciser que pour accompagner cet immense chantier de transformation du pays, il  est plus que primordial de doter le pays d’une université de très haut niveau (revenir au qualitatif) pour doter le pays en ressources humaines qualifiées dans un contexte de plus en plus globalisé. A titre d’exemple, l’enseignement dans les filières des sciences de gestion, de la finance et du Droit doit être radicalement revu pour s’adapter à notre époque et les enjeux de la mondialisation. L’introduction de l’anglais comme langue d’enseignement dans ces filières doit être pensée sérieusement. Nos amis des pays du Golfe y sont déjà depuis longtemps. Les décideurs algériens doivent définitivement comprendre que nous ne jouissons d’aucune période de grâce.

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