On a frôlé la catastrophe, voici un peu plus d’une semaine. Les deux millions d’automobilistes de la région d’Alger ont failli être privé de leur drogue favorite. Je veux parler bien sûr du carburant le moins cher du monde. Dans le petit monde des automobilistes algériens, la nouvelle qu’une importante station d’essence de la région de Blida avait fermé ses portes s’est répandue comme une trainée de poudre et a provoqué une panique générale. Des centaines de milliers de conducteurs, qui n’avaient apparemment pas grand-chose d’autre à faire, se sont précipités immédiatement vers les stations d’essence en provoquant pendant près d’une semaine des embouteillages gigantesques et des accrochages à n’en plus finir.
Naftal a eu beau expliqué qu’il n’y avait aucune pénurie et que la distribution se faisait normalement, les accros au carburant ne font confiance à personne et surtout pas à leur dealer favori. Une fois que tout ce petit monde a eu fait le plein et que les réservoirs ont manqué de déborder les choses sont rentrées dans l’ordre… jusqu’à la prochaine alerte .
La plupart des commentateurs nationaux, qui aiment caresser le public dans le sens du poil, n’ont pas manqué de dénoncer vigoureusement, une fois de plus, le véritable « scandale » que constitue à leurs yeux une « pénurie (imaginaire) d’essence dans un pays pétrolier ». Ils ont immédiatement stigmatisé les « mensonges » et la « mauvaise foi » de Naftal ainsi que l’incompétence de l’Etat algérien qui a oublié de « construire de nouvelles raffineries ».
L’essence la moins chère du monde
Apparemment, personne n’a pensé au prix de l’essence…S’il y a pourtant un domaine dans lequel les Algériens n’ont pas à se plaindre de l’Etat, c’est bien celui du carburant. Sous nos cieux bénis, le litre d’essence ou de gas- oil est vendu en moyenne quatre fois moins cher qu’au Maroc (et on s’étonne qu’il y ait du trafic aux frontières) et même deux fois moins cher qu’au Qatar, qui dispose pourtant de près de 2 siècles de réserves d’hydrocarbures. Tout pour l’automobile, c’est un mot d’ordre qui semble devenu un programme aussi bien pour le simple citoyen que pour les pouvoirs publics algériens. L’usage immodéré de la voiture est devenu un véritable problème de société dont les conséquences se mesurent d’abord en termes de nuisances et d’encombrements croissants et inextricables de nos routes.
Une croissance fulgurante de la consommation
La croissance de la consommation des produits énergétiques, stimulée par des prix dérisoires, est carrément vertigineuse. Entre 15 et 20% par an pour les carburants, selon des chiffres officiels communiqués dernièrement. L’Algérie produit déjà plus de 25 millions de tonnes de carburants. Elle en a importé pour près de quatre milliards de dollars supplémentaires par an en moyenne, entre 2011 et 2014. Les responsables du secteur ont dans leurs cartons plusieurs projets de nouvelles raffineries qui pourraient porter la production nationale à près de 50 millions de tonnes. Cette générosité de l’Etat ne profite d’ailleurs pas aux seuls Algériens. C’est la conviction exprimée par un haut fonctionnaire qui affirmait dans une interview récente : « Quand vous avez des prix des carburants subventionnés dans une telle proportion, vous mettez à la disposition de la population algérienne, mais aussi du voisinage de l’Algérie, des produits destinés théoriquement à la population algérienne, mais qui en réalité alimentent un bassin géographique énorme à travers un vaste trafic frontalier ».
Un coût financier considérable et méconnu…
En Algérie, le coût financier de la politique de subvention du prix des carburants, mise en œuvre depuis des décennies, était jusqu’à une date récente quasiment passé sous silence aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias nationaux. C’est seulement au cours des dernières années qu’on a commencé à l’évoquer. Et pour cause, si le coût du soutien des prix des produits alimentaires est relativement bien connu, environ 300 milliards de dinars (trois milliards d’euros) par an, selon le dernière loi de finance, le coût de la subvention des produits énergétiques n’était jusqu’ici pas mesuré avec précision du fait qu’il s’opère par d’autres moyens que le budget de l’Etat ; essentiellement sous forme de rachat des dettes des entreprises concernées par le Trésor public.
Après différentes sonnettes d’alarme tirées au cours des dernières années, C’est un ancien ministre des finances, M. Abdellatif Benachenhou, qui évaluait , voici quelques mois, le coût global des subventions aux carburants à plus de 12 milliards de dollars en 2013. L’ancien ministre ajoutait que la consommation subventionnée du gaz et du pétrole, dont le taux de croissance ne cesse d’augmenter, «conduira dans une dizaine d’années à l’épuisement du surplus exportable».
…Mais aussi une authentique injustice sociale
Sans doute dans le but de répondre aux partisans du « modèle social algérien », si cher à M Sellal en particulier, Benachenhou ajoutait que ces subventions sont en outre à l’origine d’une véritable injustice sociale du fait qu’elle profitent non pas aux plus démunis, qui en général ne possèdent pas d’automobiles, mais à la fraction la plus aisée de la population algérienne. Selon les estimations de Benachenhou, « les subventions aux carburants font profiter 50% de la population de 95% des subventions implicites et explicites accordées par l’Etat ».
Qualifiant le système de subventions algérien de «source d’une injustice sociale et territoriale colossale», Benachenhou soutient en outre que l’action de l’Etat dans ce domaine ne va pas non plus aux régions qui le méritent, en ce sens que c’est la moitié de la population, celle du nord du pays notamment, qui en profite le plus. Il en veut pour preuve le fait que 40% des véhicules-qui roulent avec du carburant subventionné- circulent autour d’Alger.
Le soutien des prix ou comment en sortir ?
Le gel des prix des produits subventionnés sur une très longue période, suivi d’un ajustement brutal et douloureux en période de raréfaction des ressources financières, est une expérience que l’Algérie a déjà connu au début des années 1990. Comment éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années ? Le consensus sur le caractère globalement néfaste de la politique de gel des prix des carburants semble, aujourd’hui, s’élargir très rapidement dans le pays. Experts, think-tanks, anciens responsables économiques et politiques se relayent pour recommander un ajustement progressif des prix pendant qu’il est encore temps. Nabni propose un rattrapage étalé sur 6 ou 7 ans. Benachenhou, que nous avons rencontré voici quelques semaines, suggérait de commencer très modestement par une augmentation limitée à 5 dinars par an.
Face à cette pression croissante, pas question « pour l’instant », selon les pouvoirs publics, de relever les prix des carburants. Les membres du gouvernement concernés répètent en chœur, au cours des derniers mois, le même message convenu : « l’augmentation du prix de l’essence n’est pas à l’ordre du jour ». Un véritable tabou. On commence au moins à savoir ce que la subvention coûte à la collectivité nationale!
Hassan Haddouche