En Algérie, un nouveau contexte économique s’installe progressivement. Il d’abord celui, tout nouveau, d’une rareté annoncée des ressources financières qui va obliger de façon croissante les pouvoirs publics à explorer d’autres horizons que celui du seul financement budgétaire. Les membres du gouvernement sont déjà à la manœuvre. Le ministre des finances, M. Abderrahmane Benkhalfa, ne manque pratiquement plus aucune occasion pour affirmer que le gouvernement s’est engagé sur un nouveau mode de financement de l’économie, évoquant la nécessité de sortir progressivement du financement par le budget pour aller vers le « financement par le marché ». L’endettement extérieur lui-même pourrait être prochainement de retour.
Considéré depuis près d’une décennie comme un tabou dans le sillage de la politique de remboursement anticipée de la dette extérieur mise en oeuvre en 2005 , l’endettement extérieur a déjà commencé à être évoqué sans complexe par certains membres du gouvernement. C’est ainsi que le ministre du Commerce a expliqué voici quelques semaines qu’il ne fallait plus « diaboliser l’endettement extérieur ». M. Bekhti Belaïb, a évoqué la possibilité de l’Algérie de contracter un prêt auprès de la Chine pour financer certains grands projets. Le ministre du commerce est cependant encore resté prudent en précisant qu’il s’agit d’une « exception » que compte faire l’Algérie « compte tenu des faibles taux d’intérêt appliqués par la Chine et de la qualité des relations entre les deux pays ».
Pourquoi l’Etat va-t-il s’endetter ?
Selon les déclarations récentes du gouvernement, la Loi de finances pour l’année 2016 devrait se traduire par une baisse des dépenses publiques de plus de 9%. La plus grande part de cet effort de réduction des dépenses devrait être supporté par le budget d’équipement qui sera réduit de plus de 16 % l’année prochaine. Le principal risque associé à cette démarche est de pénaliser la croissance économique qui au cours des dernières années a été tirée essentiellement par les commandes publiques. Et donc, de courir le risque de voir le chômage augmenter de nouveau de façon très importante à l’image de la situation qu’a connue le pays après le contre-choc pétrolier de 1986. Comment maintenir l’effort de réalisation des infrastructures économiques et sociales tout en diminuant les dépenses d’équipement de l’Etat ? La réponse est dans le recours à l’endettement interne et externe. Des solutions existent et ont commencé à être évoquées .
Augmenter la dette interne de l’Etat
Depuis l’année dernière, le déficit du budget de l’Etat est financé par des prélèvements importants sur le Fonds de régulation des recettes (FRR) qui est le réceptacle de l’épargne réalisée par l’Etat algérien depuis une quinzaine d’années. Avec un prix du baril compris entre 50 et 60 dollars, l’assèchement du Fonds de régulation des recettes sera effectif dans 18 mois environ.
Pour continuer à financer ses dépenses, l’Etat algérien va donc être contraint de s’endetter. Il va bénéficier d’une circonstance favorable : pour l’instant le niveau de notre dette publique est resté faible, à environ 8 % de notre PIB. Mais les choses devraient évoluer très vite. La dette publique interne pourrait croitre rapidement pour atteindre entre 50 et 60 % de notre PIB, après avoir été multipliée par neuf ou 10 sur la période 2015-2019.
Ceci pose plusieurs questions importantes : le marché local des capitaux peut-il absorber l’accroissement attendu de la dette publique ? Il faudra y trouver entre 23 et 28 milliards de dollars en équivalent dinars !
Les investisseurs institutionnels (banques publiques essentiellement) seront surtout sollicitées, ce qui posera de façon croissante le problème de l’éviction des investisseurs privés.
Une alternative pourrait être constitué par le recours à l’épargne des particuliers, mais il faudra concevoir des produits attractifs pour donner plus de chances de succès à cette démarche. Par exemple, créer des bons du Trésor protégés de l’inflation pour que l’acheteur des bons ne porte pas ce risque.
Un « grand emprunt national » ?
Dans le même esprit, une idée qui fait également son chemin, celle d’ un « grand emprunt national ». Ainsi que le suggérait récemment un expert algérien, en s’inspirant du succès récent du doublement du canal de Suez, il devrait être associé, pour emporter l’adhésion des épargnants algériens à des projets d’infrastructures précis comme, par exemple, au grand port dont la construction est envisagée au centre du pays. Mais on sait qu’aux dernières nouvelles le financement de ce dernier aurait déjà trouvé preneur grâce à « nos amis chinois ».
Le recours au marché obligataire
Le financement de l’économie c’est aussi le rôle du marché financier, c’est-à-dire la Bourse d’Alger, un instrument encore largement négligé par les autorités algériennes.Une première piste dans ce domaine est constitué par le recours des grandes entreprises publiques et privées au marché obligataire. C’est ainsi que le ministre des Finances, M. Benkhalfa, a annoncé voici quelques semaines que « le groupe Sonelgaz prépare un nouvel emprunt obligataire qui devrait être lancé en 2016 ». « Les pouvoirs publics travaillent pour que le panel des entreprises publiques de taille deviennent des émettrices comme Sonelgaz », a-t-il ajouté. »Sonelgaz a un programme d’investissements qui dépasse les 15 milliards de dollars qui devrait être réalisé en recourant au financement du marché », a estimé récemment de son côté son P-DG.
L’ouverture du capital des entreprises publiques
Un marché financier algérien qui est également en attente de la réalisation du programme d’ouverture du capital d’un groupe de huit entreprises publiques annoncé voici plus d’une année. La prochaine étape dans ce domaine devrait être constituée par l’ouverture du capital, prévue à hauteur de 35%, de la cimenterie publique d’Ain El Kebira, filiale du groupe public GICA. Selon des informations récentes, le dossier est ficelé et l’introduction en Bourse devrait intervenir fin 2015 ou début 2016.
La fin du « tabou » de l’endettement extérieur
Pour un certain nombre de spécialistes, ces différentes options ne seront sans doute pas dans l’avenir susceptibles de résoudre à elles seules l’équation devenue compliquée du financement des investissements publics. Il faudra dans la période à venir multiplier les solutions en renonçant en chemin à un certains nombre de « dogmes ». Au premier rang d’entre eux figure l’interdiction de l’endettement extérieur. Ainsi que nous le confiait un expert national : « L’Algérie participe à un certain nombre de structures multilatérales comme la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale, qui ne demandent qu’à pouvoir s’exposer un peu plus dans notre pays. En outre, de nombreux fonds d’investissements sont spécialisés dans le financement des infrastructures alors même que de nombreuses sociétés portuaires, aéroportuaires ou de gestion des autoroutes peuvent être très rentables comme le montre l’expérience des pays voisins ». Rappelons que de son côté le ministre du commerce M. Bekhti Belaib évoquait récemment un possible emprunt auprès des autorités chinoises.
C’est la première fois qu’un haut responsable algérien évoque de manière aussi claire la possibilité d’un recours à l’endettement extérieur. Signalons que cet emprunt, probablement financé par l’Eximbank chinoise, aurait la particularité de financer un ou plusieurs projets d’infrastructures économiques. Elles devraient être, suivant les conditions généralement associées à ce type de financement, réalisées par des entreprises chinoises.