Economie / Vers une meilleure gouvernance des entreprises publiques

Redaction

L’Algérie doit revoir dans l’urgence sa stratégie vis à vis des hydrocarbures et entamer un véritable renouveau pour construire un avenir prospère pour sa population. Il est grand temps pour nous d’abandonner définitivement une stratégie économique basée uniquement sur la rente pétrolière et investir plus sérieusement dans les vraies valeurs que sont le travail et l’effort.

Allant à contre sens du discours officiel, je dirais que notre pays n’a pas encore opté pour un choix économique clair. Nous avons effectivement pris conscience de l’échec et des limites de l’option socialiste la fin des années 80 et entamé alors des réformes économiques au sens petit du terme et qui n’ont pas encore abouti à ce jour. Nous sommes toujours depuis 1989, dans une phase de transition vers une économie de marché.

Il serra question ici d’identifier quelle serait la meilleure voie pour « normaliser » notre économie et l’intégrer progressivement à la mondialisation pour en tirer le meilleur parti. En d’autres termes, il s’agira de voir quel contenu donner à nos réformes économiques et sur quoi il y a lieu d’agir pour sortir de la dépendance des hydrocarbures et entamer une authentique diversification de notre économie nationale et qui sera la seule à nous garantir un avenir prospère.

Pour ce faire, le premier chantier d’urgence à ouvrir serait de revoir de manière radicale, la gouvernance des entreprises publiques. L’objectif visé serait de faire des nombreuses et importantes entreprises publiques nationales une véritable force d’avant-garde quant à la mise en place de nouveaux modes de gestion compatibles avec la libre entreprise et la sanction du marché.

Le défie à relever est celui de faire des entreprises publiques algériennes des lieux de production et de création de richesse. Une entreprise qui ne produit pas de richesse s’appauvrit au fur et à mesure pour normalement disparaître. Nos entreprises, crées pour la plus part par décret au lendemain de l’indépendance, continuent d’exister à ce jour. Certaines, accumulant déficit sur déficit sont pour autant rendre des comptes. Combien d’entreprises ont été mises en faillite depuis l’indépendance à ce jour ? Presque aucune !

L’entreprise publique a toujours fonctionné dans la facilité. Aucune obligation de résultat ou de performance ne lui était exigée. L’accès aux sources de financement était administré et sans aucune condition ou critère économique préalable. Le souci principal des entreprises industrielles était de produire. Produire quoi ? Pour qui ? A quel prix ? Des interrogations auxquelles ces entreprises étaient totalement indifférentes. L’essentiel était de satisfaire au plan de production. D’autre part, l’entreprise a beaucoup plus fonctionné en tant qu’entité sociale loin de tout impératif économique et ca continue d’être le cas même aujourd’hui.

L’entreprise publique algérienne souffre depuis plus de trente ans. Son mode de gouvernance archaïque hérité du système dit « d’économie planifiée » ou l’Etat jouaient un rôle prépondérant. Le mode de nomination des patrons de ces entreprises publiques a survécu à toute les transformations ayant touché l’économie nationale bien que celles-ci ne soit que très modestes. A ce jours, les patrons de ces entreprises sont  nominés par décret ce qui soulève l’éternelle question des critères d’appréciation de ces cadres. Sont-ils nommés sur la base d’un curriculum vitae et des résultats obtenus en termes de gestion au cours de leur carrière ? Sur quelle base une tutelle procède à la désignation d’un PDG d’entreprise. La compétence, le dur labeur, l’effort soutenu dans le travail, les résultats obtenus ? Le réseau de relations ? ou d’autres moyens ou critères ?

Il faut souligner qu’il y a très peu (ou plutôt pas du tout) d’entreprises algériennes où il y a existence d’un contrat d’obligation de résultat et d’objectifs précis à atteindre sur la base desquels s’engagent le conseil d’administration et le PDG vis-à-vis des autorités de tutelle. Il n’existe aucun lien entre la rémunération du cadre dirigent et les résultats obtenus en matière de gestion.

Et pour ce qui a trait à la question de la propriété des entreprises publiques, des réponses doivent être apportées aux questions de savoir Qui est le propriétaire de l’entreprise publique ? Qui est le propriétaire légal ? Et qui est le propriétaire réel ? Agis-t-il en tant que patron ?  Quel est le degré d’implication des acteurs de l’entreprise dans la formation du résultat ? Quelle est la cohérence entre leurs stratégies individuelles et les intérêts de l’entreprise ? Quelles sont leurs motivations ?

Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre avec objectivité. Les différents acteurs font semblant d’être ce qu’ils sont statutairement. En fait, il est certain que s’ils étaient réellement les véritables propriétaires des entreprises, ils ne nommeraient pas les mêmes personnes. Un administratif ou un fonctionnaire n’aura jamais le réflexe d’un propriétaire ou d’un entrepreneur.

Qu’en est-il aujourd’hui du nouvel environnement des entreprises ? Le monde est actuellement en reconstruction, instable et incertain. L’ensemble des pays de la planète essaye d’épouser la dynamique économique des puissances du moment pour tenter de rattraper le plus possible de retard et ce constat est valable pour l’ensemble des pays qui veulent émerger.

La stratégie mise en œuvre doit viser l’intégration progressive à la division internationale du travail, participer activement à la construction de l’économie mondiale pour finalement en tirer des avantages substantiels. Le moyen utilisé passe inéluctablement par la transformation des rapports économiques dominants et procéder à la mise en place de l’économie de marché.

Pour ce qui est de l’Algérie, il lui est vital d’opérer de profonds changements dans les modes de pensée économique en cours jusque là  et ce dans le but d’intégrer cette dynamique car il y va de sa survie. L’entreprise publique Algérienne jusque là protégée par l’Etat contre la force régulatrice du «marché» devra s’assumer pleinement et se prendre en charge.

Suite au désengagement inévitable de l’Etat (et il est inutile d’insister sur les conséquences dramatiques qu’a eu la protection des entreprises publiques sur les ressources du pays), l’entreprise publique est condamnée à être performante si elle veut survivre et se préparer à la sanction du marché. Les cadres et chefs d’entreprises sont concernés directement et en premier lieu pour conduire cette mutation et mettre toutes les chances de leur coté et réussir.

Ce qui caractérise le plus le nouvel environnement dans lequel aura à évoluer l’entreprise publique (dans certains cas, c’est l’environnement dans lequel elle évolue déjà), c’est la «difficulté». L’entreprise publique a toujours évolué dans la facilité et de ce fait, elle n’a pas grandement évolué dans la maîtrise des outils de gestion. C’est dans les situations de difficulté que nous évoluons et progressons.

Innovation, créativité, recherche et développement, résolution  de problèmes, effort continu et soutenu dans le travail doivent être le leitmotiv de l’action des cadres. L’action la plus urgente à entamer est la «revalorisation du travail». Cette action urgente à mettre en œuvre nécessite la définition d’une politique de gestion de la ressource humaine et ses implications sur l’organisation.

Quelle sera alors la perception du changement dans l’entreprise publique ? Nous sommes tous prisonniers de nos théories. Cela forme la manière de percevoir et de traiter l’information que nous recevons allant jusqu’à influencer la manière d’appréhender les choses. La personnalité, l’expérience personnelle, les préjugés et la formation, sont autant de filtres par lesquels passe l’information qu’on reçoit. Tout cela fausse considérablement notre analyse de la situation et constitue un piège dont il s’agira de prendre conscience, car les choses ne sont pas toujours comme on les perçoit.

Les blocages et réticences des cadres se font en particulier au niveau de la perception de l’économie de marché. Cette dernière est perçue comme étant le passage d’une situation de «facilité» (et de certitude) à une situation de «difficultés», de «complexité» porteuses de nombreuses «incertitudes». La principale contrainte observée est l’évolution et l’adaptation dans la difficulté. L’intérêt de la formation à ce niveau n’est plus à démontrer.

Comment que sont les relations entre les travailleurs et leur entreprise ? La relation entre les travailleurs et leur entreprise est intéressante à analyser dans la mesure où elle nous permet d’apprécier la situation dans laquelle se trouve l’entreprise publique Algérienne. L’entreprise publique Algérienne est généralement assimilée et identifiée à l’Etat par les travailleurs et ce dans leur appréciation de la situation.

Force est de reconnaître que la dévalorisation de l’idée et de la perception de l’Etat par le citoyen, a finit par ne faire appréhender les institutions publiques (et les entreprises publiques sont du lot) que sous l’angle de leur caractère inique. Telle est la perception de l’Etat chez le citoyen, décrite si bien par feu M’hamed BOUKHOBZA dans son livre «Octobre 88 – Evolution ou rupture ?».

L’Etat est rendu responsable du désordre qui règne dans la disponibilité des biens indispensables à son épanouissement. Pour le citoyen (le travailleur de l’entreprise publique est un citoyen), ses difficultés quant à la satisfaction de ses besoins ne peuvent provenir que de l’incohérence et du mauvais fonctionnement des structures créées – suivies et contrôlées par l’Etat.

L’inversion des hiérarchies sociales et particulièrement en termes matériels, entretient le sentiment non fondé objectivement, que seules certaines catégories sociales en ont tiré profit. En réalité tout le pays a profité de l’effort de développement mais peu sont satisfaits de leur condition.

Au plan de la perception sociale, l’Etat est rendu responsable de deux situations aussi graves l’une que l’autre. La première c’est d’avoir promis beaucoup par rapport à ce qu’il offre effectivement. La seconde est d’avoir porté atteinte, voir facilité la remise en cause de l’échelle des valeurs qui constitue la base de la cohésion sociale. L’entreprise publique étant assimilée à l’Etat voit sa relation avec les travailleurs se faire sur le mode du conflit et de la contestation.

Plusieurs choses sont reprochées à ces entreprises qui sont aujourd’hui accusées de consacrer la médiocrité et l’incompétence de certains cadres qui parviennent à décrocher des promotions qui ne sont pas basées sur le mérite. Les meilleurs éléments ne bénéficient pas automatiquement des meilleurs avantages sociaux et de rémunération.  Ainsi, c’est toujours les mêmes qui travaillent et n’ont aucune considération. Ils sont mal payés et souvent sanctionnés : Les «nègres» de l’entreprise. Les plus mauvais, les fainéants sont quant à eux, bien considérés. Ils ne travaillent pas assez et sont les mieux payés. Ils profitent le plus des avantages qu’offre l’entreprise et ne sont jamais sanctionnés. Les profiteurs de l’entreprise ne font rien. Bien au contraire, ils sont à l’origine de beaucoup de problèmes.

Quels seront alors les leviers fondamentaux du changement dans l’entreprise publique algérienne ? Le diagnostic établi sur la situation actuelle de l’entreprise publique dans toutes ses dimensions est révélateur quant à l’état de délabrement dans lequel se trouve un certain nombre d’entreprises qui sont appelées à affronter la force régulatrice du «marché». Le problème lié à leur survie trouvera sa solution dans les réponses aux questions fondamentales suivantes : Comment réussir le passage obligé vers un environnement de marché ? Et Comment minimiser la résistance des acteurs de l’entreprise et réussir à les remobiliser ?

Pour ma part, j’estime qu’il y a avant tout un travail urgent à accomplir et qui consiste à «revaloriser le travail». En d’autres termes, il s’agira de savoir comment «mobiliser» activement la ressource humaine seule capable de répondre aux défis actuels.

La formation et le perfectionnement des cadres dans la maîtrise des outils de gestion sont une nécessité impérieuse pour la réussite du passage à l’économie du marché. Cette formation aura également pour but de faire adopter aux cadres de nouveaux réflexes, attitudes et comportements dans la gestion des entreprises.

La formation, à travers son contenu, devra préparer les cadres à affronter les incertitudes du marché et leur faciliter l’évolution dans le nouveau contexte. Cette formation doit être intégrée dans la stratégie de l’entreprise, comme instrument du changement et passer de la Formation/Sanction à la Formation/Promotion. Cela permettra certainement l’émergence de compétences dans le domaine de la gestion.

Faut-il donc privatiser nos entreprises publiques ? Ce qui est sur, c’est que dans le cas d’une privatisation des capitaux des entreprises publiques (ou d’une partie de ces capitaux), on verra l’émergence d’un nouveau lobby ou groupe d’influence. Ce dernier agira en qualité de véritable propriétaire au sein de l’assemblée générale des actionnaires et aura son avis à donner sur le mode de gestion des entreprises. Cela aura inévitablement une répercussion positive et certaine sur la qualité de gestion.

En, conclusion je dirais que la précarité est le moteur de l’évolution et du changement. Il est grand temps de revenir à une situation normale. La difficulté, les contraintes et la précarité sont les moteurs de l’évolution, du changement et finalement du progrès. Nos entreprises (et cadres) ont toujours fonctionné sur le mode de la facilité et c’est normal. Il ne leur a jamais été demandé de faire des efforts dans l’amélioration de la gestion, ni exigé des résultats.

Il est grand temps de mettre en place l’évaluation des résultats de l’encadrement de manière rationnelle et permettre l’émergence de compétences, seules capables de répondre aux défis. Sans ces conditions, il ne faut pas se leurrer. Aucune évolution notable n’est à espérer.

Labdi Abdeldjelil