Finances/ Abderrahmane Benkhalfa sera-t-il capable de soigner la fièvre dépensière de l’Etat ?

Redaction

A peine installé, le nouveau ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa, va devoir faire face en priorité au vaste chantier de la réforme des finances publiques. Sera t’il en mesure d’ amorcer le virage de la réduction des dépenses de l’Etat ? Ce qui est déjà certain c’est qu’on aura désormais un bon communicateur au ministère des Finances. Ce qui nous changera agréablement du style incroyablement terne de son prédécesseur qui n’était manifestement pas l’homme de la situation.

La désignation d’ Abderrahmane Benkhalfa à la tête du ministère des Finances doit-elle être interprétée comme un signal positif ? Au cours des dernières années cet expert financier, certainement l’un des meilleurs connaisseurs de notre système bancaire, a retrouvé une grande liberté de parole après avoir été longtemps le délégué de la très officielle association des banques algériennes. L’ancien porte parole de l’ABEF s’est en particulier signalé par une vive critique de la politique financière de notre pays, dans un contexte de forte réduction de ses revenus pétroliers.

Une situation financière alarmante

La situation financière du pays est loin d’être rassurante. La perspective de gros ennuis en la matière pour notre pays se rapproche dangereusement. Au cours des derniers mois, les mauvaises nouvelles se sont accumulées. Après avoir amassé régulièrement des réserves de change importantes depuis plus d’une décennie, l’Algérie est en train de les consommer à une vitesse accélérée sans apparemment être en mesure de trouver une parade en réduisant le niveau de ses dépenses. Au cours des derniers mois, les avertissements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays se sont multipliés et le FMI, notamment, nous le répète avec insistance : le déficit global de notre balance des paiements devrait s’établir cette année et l’année prochaine à près de 15 % du PIB , ce qui représentera un prélèvement d’environ 28 milliards de dollars chaque année sur nos réserves de change. A ce rythme là, il ne restera pas grand-chose de nos réserves financières dans 5 ou 6 ans.

Une réaction tardive

Dans ce contexte, la réaction des autorités financières algériennes est jusqu’ici restée tardive et en décalage. Elaborée au cours de l’été 2014, la Loi de finance 2015 est adossée à un prix de marché du baril de plus de 100 dollars et n’a pas pris en compte la dégringolade des cours du brut enregistré surtout au cours du dernier trimestre 2014. Comme si de rien n’était, et tout comme tous ceux qui l’ont précédé depuis 2008, le budget de l’Etat pour l’année en cours est inscrit sous le signe d’une importante croissance des dépenses publiques. Un rythme d’augmentation cinq fois supérieur à celui du PIB. Avec notamment des dépenses de fonctionnement qui devraient frôler la barre des 5000 milliards de dinars (près de 55 milliards de dollars) .

Le test de la Loi de finances complémentaire pour 2015

L’une des premières priorités du nouveau ministre va donc être de plancher sur une Loi de finances complémentaire pour l’année en cours qui est devenue indispensable pour corriger les aspects les plus voyants du dérapage des dépenses publiques. La Loi de finances complémentaire 2015 , à laquelle Abderrahmane Benkhalfa voudra sans doute attaché son nom, pourrait marquer une date importante. Jusqu’ici toutes les Lois de finances et spécialement les Lois de finances complémentaires, n’ont fait qu’ajouter des dépenses aux dépenses. Ce sera la première fois depuis des décennies que les experts du ministère des Finances seront invités à couper dans les dépenses et à chercher des ressources de substitution pour le budget de l’Etat. Un exercice auquel ils ne sont pas habitués et qui ne se fera certainement pas sans difficultés. On attends donc avec beaucoup de curiosité le résultat du travail qui devrait être dévoilé après l’été et sur lequel les fonctionnaires de Ben Aknoun ont déjà commencé à plancher.

« La loi de finances gagnerait à être repensée »

Compte tenu des délais très courts qui sont impartis à la préparation de la dégringolade des cours du brut , il ne faut sans doute pas s’attendre, en dehors de ce changement de cap de la dépense publique, à des bouleversements importants dès cette année. En fait, le chantier le plus important qui attend nos finances publiques, et le nouveau ministre, pourrait être lancé en 2016. Dans ce domaine, Abderrahmane Benkhalfa a les idées claires. Lorsque nous l’avons rencontré voici quelques mois chez nos amis de Maghreb émergent, il nous confiait que « les dernières Lois de finances ont perdu toute lisibilité dès lors qu’elles sont basées formellement sur un prix de référence du baril de 37 dollars et qu’elles font apparaître, comme en 2015, un déficit de 22 % du PIB.» Benkhalfa assurait que « la Loi de finance gagnerait à être repensée », en suggérant les grandes lignes de ce qui ressemble à une nouvelle architecture des finances publiques algériennes. M. Benkhalfa appelle d’abord à une approche plus réaliste : « une Loi de finances ne doit pas seulement être une affectation de ressources mais une « photographie » de l’état de l’économie du pays ». Il appelle donc logiquement à reconsidérer le prix référence de 37 dollars sur lequel se base la Loi de finances en le portant à 50 dollars. Un prix de référence bien plus proche de la réalité du marché et qui ne constituera pas seulement une convention comptable mais au contraire une norme sur laquelle doivent être calées les dépenses de l’Etat0

Vers une « règle d’or budgétaire » ?

Principe de réalité, mais aussi principe de précaution : rejoignant l’idée d’une « règle d’or » suggérée par beaucoup d’experts algériens, Benkhalfa affirme en outre que les crédits de fonctionnement ne doivent plus être couverts par la fiscalité pétrolière qui ne doit financer que le budget d’équipement. « Dès qu’on commence à puiser dans la fiscalité pétrolière pour couvrir le budget de fonctionnement, cela signifie que nous ne sommes même pas capables de générer une fiscalité qui couvre les frais de nos administrations», nous assurait-t’il .

« Un vote du Parlement pour le recours au FRR »

En attendant que ces principes d’une gestion plus vertueuse portent pleinement leurs fruits, ce qui pourrait prendre de nombreuses années, les déficits de nos finances publiques risquent de perdurer. Abderrahmane Benkhalfa estime dans ce cas de figure probable que le recours au Fonds de régulation des recettes (FRR) pour combler le déficit budgétaire ne doit plus être systématique, comme c’est le cas actuellement. « Le FRR n’est pas une ressource ordinaire. Quand il y a déficit budgétaire, on ne doit pas recourir aussi facilement au FRR ». Le nouveau ministre suggérait donc que le recours à ce fonds fasse l’objet d’un vote des deux chambres du Parlement. Il ne reste plus qu’à commencer à mettre en pratique toutes ces bonnes intentions …..

Hassan Haddouche