Depuis le 22 juillet dernier, une nouvelle loi régit les opérations financières des banques et établissements financiers en Algérie. Une loi qui a été élaborée et imposée par la Banque d’Algérie sans aucun débat ou consultation préalables des acteurs et experts de ce secteur névralgique. Adoptée dans une conjoncture économique délicate pour le pays, cette nouvelle loi menace, en réalité, dangereusement l’investissement et l’économie. Explications.
« Une loi perverse ! », s’indignent de nombreux banquiers interrogés par nos soins au sujet de la fameuse Instruction « n° 02-15 du 22/07/15 fixant le niveau des engagements extérieurs des banques et établissements financiers ». Que prévoit exactement cette loi passée inaperçue et méconnue du grand public algérien ? « A compter du 1er Août 2015, le niveau des engagements extérieurs par signature des banques et établissements financiers ne doit à aucun moment dépasser une (1) fois leurs fonds propres réglementaires tels que définis par la réglementation prudentielle en vigueur », explique l’article 2 de cette nouvelle instruction.
Cela signifie clairement qu’une banque n’a plus le droit de financer des opérations d’importations dépassant une fois ses fonds propres, à savoir son capital social et toutes ses réserves. Ainsi, si les fonds propres d’une banque comme la BEA sont de l’ordre d’environ un milliards d’euros, elle n’a, désormais, plus le droit de financer des importations dont le cumul dépasse cette somme. Une seule exception est autorisée par cette nouvelle instruction. « Par engagements extérieurs par signature au titre des opérations d’importation, il faut entendre l’ensemble des engagements par signature afférents aux opérations d’importation, déduction faite des dépôts de garantie et provisions constitués en dinars au titre de ces opérations », précise à ce propos l’article 3 de cette nouvelle instruction. Cela signifie que les banques algériennes sont autorisées à octroyer un crédit documentaire pour un importateur si ce dernier finance lui-même en dinars cette opération d’importation.
Une mesure qui accompagne l’amnistie fiscale
A quoi doit servir cette nouvelle loi ? Plusieurs sources proches de la Banque d’Algérie ont expliqué à Algérie-Focus qu’elle constitue une importante mesure d’accompagnement pour le dispositif de l’amnistie fiscale mise en oeuvre récemment par le gouvernement. En vérité, les dispositions de cette nouvelle instruction vont obliger les importateurs à réintégrer leur cash dans le circuit bancaire, puisque les banques ne pourront plus financer à elles-seules les crédits documentaires dont ils ont besoin pour leurs opérations d’importations. De considérables sommes d’argent dissimulées par les barons de l’informel seront ainsi récupérées par les banques algériennes.
En second lieu, cette nouvelle instruction permettra d’éviter une crise de liquidités aux banques algériennes qui octroient, à tort et à travers, les crédits documentaires pour les opérations d’importation. Une crise de liquidités qui pourrait faire très mal à l’Algérie notamment en cette période où la chute des prix du pétrole fait perdre d’immenses recettes en devises au pays.
Favoriser le « chewing-gum » au détriment de l’industrie
Mais alors, où est le hic ? Les « brillants » dirigeants de la Banque d’Algérie ont tout simplement oublié d’exclure des nouvelles dispositions sévères de cette loi, les crédits d’investissement dont ont cruellement besoin les opérateurs et producteurs algériens. Cette nouvelle loi n’accorde aussi aucune facilitation pour les crédits documentaires nécessaires pour les opérations d’importation de la matière première ou des produits stratégiques comme les médicaments.
En clair, les banques algériennes ne peuvent pas consentir des prêts à moyen terme (3 à 7 ans) pour l’achat de matériels, de chaîne de production et de bâtiments industriels, si le montant de ces achats dépasse d’une fois leurs fonds propres. Cela implique que les investisseurs algériens qui veulent monter des projets industriels en Algérie seront désavantagés et exclus par les banques qui ne peuvent plus répondre à leurs besoins. Une situation inédite ou plutôt dangereuse, car les crédits d’investissement ne peuvent pas être traités comme les autres crédits documentaires appliqués aux opérations d’importation.
Un crédit d’investissement nécessite un paiement suivant un échéancier établi sur 5 ans avec un différé de deux années. C’est-à-dire que la banque qui finance l’importation de matériel industriel ou de chaîne de production paie l’achat de ces équipements et ne commence à toucher son remboursement que deux années plus tard, le temps que l’investisseur mette en place son usine et procède à sa mise en marche. En revanche, un importateur qui importe pour 10 millions d’euros rembourse son crédit documentaire en un temps record, puisqu’il lui suffit de revendre sa marchandise sur le marché national sans avoir à déployer un management industriel ni une logique commerciale innovante.
« Cette loi perverse aura un effet catastrophique sur les investissements en Algérie ! Les banques, par souci de rentabilité, ne vont pas travailler avec les investisseurs, mais privilégieront les importateurs qui rembourseront plus rapidement leurs crédits. Il est ainsi plus rentable de financer l’importation du chewing-gum que les Algériens vont cracher sur les trottoirs que l’importation d’équipements industriels pour un projet d’usine. Pour la simple raison que l’industriel algérien remboursera sa banque au bout de 5 à 7 ans avec un taux d’intérêt de 5 à 7 %, alors que l’importateur, qui ne crée aucun emploi, n’apporte aucune valeur ajoutée et ne prend aucun risque, remboursera son crédit documentaire au bout de quelques semaines », confie à Algérie-Focus, l’expert bancaire, Mohamed Kessal.
Ce dernier, comme d’autres consultants ou banquiers interrogés par nos soins, exprime son indignation face au manque de discernement des hauts responsables de la Banque d’Algérie. « Une banque centrale à contre-courant de l’Histoire ! Au moment où le gouvernement veut doter le pays d’une véritable production nationale, on pond des lois qui nuisent à l’investissement. C’est du jamais-vu ! », peste notre interlocuteur. Même au sein de la Banque d’Algérie, de jeunes cadres, plus au fait des grands enjeux de l’investissement, sont étonnés par l’absence de vision de leur tutelle. « Comment voulez-vous qu’une banque centrale dirigée par un personnel dont l’âge moyen est de 70 ans peut pondre des lois efficaces et en harmonie avec les nouveaux besoins économiques du pays ? », s’interroge un banquier algérien qui espère, enfin, un sursaut de bon sens pour corriger les méfaits dangereux de cette nouvelle loi.