Il faut sauver la figue de Kabylie

Redaction

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Le village de Lemsella, dans la commune d’Illoula, célèbre la 8éme édition de la fête de la figue. Cette grande fête, qui est de plus en plus populaire, a débuté jeudi, et prendra fin aujourd’hui, samedi. Nous nous sommes rendus sur place.

Une chaleur torride nous accompagne tout au long des plaines de Boubhir, avant d’atteindre Tabouda, le chef-lieu de la commune d’Illoula, situé à 60 km à l’est de Tizi Ouzou. Pour rallier Lemsella, village où se déroule la 8ème édition de la fête de la figue, il faut emprunter une route de montagne sinueuse. Des virages à 360°, mais des paysages panoramiques à couper le souffle. Au bout d’un quart d’heure de route, le petit village de Lemsella, adossé à une montagne, juste en-dessous du mont Chellata, s’expose enfin à nos regards.

Les rues étroites du village sont bondées : jeunes et moins jeunes, hommes et femmes déambulent à travers les ruelles de ce petit village kabyle pour découvrir les étals d’une vingtaine d’exposants, venus des quatre coins du pays. Objets traditionnels, mets de terroirs, objets artisanaux et autres produits traditionnels sont proposés aux centaines de visiteurs qui s’y trouvent en ce jeudi matin. En somme, les artères de Lemsella sont devenues, en l’espace de cette manifestation culturelle et économique, un véritable miroir d’une Algérie plurielle où plusieurs régions sont représentées. La cérémonie d’ouverture est marquée par l’allocution des représentants des autorités locales et de la wilaya. Des élus et des représentants de l’administration se sont relayés au pupitre pour louer les efforts des habitants de ce petit village, mais aussi afficher leur volonté de leur prêter main forte. Juste après les discours et les promesses, une cohorte de femmes, habillées en robes kabyles,  lancent un tonnerre de youyous, comme pour souhaiter la bienvenue à tous les visiteurs. Munis  d’un Bendir, ces femmes ont fait le tour de toutes les ruelles, en chantant des airs traditionnels.  La fête s’est officiellement implantée dans le village.

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Sous le slogan « terroir et moralité »

Bien au delà de l’aspect économique et culturel que revêt cette manifestation, la consommation de la figue dans cette contrée est soumise à un code qui reflète la grandeur d’âme de sa population. Le slogan retenu par les organisateurs pour l‘édition de cette année est « Terroir et moralité ». « Chez nous, dans le temps, on ne pouvait pas cueillir de figues avant l’appel du comité des sages pour annoncer l’autorisation de la cueillette », confie Hamel Mohamed,premier vice-président de l’association Tighilt, organisatrice de cette fête. « Chaque année, vers la fin du mois d’août, a lieu l’appel des sages pour autoriser tous les citoyens à cueillir les figues, une fois que celles-ci sont mûres. Les figues deviennent mûres plus vite dans le coté bas de la montagne. Donc, grâce à ce rituel, les villageois du coté bas et ceux sur les hauteurs de la montagne ont le droit de savourer ce fruit en même temps. L’idée étant de consommer ce fruit dans un esprit de communion et de partage », nous explique encore ce jeune responsable d’association dont l’âge ne dépasse pas la vingtaine. Ce rituel, qu’on appelle Thamuqint, est toujours de mise dans la région. « À travers le thème que nous avons retenu pour cette année, nous voulons réhabiliter cette tradition qui tend à se perdre de nos jours », ajoute notre interlocuteur.

Un bol d’oxygène pour le village

Le petit village de Lemsella est sorti de l’ombre depuis l’instauration de cette fête, au début des années 2000. A chaque édition, c’est tout le village qui se mobilise pour réussir ce rendez-vous populaire et festif. Les visiteurs qui viennent des différents coins du pays gardent une excellente image de cette contrée très accueillante et chaleureuse. Des subventions sont accordées par la wilaya de Tizi Ouzou, et l’APC d’Illoula à chaque édition. De  nombreux sponsors n’hésitent pas non plus à mettre la main à la poche pour aider à la réussite de cette fête.

Mais le but principal de cette manifestation n’est pas d’ordre commercial. Les organisateurs se sont donnés le pari de réhabiliter ce fruit emblématique, car la plantation des figuiers tend à disparaître des champs de la Kabylie. « Avant, je ne connaissais pas toutes ces variétés de figues. Je connaissais une ou deux, c’est tout. Mais depuis l’instauration de cette fête, je sais qu’on a une vingtaine de variétés et chacune est différente des autres », s’exclame Ali, un jeune habitant du village selon lequel, grâce à cette fête, les plantations de figues autour du village ont connu un boom exceptionnel.

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Tirer la sonnette d’alarme

Cependant, les organisateurs de la manifestation ne sont pas tant rassurés pour l’avenir. « Cette célébration est l’occasion d’exposer les problématiques de cette culture en déclin. L’enjeu est de perpétuer ces moments de joies, mais le risque est réel notamment si les autorités, la société civile et les opérateurs économiques ne réagissent pas. La figue, à l’image des autres produits du terroir, doit trouver sa place dans la chaîne de développement et les autorités sont mises devant leurs responsabilités. En ce sens, plusieurs projets ont été proposés par les organisateurs ; une pépinière de figuier, une unité de séchage et de conditionnement de figuiers. Mais ces projets restent encore sans suite », soulignent les membres de l’association Tighilt sur les prospectus distribués sur place. Leur cri va-t-il être entendu ? Seul l’avenir nous le dira.

Arezki IBERSIENE