La rentabilité financière des GNL, l'idée d'une OPEP gaz et la réunion du GNL16

Redaction

Le gaz conventionnel bouleverse la stratégie gazière mondiale.


I- De nouvelles mutations énergétiques mondiales 2015/2020

1-L’analyse de cette énergie importante ne peut se comprendre sans la replacer, à la fois dans la nouvelle configuration de la stratégie énergétique mondiale tenant compte des coûts, considérant la découverte de milliers de gisements (mais non rentables financièrement), ces recherches ayant occasionné des coûts entre temps non amortis, et du nouveau défi écologique entraînant un changement notable du modèle de consommation énergétique qui se dessine à l’horizon 2015/2020, comme en témoigne les centaines de milliards de dollars consacrés aux énergies renouvelables : aux USA (programme du président Barack Obama de plus de 200 milliards de dollars US), en Chine et en Europe gros consommateurs de gaz ; sans compter le projet Desertec Industrial Initiative (initiative industrielle Desertec) de plus de 500 milliards de dollars US axé sur le solaire, et enfin le regain pour l’énergie nucléaire à l’initiative de la France. Il faut faire confiance au génie humain, les nouvelles découvertes technologiques pouvant ouvrir d’autres perspectives que les énergies traditionnelles car les estimations internationales 2009 selon les vecteurs prix/coûts estiment la fin des réserves aux dates suivantes: pétrole – 2047, gaz – 2068/2078, (grâce au gaz non conventionnel le recul est de plusieurs décennies), le charbon 2140/2220 (deux hypothèses entre 130 et 200 ans, les techniques du recyclage du CO2 étant mises au point).

Nous savons qu’en moyenne, le prix de cession du gaz – tenant compte bien entendu des fluctuations du dollar monnaie de référence – est d’environ 1/10 du prix du pétrole, et ce malgré de lourds investissements. Encore qu’existent des différences de prix mais avec un écart faible et en fonction des zones géographiques et des modalités de contrat, le prix de cession étant indexé sur celui du pétrole.

Pourtant, l’expérience historique a montré que cette formule d’indexation pose problème. N’ayant pas toujours eu une proportionnalité : pour preuve au moment où le prix du pétrole dépassait 100 dollars, le prix du MBTU (ndlr : le MBTU «million d’unités thermales britanniques» égal à 27,6 mètres cubes), n’a jamais approché les 10 dollars, et actuellement, nous avons un cours du pétrole fluctuant entre 75/80 dollars et le prix de cession du gaz, malgré un hiver rigoureux, varie entre 5 et 6 dollars. Selon le ministre algérien de l’Energie, je le cite « le prix équitable du gaz est de 14 dollars. Il faut diviser le prix du baril de pétrole, actuellement autour de 80 dollars, par six, cela donne 13-14 dollars par MBTU, ce qui serait équitable ».

Cela est important pour l’Algérie puisque le gaz brut (GN et GNL) représente environ un tiers (1/3) de la valeur en devises de ses exportations et représentera beaucoup plus à l’avenir. Ses réserves de pétrole ne représentent que moins de 1% des réserves mondiales, et vont, à moins d’un miracle, vers l’épuisement dans moins de 18 ans. L’Algérie est mieux dotée en gaz, représentant actuellement selon les statistiques internationales 3% des réserves mondiales, (4500 milliards de mètres cubes gazeux estimation de 2006). Mais il faut tenir compte de la forte consommation intérieure, 85 milliards de mètres cubes gazeux d’exportation et 75 milliards de mètres cubes gazeux de consommation intérieure et ce, si toutes les unités programmés sont réalisées – cela posant d’ailleurs, le problème du prix de cession intérieur largement inférieur au vecteur prix international – soit au total une production annuelle de 160 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2014/2015.

C’est dans ce cadre que l’Algérie a programmé d’importants investissements, tant pour les canalisations (Medgaz et Galsi), que pour la construction de deux GNL (Skikda et Arzew), les exportations représentant 50% de gaz naturel et 50% de GNL, ce ratio devant tourner autour de 60% de GN et 40% de GNL à l’horizon 2014/2015. Pour ces investissements, au départ, il était prévu que Sonatrach approvisionne la côte Est des États-Unis d’Amérique.
Concernant la réunion d’Oran, rappelons que depuis les évènements début 2007, c’est l’Iran, pour des raisons politiques qui a relancé l’idée d’une Opep gaz à travers OGEC, lors de la visite d’une délégation russe, rejoint en mars 2007 par le président du Venezuela Hugo Chavez et son homologue bolivien Evo Morales qui ont signé un accord régional visant à la création de l’OPEGASUR (Organization of South American Gas Producing and Exporting Countries). Le 9 avril 2007 s’est réuni le 6ème forum ministériel des pays exportateurs de gaz (GECF – Gas Exporting Countries Forum), cette réunion intervenant après les déclarations de différents pays sur l’opportunité de créer une OGEC (Organisation of Gas Exporting Countries), à l’image de l’OPEP du pétrole.

Le GECF a été conçu à l’origine comme un lieu de coopération et d’échanges entre les pays producteurs et exportateurs de gaz, s’agissant d’échanger informations et expériences en matière d’exploration et de production, d’analyser les évolutions des marchés, de favoriser la pénétration du gaz dans le bilan énergétique mondial et d’améliorer le dialogue producteurs/consommateurs pour la sécurité des approvisionnements. Par la suite, les principaux pays exportateurs de gaz se sont dotés (en décembre 2008) d’une Organisation officielle, le FPEG qui pour rappel, était considéré comme une Organisation informelle, depuis sa création en 2001 à Téhéran (Iran), ses membres se réunissant une fois par an. C’est dans cette optique, du moins au départ, qu’a été décidé qu’Oran (Algérie) sera la capitale du gaz du 18 au 21 avril 2010.

L’Algérie, ayant déjà organisé le LNG4 en 1974 à Alger, et espérant rehausser le prix du gaz de 4/6 à 14 dollars le MBTU, ce forum doit réunir 11 pays membres, dont la Russie, premier producteur mondial de gaz, l’Iran et le Qatar qui, à eux trois, totalisent environ 60% des réserves mondiales, avec trois autres pays ayant le statut d’observateurs, dont le Kazakhstan et la Norvège. L’idée d’une OPEP gaz a été évoquée par certains membres afin de stabiliser les prix, encore que, le secrétaire général du forum, le Russe Leonid Bokhanovski, suivi par la suite par le premier Ministre Vladimir Poutine, a démenti, en décembre 2009, que l’Organisation allait se transformer en cartel sur le modèle de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Alors se pose deux questions stratégiques liées : une OPEP Gaz est-elle réalisable économiquement ? D’autre part : quelle serait la rentabilité financière des GNL face à la concurrence du gaz non conventionnel ?

II- Une OPEP Gaz est-elle réalisable économiquement et quelle serait la rentabilité financière des GNL ?

Pour répondre à ces questions il me semble qu’il est utopique dans la conjoncture actuelle de parler d’une OPEP gaz à l’image d’une OPEP de pétrole, ce qui ne signifie nullement qu’il ne faille pas favoriser les ententes entre les pays producteurs sans négliger un dialogue permanent avec les pays consommateurs et ce pour trois raisons.

1-La première raison est que : selon les statistiques internationales de 2008/2010, le commerce mondial de gaz naturel est essentiellement transporté par le biais du réseau de gazoducs (72 % contre 28% pour le transport par tankers de GNL). En raison de la faible proportion de gaz naturel échangée par rapport à la quantité produite, il n’existe pas véritablement de marché global mais des marchés régionaux, qui possèdent des organisations, une maturité et des filières différentes. Certes, contrairement au gaz naturel, le GNL, permet le développement de la concurrence sur des marchés traditionnellement tenus par des opérateurs historiques, de s’affranchir des tensions géopolitiques, source de volatilité des prix, de diversifier ses sources d’approvisionnement en atténuant la contrainte physique en faveur d’une liberté de choix commercial, de sécuriser ses approvisionnements en répartissant le risque sur un plus grand nombre de producteurs, mais la production et le transport du GNL exigent d’importants investissements. Le processus de liquéfaction à grande échelle représente 50 % du coût d’investissement de la totalité de la chaîne du GNL et les complexes complets de GNL coûtent chacun entre 3 et 5 milliards USD, selon les capacités, devant tenir compte de l’exigence de méthaniers appropriés qui ont un coût important, bien que ceci aient été réduits de façons significatives entre 1990 et 2010.

2- La deuxième raison est que les contrats tant du gaz naturel que du GNL sont dominés par les contrats à moyen et long terme, y compris sur des périodes allant de 20 à 25 ans, de façon à offrir un approvisionnement garanti de base, auquel peut s’ajouter un approvisionnement couvert par des contrats à court terme, pour les périodes de forte demande. Néanmoins des contrats à moyen et à court terme (ou transaction au comptant) sont en train d’apparaître. En effet, leur part de marché du GNL est passée de 1 % en 1992 à 8 % en 2002 et ont tendance à aller vers plus de 12 / 15 % entre 2007/2010, encore que la crise mondiale d’octobre 2008 a freiné cette tendance.

3- La troisième raison essentielle est la nouvelle donne depuis 2009. La crise économique a provoqué des bouleversements sur l’évolution des prix avec comme conséquence principale une déconnexion prononcée entre les prix du gaz et les prix du pétrole, liée à la progression de production de gaz non conventionnel aux Etats-Unis et à la surabondance de l’offre de GNL. Les schistes à porosité très faibles contiennent de grandes quantités de gaz provenant de la décomposition de matières organiques par des bactéries. Ils sont désormais exploitables grâce à la technique de fracturation hydrosiliceuse, qui consiste à envoyer du sable et de l’eau sous pression pour fracturer la roche et libérer le gaz piégé dans les pores.
Cette technique est encore plus efficace lorsqu’elle est associée à des forages horizontaux allant chercher les réserves dans l’ensemble de la couche et pas seulement à la verticale des puits. Le repositionnement qui s’opère aux Etats-Unis vers le gaz non conventionnel au détriment du GNL va modifier la donne au plan mondial et ils risquent d‘être rejoints par de nombreux pays comme la Chine, la Russie. Ceci explique la baisse vertigineuse du prix du gaz sur le marché libre spot depuis près d’une année et paradoxalement segmente encore plus le marché qui devient de plus en plus local. Pour Armelle Lecarpentier, chef économiste de Cedigaz, pour la filière gaz, l’embellie ne viendra pas plus du côté du gaz naturel, les volumes de gaz transportés par les méthaniers ont fléchi (-0,2%), à cause « de la forte contraction des importation américaines de GNL qui n’ont représenté que 18,3% du commerce GNL mondial. Cette nouvelle configuration des prix n’apparaît pas soutenable à terme et suscite des questions relatives à l’indexation des prix du gaz aux prix du pétrole dans les contrats long terme en Europe et en Asie ».

Analyse confortée courant décembre 2009 et janvier 2010 à la fois par Olivier Appert, le président de l’Institut Français du pétrole pour qui les réserves mondiales de gaz de schiste sont estimées à près de 900 tétramètres cubes, soit plus de quatre fois les ressources de gaz conventionnel et Jean Michel Gradt, dans le quotidien économique français les Echos pour qui « le succès du gaz non-conventionnel compromet l’essor du GNL et la flambée des prix du gaz aux USA et les progrès techniques ont conduit à une croissance forte de la production des gaz non conventionnels.

Au point que la production de ces derniers (c’est-à-dire gaz de houille, gaz de schistes et « shale gas »), moins chers à produire, dépasse aujourd’hui celle du gaz conventionnel : leur part dans l’approvisionnement en gaz passant de 39 % en 2007 à 44 % en 2008. Cette nouvelle donne aura un impact non négligeable sur le marché américain comme sur le marché mondial. Aux Etats-Unis tout d’abord, où les perspectives d’avenir du GNL s’assombrissent, le Department of Energy a revu à la baisse sa prévisions de demande de GNL de plus de 60 % à l’horizon 2020; d’où le gel voire l’abandon de plusieurs projets de regazéification. »

Les pronostics dans des analyse parues fin 2009 de la Statistical Review of World Energy l’American Clean Skies Foundation (ACSF) et Navigant Consulting Inc (NCI) confirment cette tendance lourde, les différentes sources de données auprès de plus de 60 grands producteurs de gaz naturel du pays estiment que le continent nord-américain recèle quelques 63 trillion de mètres cubes d’approvisionnement en gaz naturel, permettant de tenir plus de 100 ans. « Les évaluations et les estimations sur les réserves en gaz naturel sont très impressionnantes et ont, franchement, pris au dépourvu les prévisionnistes de l’industrie » indique Rick Smead, l’un des participants à l’étude et chef de projet chez NCI. Il fait dire que la course au gaz de schiste a démarré au début des années 2000 et, en moins de dix ans, la production de gaz de schiste représente près de 20 % de la production de gaz aux Etats-Unis et pourrait atteindre 50% en 2030. C’est la plus grande innovation énergétique de la décennie selon Daniel Yergin, de Cambridge Energy Research Associates et l’Agence internationale de l’énergie dans son « World energy outlook 2009 » qui souligne que ce « boom inattendu devrait contribuer à un important excédent de gaz dans les prochaines années » Et surtout, les experts jugent que des réserves d’une ampleur équivalente peuvent être trouvées en Europe ou en Asie. « C’est une percée majeure qui changera la géopolitique mondiale du gaz », selon le New York Times (janvier 2010) sous la plume d’Amy Myers Jaffe, expert en énergie de la Rice University.

Mais deux facteurs doivent être pris en compte. Premier facteur, les experts disposent encore de peu de données en dehors des Etats-Unis, notamment sur les risques environnementaux, qui sont loin d’être négligeables. Deuxième facteur, seuls les pays possédant beaucoup de réserves d’eau peuvent utiliser ces nouvelles techniques ce qui préfigure un bouleversement stratégique aux dépens des pays arides et semi arides comme l’Algérie et les pays du Moyen orient. En effet, on sait que le forage et la fracturation hydraulique des puits peuvent nécessiter un apport d’eau considérable. Aux États-Unis, où l’on utilise énormément d’eau pour la fracturation, les producteurs qui exploitent les schistes de Barnett (Texas) ont utilisé 1 % de toute l’eau consommée dans le bassin de Fort Worth en 2007. Cette nouvelle donne affaiblit les négociations des pays producteurs qui ont réalisé des contrats à moyen et long terme pour le gaz conventionnel.

III- Urgence pour l’Algérie de tenir compte de ces bouleversements mondiaux ?

A terme, cette baisse des prix du gaz aura des incidences sur les rentrées en devises du pays, la stratégie gazière algérienne ayant fortement misé sur le marché américain. En plus , outre qu’il faille tenir compte du fait de ces investissements fortement capitalistiques, il convient de se poser la question de l’affectation du surplus de rente aux autres secteurs, sachant qu’uniquement pour Sonatrach, qui procure 98% des recettes en devises du pays, le programme d’investissement pour les cinq prochaines années selon son planning est d’environ de 65 milliards de dollars, sous réserve qu’il n’y ait pas de réévaluation ; montant auquel il faut ajouter 15 milliards de dollars minimum pour Sonelgaz, soit au total 80 milliards de dollars.

Face à cette situation – et en plus la prise en compte de l’entrée croissante dans le marché du gaz de nombreux pays comme l’Irak (deuxième ou troisième exportateur mondial potentiel et également de pétrole), en Afrique et en Amérique latine concernant le gaz conventionnel, pays qui ont besoin de financements importants – des accords récents entre le géant russe Gazprom et l’Espagne et la France, sans compter les nombreux projets de canalisations à travers le monde, notamment vers l’Asie et les Balkans. Se pose alors, tant pour les canalisations (gaz naturel GN) que pour le gaz naturel liquéfié (GNL), la question de la place de Sonatrach dans cet échiquier stratégique mondial, et de la rentabilité financière de l’Algérie qui vient de consacrer plus de dix milliards de dollars à la construction de deux centrales GNL et des méthaniers, sans compter celles existantes qui nécessitent une rénovation pour asseoir leurs rentabilités financières sachant que l’amortissement de l’investissement durant une conjoncture normale est de 10 ans minimum.

Avec le prix actuel du gaz et certaines prévisions entre 2010/2015, il sera impossible de rentabiliser ces installations de GNL dans des délais raisonnables et se pose la question des prévisions du Ministère de l’Energie pour qui à partir de 2012 le pays connaîtrait des recettes supplémentaires estimées à presque 7 milliards de dollars par an après la mise en service des complexes, tels que celui du GNL3, en construction dans la région d’Arzew de 4,7 millions de tonnes de GNL par an. De plus, il faut compter sur l’inévitable épuisement des réserves et il est donc inévitable d’inventer un nouveau modèle de consommation énergétique et avec ses conséquences sur tout l’appareil de production algérien et les comportements des consommateurs.

Aussi, évitons de vendre l’utopie d’une OPEP de gaz équivalente à celle du pétrole, Tenons compte de la dure réalité de l’évolution du marché mondial pour la réalisation de nos investissements futurs (couple couts/qualité) en accélérant la réforme globale intiment liée à une nouvelle gouvernance. Ainsi s’impose un nouveau management stratégique du Ministère de l’Energie et des agences de régulation et surtout de prospectives stratégiques pour éviter des erreurs dans le choix des investissements. La responsabilité gouvernementale étant collective, puisque tout choix d’investissement passe par le conseil national d’investissement présidé par le premier Ministre et composé de plusieurs Ministres.

Sonatrach n’est qu’une entreprise qui concrétise ces choix stratégiques et posant toute la problématique de l’autonomie des entreprises publiques loin des interférences des Ministères en matière de gestion, ii l’on veut délimiter clairement les responsabilités. Sonatrach recele en son sein des cadres et ingénieurs brillants honnêtes dans leur immense majorité, devant éviter – après les derniers scandales financiers – de culpabiliser tout un collectif d’entreprise.

C’est que le pilier de tout processus de développement fiable est celui des ressources humaines, la valorisation du savoir d’une manière générale, loin des emplois rentes condition indispensable pour une production et exportation hors hydrocarbures, notre adaptation étant une condition de survie pour les générations futures. Cela pose, dès lors, la question de la sécurité nationale (un débat national) et donc de l’urgence d’une gestion démocratique de cette ressource éphémère.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert international, conseiller et directeur d’Etudes des Ministères Industries Energie (1974/1980- 1990/1995- 2000/2006) Professeur d’ université en management stratégique, auteur de trois ouvrages et d’une dizaine de contributions internationales sur la stratégie énergétique mondiale.