L’Algérie a-t-elle encore un avenir pétrolier ? par Hassan Haddouche

Redaction

Les scénarios du déclin pétrolier et gazier de l’Algérie sont dans l’air du temps. Nos économistes d’abord, suivis par les médias et par nos responsables politiques, commencent à s’inquiéter d’un possible tarissement de la rente procurée par les hydrocarbures.

Le phénomène n’est pas vraiment nouveau. Il était déjà au cœur du débat économique voici plus de 20 ans ; à l’époque, la baisse des prix pétroliers et l’explosion de l’endettement extérieur avait contraint le gouvernement algérien à faire appel au FMI pour sauver l’économie du pays de la faillite au prix d’un programme de réformes économiques très coûteux en terme de pertes d’emplois et de pouvoir d’achat pour la plus grande partie de la population.

La nouveauté des dernières années, voire des derniers mois, dans ce domaine, c’est qu’on ne parle plus seulement d’une possible baisse des prix du baril. Cette dernière est d’ailleurs déjà amorcée et elle devrait s’amplifier au cours des prochaines années si on en croit l’Agence Internationale de l’Energie qui ne se trompe pas souvent dans ses prévisions. Non, la vraie nouveauté, c’est qu’il est question maintenant de l’épuisement pur et simple de nos réserves en hydrocarbures.

L’Algérie pourrait importer du pétrole d’ici 2030

Les experts les plus sérieux nous parlent de réserves en pétrole qui ne dépasseraient pas une dizaine d’années de consommation au rythme actuel. Même les réserves gazières, qui voici quelques années étaient annoncées comme nous garantissant des revenus confortables pour encore plus de 30 ans, ont été brutalement révisées à la baisse dans la période toute récente. Elles ne dépasseraient pas une quinzaine d’années de consommation et notre pays pourrait devenir importateur net d’hydrocarbures vers 2030 ! Face à ces perspectives inquiétantes, il y a plusieurs façons de réagir. On peut, en simplifiant à peine, en distinguer 3 principales.

La rente est éternelle

La première est partagée, explicitement ou non, par beaucoup de nos responsables politiques et une grande partie de la bureaucratie d’Etat. Elle consiste à considérer que toutes ces prévisions sont sans fondement objectif et qu’en gros la rente est éternelle. De nouvelles découvertes de gaz et de pétrole conventionnels, des progrès techniques qui augmenteront les taux de récupération des gisements existants, de nouvelles ressources providentielles comme le gaz de schiste vont nous permettre de prolonger la durée de vie de nos réserves d’hydrocarbures et donc celle du modèle de gestion actuel de notre économie.

Nabni et l’après pétrole

La deuxième consiste à tirer la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce que font depuis quelques années beaucoup de spécialistes de l’économie. Fort heureusement, dans la période récente, certains d’entre eux ne se contentent plus de « crier dans le désert ». Ils tentent de faire des propositions pour faire bouger les lignes. Dans le cas précis des « jeunes universitaires » du think tank  Nabni, qui a publié au début de cette année un rapport sur les perspectives de l’économie algérienne, il s’agit même de beaucoup plus que ça. Le document produit après 2 années de travail et de consultations tous azimuts des compétences nationales n’a pas coûté un centime au contribuable algérien. C’est pourtant, tournant radicalement le dos à l’économie de rente, le bilan économique le plus complet et surtout le programme de réformes le plus détaillé, le plus rigoureux et le plus ambitieux que notre pays ait produit, toutes institutions confondues (y compris les plus budgétivores) depuis au moins 40 ans.

Le premier ministre, M.Sellal, qui s’est honoré en recevant longuement et en écoutant attentivement, dit-on, les auteurs de ce rapport s’est pourtant sans doute trompé sur sa véritable portée. Il ne s’agit pas d’un kit de « propositions concrètes » pour changer l’Algérie en 6 mois. Le rapport du groupe Nabni est une feuille de route à peu près incontournable pour n’importe quel gouvernement réformateur qui voudra assurer la transition de l’économie algérienne vers l’après pétrole au cours des 15 prochaines années.

La transition énergétique selon Mourad Preure

Entre ces deux conceptions opposées de l’avenir économique de l’Algérie, ils sont quelques uns qui, tout en ne croyant pas au déclin pétrolier de notre pays, veulent quand même transformer vigoureusement sa façon de gérer ses ressources énergétiques. Mourad Preure que j’ai rencontré hier au siège du site spécialisé Maghreb émergent est l’un d’entre eux. Le monsieur n’est pas n’importe qui. Il a été pendant près de 10 ans le conseiller pour les questions de stratégie des DG de Sonatrach avant d’être poussé vers la sortie, comme beaucoup d’autre cadres du secteur, par Chakib Khelil en 2005. Ses avis qui sont écoutés au delà de nos frontières ne sont malheureusement pas toujours accueillis d’une oreille favorable par nos responsables économiques.

La vision prospective de Mourad Preure est celle d’une Algérie qui doit « multiplier sa consommation d’électricité par 4 d’ici 2030 ». Pour lui, la question de la croissance de la demande énergétique renvoie à un enjeu plus fondamental. Il s’agit, ni plus ni moins, que de « la pérennité de l’Algérie en tant que nation » qui exige la construction de « grandes voies ferrées qui relieront Alger à Tamanrasset et à Adrar et permettront demain le brassage des populations dans un nouveau melting pot qui demandera la construction de grandes agglomérations elles aussi fortement consommatrices d’énergie ».

« Développer toutes les sources d’énergie »

Pour assurer la satisfaction d’une demande en augmentation aussi rapide, il faudra « développer toutes les sources d’énergie ». Dans le paradigme énergétique de demain, contrairement à une idée répandue, Mourad Preure en est convaincu : «le nucléaire va jouer un rôle important ». Aussi bien que l’énergie solaire, domaine dans lequel l’Algérie dispose d’atouts décisifs avec un ensoleillement exceptionnel à un moment l’industrie du solaire est en crise. D’ailleurs s’il avait un conseil à donner au gouvernement algérien ce serait de « constituer une cellule de veille pour voir tout ce qu’on peut acheter dans ce domaine en actifs industriels, surtout en Europe, ou les entreprises du secteur sont en crise à cause de la concurrence chinoise qui les a laminé ».

A propos de la question de savoir qui doit mettre en œuvre cette stratégie de transition énergétique, le spécialiste en stratégie industrielle n’a pas beaucoup de doutes. Pour Mourad Preure, il n’y a pas de place en Algérie pour 2 acteurs énergétiques. Dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, il faut avoir la masse critique et Sonatrach doit devenir une « puissante compagnie énergétique à l’image des grands groupes internationaux. Si une entreprise doit faire entrer l’Algérie dans le nucléaire ou le solaire, c’est Sonatrach, qui représente aujourd’hui encore ce que l’économie algérienne a produit de plus performant. La seule grande entreprise qui évolue aux standards internationaux et la seule qui soit en mesure de mener la diversification nécessaire de notre production d’énergie ».

Hassan Haddouche

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