Quand je vous dit que c’est une drogue! En Algérie le prix des carburants est bloqué depuis plus de 15 ans et vendu à un prix dérisoire. Le ministre des finances, M.Abderrahmane Benkhalfa vient d’annoncer que le gasoil allait être augmenté l’année prochaine de six dinars et le super de deux dinars. Un certain nombre de commentateurs nationaux, qui aiment caresser le public dans le sens du poil, n’ont pas manqué, ces derniers jours, de dénoncer vigoureusement le véritable « scandale » que constitue à leurs yeux le…« non respect de la séparation des pouvoirs ».
La décision, contenue dans le projet de Loi de finance 2016, doit en effet d’abord être approuvée par le parlement. Le ministre a donc dû se rendre en urgence devant la commission des finances de l’APN pour expliquer qu’il ne préjugeait pas de la décision du Parlement et voulait juste défendre le projet de l’exécutif. C’est bien fait pour lui , la prochaine fois M.Benkhalfa fera plus attention à ce qu’il dit quand il parle de l’addiction favorite des algériens
Ils sont fous ces scandinaves
S’il y a pourtant un domaine dans lequel les Algériens n’ont pas à se plaindre de l’Etat , c’est bien celui du carburant . Sous nos cieux bénis, le litre d’essence ou de gasoil est vendu en moyenne quatre fois moins cher qu’au Maroc (et on s’étonne qu’il y ait du trafic aux frontières) et même, deux fois moins cher qu’au Qatar, qui dispose pourtant de près de deux siècles de réserves d’hydrocarbures. Je ne vous parle pas de la Norvège, qui a beaucoup plus de pétrole que l’Algérie, et qui vend son carburant …20 fois plus cher que chez nous. Ils sont fous ces scandinaves!
En Algérie c’est tout pour l’automobile. Un mot d’ordre qui semble devenu un programme aussi bien pour le simple citoyen que pour les pouvoirs publics algériens. L’usage immodéré de la voiture est devenu un véritable problème de société dont les conséquences se mesurent d’abord en termes de nuisances et d’encombrements croissants et inextricables de nos routes.
Une croissance fulgurante de la consommation
La croissance de la consommation des produits énergétiques, stimulée par des prix dérisoires, est carrément vertigineuse. Plus de 15% par an pour les carburants selon des chiffres officiels communiqués dernièrement. L’Algérie produit déjà plus de 25 millions de tonnes de carburants. Elle en a importé pour plus de 3 milliards de dollars supplémentaires par an en moyenne entre 2011 et 2014. Les responsables du secteur ont dans leurs cartons plusieurs projets de nouvelles raffineries qui pourraient porter la production nationale à près de 50 millions de tonnes. Cette générosité de l’Etat ne profite d’ailleurs pas aux seuls Algériens mais alimente un bassin géographique énorme à travers un vaste trafic frontalier .
Un coût financier considérable et méconnu…
En Algérie, le coût financier de la politique de subvention du prix des carburants, mise en œuvre depuis des décennies, était jusqu’à une date récente quasiment passé sous silence, aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias nationaux. C’est seulement au cours des dernières années qu’on a commencé à l’évoquer. Et pour cause, si le coût du soutien des prix des produits alimentaires est relativement bien connu, environ 300 milliards de dinars (3 milliards d’euros) par an selon le dernière loi de finance, le coût de la subvention des produits énergétiques n’était jusqu’ici pas mesuré avec précision du fait qu’il s’opère par d’autres moyens que le budget de l’Etat ; essentiellement sous forme de rachat des dettes des entreprises concernées par le Trésor public.
Après différentes sonnettes d’alarme tirées au cours des dernières années, c’est un ancien ministre des finances, M. Abdellatif Benachenhou , qui évaluait, voici quelques mois, le coût global des subventions aux carburants à plus de 12 milliards de dollars en 2013. L’ancien ministre ajoutait que la consommation subventionnée du gaz et du pétrole, dont le taux de croissance ne cesse d’augmenter, «conduira dans une dizaine d’années à l’épuisement du surplus exportable».
…Mais aussi une authentique injustice sociale
Sans doute dans le but de répondre aux partisans du « modèle social algérien », si cher à M Sellal en particulier, Benachenhou ajoutait que ces subventions sont en outre à l’origine d’une véritable injustice sociale du fait qu’elle profitent non pas aux plus démunis, qui en général ne possèdent pas d’automobiles, mais à la fraction la plus aisée de la population algérienne. Selon les estimations de Benachenhou, « les subventions aux carburants font profiter 50% de la population de 95% des subventions implicites et explicites accordées par l’Etat ».
Le soutien des prix ou comment en sortir
Le gel des prix des produits subventionnés sur une très longue période, suivi d’un ajustement brutal et douloureux en période de raréfaction des ressources financières est une expérience que l’Algérie a déjà connu au début des années 1990. Comment éviter de se retrouver dans la même situation dans quelques années ? Le consensus sur le caractère globalement néfaste de la politique de gel des prix des carburants semble aujourd’hui s’élargir très rapidement dans le pays. Experts, think tanks, anciens responsables économiques et politiques se relayent pour recommander un ajustement progressif des prix pendant qu’il est encore temps. Nabni propose un rattrapage étalé sur six ou sept ans, à raison de 10 dinars d’augmentation par an. Benachenhou suggérait de commencer très modestement par une augmentation limitée à cinq dinars par an.
Face à cette pression croissante, la Loi de finance pour 2016, qui est examinée depuis quelques jours par les députés, commence par tenir une promesse qui date déjà de plusieurs années. Elle mentionne pour la première fois le coût des subventions énergétiques pour la collectivité. Un coût faramineux. Plus de 1500 milliards de dinars annonce le projet de budget 2016, soit plus de 15 milliards de dollars répartis à égalité entre subventions aux carburants et subvention du prix de l’électricité. Le projet annonce donc également une augmentation symbolique de deux dinars du prix du super et de six dinars pour le gasoil. C’est bien peu. A ce rythme là, il faudra 25 ans pour rattraper le coût de revient dans le cas du super. Pas sûr qu’il nous restera encore du pétrole à ce moment là.