Scandale ENOR: L’Algérie a perdu un milliard de dollars en bradant son or

Redaction

L’Entreprise d’exploitation des mines d’or (ENOR) est une filiale du groupe Sonatrach. Elle est au centre d’un scandale qui éclabousse le secteur des mines en Algérie. Un scandale qui n’a pas les faveurs de la Justice algérienne. Et pourtant, l’ENOR raconte l’histoire d’un pays qui a bradé son or, en perdant pas moins d’un milliard de dollars.

Tout a commencé en 2006, lorsqu’un homme, un cadre de cette entreprise, Adila Kaoues, a crié au scandale. Il est l’ancien directeur régional, aujourd’hui à la retraite, de l’ENOR de Tamanrasset. Entre 2005 et 2006, il a présidé aux destinées d’une entreprise vendue à la suite d’une ouverture de capital à un investisseur australien. Pour 14 millions de dollars, la compagnie australienne GMA (Gold Mines of Australia)  a acquis en 2003, 52 % des actions de l’entreprise publique qui exploitait deux mines d’or dans le Hoggar, wilaya de Tamarasset, à l’extrême Sud du pays. A l’époque, cette privatisation partielle était présentée comme vitale au sauvetage de l’ENOR d’une « mort subite ». Les Australiens avaient promis la réalisation d’un programme d’exploitation, de recherche et d’investissement très ambitieux au niveau des mines de Tirek et Amesmessa, situées respectivement à 500 et 550 km au sud de Tamanrasset.

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Mais ces promesses n’ont guère été tenues. Pis, au fil des années, la production de ces deux importantes mines a baissé de manière vertigineuse. En 2011, l’investisseur australien se retire carrément de l’ENOR et laisse derrière lui un bilan catastrophique. Ainsi, la production d’or actuelle  ne dépasse guère les 10 Kilos par mois au niveau de la mine de Tirek ! Pour limiter les dégâts, Sonatrach  a été obligée de reprendre la totalité des actions de l’Australien GMA et tous ses intérêts dans la mine de Tirek-Amesmessa. A l’époque, Youcef Yousfi, le ministre de l’Energie, avait reconnu publiquement que les Australiens ont failli à leur mission et n’ont guère respecté leurs engagements vis-à-vis de l’Algérie. « La méthode d’exploitation choisie et développée par GMA pour l’exploitation de la mine n’était pas la meilleure. GMA ne pouvait pas aller loin avec cette méthode. C’est pour cette raison qu’il s’est retrouvé dans une impasse », avait-il dit en août 2012.

Un production aurifère en chute libre, une entreprise publique paralysée et un milliard de dollars de perdu par l’Algérie ! « Oui, un milliard de dollars. C’est l’argent qui a été dilapidé et détourné depuis l’arrivée des Australiens. J’ai averti, pourtant, les autorités. Mais personne n’avait voulu m’écouter », témoigne aujourd’hui Adila Kaoues. « Les Australiens n’avaient rien apporté. Ils avaient menti. Ils n’ont rien investi et j’ai été témoin de plusieurs graves dépassements et détournements », s’indigne notre interlocuteur. Selon ce dernier, les Australiens ont bénéficié de cette privatisation parce qu’ils étaient « les amis de Chakib Khelil ». « Ils n’ont pas investi un seul de leurs sous en Algérie. Ils ont utilisé l’argent de banques algériennes, comme ce crédit d’exploitation de 67 millions de dollars contracté auprès de la Banque extérieure d’Algérie (BEA) pour financer son opération d’investissement dans les mines d’or d’Amesmessa et de Tirek », explique cet ancien cadre et directeur régional de l’ENOR qui avait accédé, entre 2005 et 2006, à des dossiers très compromettants.

« En réalité, ils ont saboté notre entreprise. En mars 2006, ils ont fermé l’usine de production d’or de Tirek. On y produisait jusqu’à 50 Kilos par mois. Ils ont prétexté des travaux d’entretien. En vérité, ils avaient opté pour une extraction avec une solution au cyanure. Une technique très coûteuse et très polluante », assure Adila Kaoues, lequel affirme avoir assisté à la passation de plusieurs marchés douteux. Des étrangers originaires d’Afrique du Sud et d’Afrique subsaharienne, payés jusqu’à 75 mille dollars par mois, du matériel usé importé à coup de plusieurs milliers de dollars, tels des perforeuses et des camions importés d’Afrique du Sud, ainsi que des quantités considérables d’or transférées jusqu’en Suisse pour les besoins du raffinage, constituent autant de pratiques illégales qui ont été décelées par l’ancien directeur régional de l’ENOR à Tamanrasset.

« Ils ont utilisé la rémunération des cadres expatriés pour transférer illégalement des devises à l’étranger, car les employés étrangers ne touchaient jamais les montants mentionnés dans leurs contrats. Le matériel usé importé servait aussi à transférer des devises à l’étranger et des kilos d’or ont été vendus illicitement en Suisse, alors qu’on pouvait facilement faire son raffinage ici en Algérie », dénonce Adila Kaoues. Ce dernier a établi un rapport accablant qui a été transmis au directeur général de Sonatrach de l’époque, Mohamed Meziane, au ministre de l’énergie et des mines, le tristement célèbre Chakib Khelil, et au Président Abdelaziz Bouteflika.

Suite à ces rapports qui contenaient des preuves tangibles, le DRS, les services de renseignement algérien, a convoqué à trois reprises Adila Kaoues. Ce dernier a été interrogé à Ouargla, Hydra et Bir Mourad Raïs. « J’ai tout raconté et expliqué aux enquêteurs du DRS », reconnaît Adila Kaoues qui a été, par la suite, menacé et contraint de démission de son poste de directeur régional. « J’ai été également traîné devant les tribunaux pour diffamation. Et pourtant, j’avais rencontré l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Bélaïz, à qui j’ai remis tout le dossier. Il avait chargé deux magistrats d’enquêter sur ce scandale. Mais cela n’avait pas empêché GMA de quitter l’Algérie sans être le moins du monde inquiété », s’indigne cet ancien cadre, qui n’oubliera jamais sa rencontre avec le controversé ancien ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil.

« Je l’ai rencontré une seule fois. Je l’ai interpellé sur ces pratiques douteuses et scandaleuses au sein de l’ENOR. Il m’avait répliqué :  « Tu as un salaire mensuel de 16 millions de centimes. Que veux-tu de plus ? De quoi tu te mêles ? », confie notre interlocuteur qui demeure à ce jour bouleversé par cette affaire. Une affaire qui a coûté à l’Algérie une perte sèche de plus d’un milliard de dollars, nous confirme une source proche de l’Inspection générale des Finances (IGF). Tout un projet économique a été gâché et la production d’or a chuté de plus de 52 % en 2011, et de plus de 22 % en 2012, période durant laquelle GMA avait décidé de plier bagages pour quitter l’Algérie.

Malheureusement, nos tentatives de joindre le ministère de l’Energie et la direction générale de l’ENOR sont restées vaines.