Le nouveau siège du Ministère des affaires étrangères algérien, c’est lui. Le Musée d’art moderne d’Alger, encore lui. Doué et dévoué, l’architecte et urbaniste algérien Halim Faïdi met son savoir-faire au service de son pays. Portrait.
« Le hasard et la nécessité ». C’est la réponse qui vient spontanément à l’esprit de Halim Faïdi lorsqu’on lui demande comment il est devenu l’un des architectes algériens les plus influents de sa génération. Issu d’une lignée de juristes et avocats, Halim se voyait dès son plus jeune âge arpenter à son tour les couloirs du tribunal d’Alger. Mais le « hasard » en a décidé autrement. « Je fais partie de la dernière génération d’Algériens qui a eu une scolarité bilingue à dominance francophone. L’année de mon bac, les autorités algériennes ont décidé de faire passer l’enseignement du droit exclusivement en langue arabe », se souvient ce quadragénaire. Halim ne sera donc pas avocat.
« J’ai tout appris en Algérie »
Après un D.E.S de physique à l’université de Bab Ezzouar à Alger, ce natif du quartier d’El-Biar s’inscrit à l’Ecole nationale d’architecture et d’urbanisme d’El Harrach (EPAU). Là, il est fasciné par les cours d’architecture, notamment d’urbanisme opérationnel. Une discipline qu’il définit comme « l’ensemble des actes et des procédures qui permettent de fabriquer de la ville ».
Diplômé de l’EPAU à la fin des années 1980, Halim décide de faire ses classes à l’étranger. Il part à Paris décrocher un Diplôme d’études approfondies en Architecture Urbaine. Bon élève, Halim remporte le Prix Tony Garnier et est médaillé de l’Académie française d’architecture et d’urbanisme en 1990 et se fait remarquer par le président de cette institution, Pierre Sirvin, Grand Prix de Rome. Ce dernier l’engage dans son cabinet. Très vite, Halim prend du galon et fonde son propre atelier d’architecture à Paris, toujours en activité aujourd’hui.
Il a beau avoir lancé sa carrière d’architecte en France, Halim se revendique comme un pur produit algérien. « J’ai tout appris en Algérie », affirme-t-il. Lorsqu’Abdelaziz Bouteflika lance un appel à la diaspora algérienne « pour se mobiliser et revenir reconstruire le pays » en 1999, au moment où il briguait son premier mandat présidentiel, Halim n’a pas hésité. « C’était une nécessité. Cet appel a résonné très fort en moi. Il fallait que je rende à mon pays tout ce qu’il m’avait donné : une éducation et une formation dont je suis fier, une santé gratuite, une liberté de mouvement incomparable jusque dans les années 1980 », confie l’architecte. Et puis, « si je ne contribue pas au développement de mon pays, alors ce n’est plus mon pays », s’est-il dit à ce moment charnière de sa vie. Halim fait sa valise, rentre à Alger et, quasi dans la foulée, fonde son cabinet d’architecture, aujourd’hui le « Studio A », installé sur les hauteurs de Chéraga.
Après deux années de prospection, à essayer d’ouvrir des portes, la persévérance de l’équipe de Halim paye. Le Ministre des affaires étrangères de l’époque, Abdelaziz Belkhadem, qui cherche un architecte pour dessiner les plans du nouveau siège du MAE le reçoit. Avant lui, le Ministre n’avait auditionné que des candidats étrangers. « Je lui ai demandé ce qu’il attendait de ce nouveau bâtiment. Il a dit qu’il voulait que ceux qui visitent le nouveaux Ministère des Affaires étrangères s’imprègnent de la culture algérienne. Je lui ai alors répondu qu’il suffisait pour cela de s’adresser à un architecte algérien », se rappelle Halim en esquissant un sourire. Il finit par gagner le marché en Septembre 2004.
Le défi est de taille. « Il me fallait créer un bâtiment suffisamment neutre et puissant pour traverser les siècles. Une Oeuvre qui allait devenir une référence en matière d’édifices de souveraineté et d’Architecture officielle », assure Halim.
Après sept années de travaux, le nouveau siège du Ministères des Affaires étrangères, érigé sur le plateau des Anassers, à Alger, est inauguré en 2011. Le résultat, un édifice moderne enrichi de subtiles « touches algériennes » : des cours, des escaliers, des jardins intérieurs, de grandes portes… », explique son créateur. « Je me suis inspiré des archétypes régionaux, maghrébins, de toute l’Afrique du nord à vrai dire », souligne-t-il. A l’extérieur, peu de fioritures et de fantaisies. Une apparence sobre et dépouillée voulue par son designer. « Pour découvrir toute la richesse du bâtiment, précieusement cachée à l’intérieur, il faut être introduit », explique Halim, qui dit avoir conçu la vitrine de la diplomatie algérienne à l’image du peuple algérien. « Nous sommes comme cela, nous autres Algériens. De grands introvertis ! Mais une fois qu’on ouvre notre cœur à l’autre, alors il est autorisé à découvrir notre véritable richesse », glisse Halim.
A 48 ans, l’architecte algérien réussit là un coup de maître, qui lui vaut la reconnaissance de ses pairs. En janvier 2013, Halim Faïdi est honoré du Premier Prix national d’architecture et d’urbanisme, mention Prix du Président de la République, pour la réalisation du siège du ministère des Affaires étrangères.
Du MAE au MAMA
Au même moment, Halim mène de front un second vaste projet public puisque, dans la foulée du MAE, son atelier d’architecture se voit confier en 2006 la réhabilitation des galeries algériennes, fermées depuis une quinzaine d’années. Le Ministère de la Culture voulait aménager dans cette bâtisse néo mauresque vieille d’un siècle le premier musée d’art moderne dans un pays arabe et le deuxième du continent. Ambitieux, le projet nécessitait au moins 3 ans de travaux, selon Halim. Mais son cabinet d’architecture a dû travailler dans l’urgence car le ministère de Khalida Toumi voulait son musée pour le lancement de la Capitale arabe de la culture à Alger en 2007. « 350 ouvriers algériens ont été mobilisés sur le chantier », progressant à une allure herculéenne, se souvient Halim. En décembre 2007, après neuf mois d’efforts acharnés, le MAMA accueille ses premiers visiteurs.
Depuis, Halim a entamé un bras de fer avec le Ministère de la Culture pour terminer le chantier. « Ce que vous pouvez visiter aujourd’hui n’est qu’une « préfiguration du musée » qui n’a jamais été rémunérée. Mon projet n’a pas été conduit jusqu’au bout à cause de la promotion que devait générer l’évènement de la Capitale arabe de la culture à de hauts fonctionnaires du ministère. Les travaux devaient reprendre à la fin de l’évènement », explique Halim. Ils n’ont jamais repris. Pire, le cabinet ministériel de khalida Toumi a relancé à zéro l’appel d’offre déjà remporté et en exécution par Halim Faïdi, et l’a confié à un architecte espagnol sans références. « C’est illégal, malgré un habillage formel tangent », s’indigne Halim, qui poursuit le Ministère de la Culture auprès de la commission nationale des marchés afin de le forcer à honorer son contrat. « C’est un crime culturel, un abus manifeste de position et un mépris digne du pire des sous-développements pour les forces éclairées de la nation. Mais, conscient et prudent, pour éviter tout dommage collatéral, je n’irais pas en justice contre une institution officielle de mon pays, même si celle-ci est sujette à la plus grande imposture de l’Histoire de l’Algérie indépendante. Cela reste pour moi une affaire privée de l’état et c’est pour cela que je n’ai pas souhaité rendre mes arguments publics. L’Histoire et un arbitrage libre me donneront nécessairement raison. Le temps joue pour les justes ».
« L’architecture en Algérie est un sport, un sport de combat aux règles instables », ironise Halim, un sourire en coin. Mais le jeu, aussi difficile soit-il, en vaut la chandelle. Car, pour Halim, l’urbanisme n’est pas un jouet, surtout pas en Algérie où la société est en construction. « L’urbanisme est au service de la société. Si la ville est malade alors la société tombe aussi malade et inversement », explique-t-il. Il n’est pas très étonnant alors que l’architecte déplore, à l’instar du Président de la République lui-même, la construction de cités dortoirs à un rythme effréné. Une « production industrielle dénuée d’architecture », regrette Halim. « Le logement type HLM ne s’intéresse pas aux gens, à l’humain. Il se contente de faire du chiffre. On ne s’est pas raccroché à nos standards architecturaux, type ksar, casbah ni même ville moderne type XIXème siècle. On a préféré générer des modèles bâtards, conçus in vitro à l’étranger dans les laboratoires d’entreprises de construction. Peut-être à cause d’une graisse qui s’est solidifiée autour des cerveaux et des cœurs, mon gouvernement achète avec une grande facilité des logements obsolètes en masse, payés en pétrodollars à des constructeurs étrangers sans qu’aucun algérien ne soit formé », lance désabusé Halim, qui craint que dans quelques mois déjà, l’Algérie soit confrontée aux mêmes problèmes sociaux, qui terrassent les banlieues des villes européennes inventrices de ces modèles de non-habitat.
25 ans de métier, une vocation née sur le tard, un curriculum vitae impressionnant, à l’orée de ses 50 ans, Halim Faïdi est sans nul doute devenu le type de bâtisseur brillant, dont l’Algérie a besoin.