Michel Vauzelle, Président de la région PACA, est un défenseur infatigable du rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée. Nous avons profité de sa visite à Alger la semaine dernière pour l’interroger sur l’état de la coopération euro méditerranéenne sur laquelle il porte un jugement sans ménagement mais aussi sur les perspectives d’une coopération nouvelle, plus ouverte à la société civile, et plus pragmatique qu’il appelle de ses vœux.
Votre engagement de longue date en faveur d’une politique méditerranéenne ambitieuse est bien connu en Algérie. Quelles sont les raisons de cet engagement ?
Michel Vauzelle: Depuis que je suis entré en politique, je me suis passionné pour la Méditerranée. Je considère depuis toujours que les peuples de la région partagent à la fois une communauté de destin et une philosophie commune de la vie. La Méditerranée est une chance pour l’Europe parce que ses peuples depuis l’Antiquité n’ont jamais renoncé à une volonté identitaire et à un amour de la liberté qui nous seront bien nécessaires dans l’avenir pour résister à la destruction des cultures portée par la mondialisation financière. Quand on parle à Bruxelles de « politique de voisinage », j’estime que nous ne sommes pas les « voisins » du Maghreb ou de l’Est de la Méditerranée. Nous vivons en « cohabitation ». Quand la moitié d’une famille vit à Alger et l’autre à Marseille, ce n’est pas le problème du « regroupement familial » qui se pose, mais bien plus celui du « groupement familial » de part et d’autre de la mer .
Vous portez un jugement souvent sévère sur les politiques mises en œuvre dans ce domaine, à la fois par la France et par l’Union Européenne.
Mon jugement est sévère parce que je suis exigeant. Notre politique méditerranéenne manque aujourd’hui à la fois d’ambition et de lisibilité. Ce que nous appelons la « question méditerranéenne » appelle une vraie prise de responsabilité de l’Europe, de toute l’Europe, non pas « pour la Méditerranée » mais « avec les peuples de la Méditerranée ». Le processus de Barcelone, qui portait une véritable ambition, n’a malheureusement pas donné les fruits qu’on espérait. Une des raisons de son relatif échec est sans doute à rechercher dans la façon dont ont été accueillies les propositions de Bruxelles. La technostructure bruxelloise est pleine de bonnes intentions mais sa démarche est souvent ressentie comme teintée de condescendance voire d’une certaine arrogance. L’Union pour la Méditerranée (UPM) était une idée très intéressante. Elle prévoyait symboliquement des rassemblements au plus haut niveau de Chefs d’Etat et l’instrument installé par Bruxelles était bien doté. Mais la démarche s’est heurtée aux réticences de l’Allemagne et peut-être aussi à celles des américains qui étaient sans doute, les uns comme les autres, inquiets de voir se renforcer le poids de la France en Méditerranée. Il ne reste aujourd’hui de cette belle idée que des rencontres diplomatiques ignorées des peuples et un secrétariat à Barcelone.
Précisément, pourquoi pensez-vous que la France doit jouer un rôle moteur en Méditerranée ?
Je considère que la France est au centre du lien euro-méditerranéen. Au sein de l’Union Européenne, la France doit jouer un rôle beaucoup plus important qu’aujourd’hui. Elle doit être la force de proposition qui donne à la Méditerranée toute sa place. La Méditerranée n’est aujourd’hui clairement pas une priorité pour l’Union Européenne. Pourtant, en même temps, l’Europe continue d’y porter et d’y financer bon nombre de politiques et de dispositifs souvent éparpillés et méconnus. Pour renforcer l’efficacité de ces politiques, la France a une légitimité et une expérience. Elle doit remplir ses responsabilités. La France peut nourrir l’ambition, si elle organise mieux ses propres forces et si elle exploite mieux ses atouts, de jouer pleinement son rôle d’interface entre l’Europe et les pays du Maghreb en particulier. Acquérir cette crédibilité est aujourd’hui un grand projet pour la France. C’est celui que l’Allemagne par exemple a su réaliser avec les pays d’Europe de l’Est en pré-adhésion à l’UE. L’Allemagne a réalisé cet exploit sans heurter les sensibilités de l’Europe des 15 à l’époque. Elle a su tirer parti d’une proximité historique et géographique qu’aucun autre pays européen ne pouvait revendiquer avec la même légitimité.
Les diasporas ont-elles un rôle particulier à jouer dans cette démarche ?
Entre la France et l’ensemble du Maghreb, il existe une réalité humaine qui est une richesse morale et politique unique pour la France et pour l’ensemble de la région. Sur ce point, le rôle de la diaspora et de toute la jeunesse française d’origine maghrébine doit être mieux connues, reconnues et soutenues. Si la communauté franco-maghrébine parvient à rassembler toutes ses forces économiques, culturelles et humaines elle est capable de constituer une véritable puissance politique, démographique et économique qui pourra prétendre peser sur l’avenir de l’espace euro-méditerranéen et du monde .
Pour relancer la coopération entre l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée, vous proposez des concepts nouveaux comme une « diplomatie participative » ou une « coopération populaire ». Quelle est leur signification ?
Ce qu’attendent aujourd’hui nos peuples, c’est le respect que leur doivent leurs responsables politiques et économiques quant à leur situation matérielle et sociale. Nos Etats doivent mettre au point non plus de nouvelles institutions désespérantes à force d’être décevantes, mais plus simplement de nouveaux outils. Ce sont eux qui, dans la vie quotidienne et la proximité, répondront aux exigences nouvelles de la société civile et de la jeunesse qui veulent non seulement être entendues mais également participer aux responsabilités de la communauté. C’est une nouvelle façon de concevoir la politique qui est en question. Il n’y a pas une politique « par le haut » avec les Chefs d’Etat et les ministres, d’un côté, et une politique « par le bas » qui serait celle des élus locaux et des associations de la société civile, de l’autre. Dans l’esprit de ce que j’appelle une diplomatie participative, les parlementaires et les élus locaux doivent, en accord et avec le soutien des gouvernements, aider la société civile et d’abord la jeunesse, à se rencontrer pour réfléchir, discuter et mettre en place une véritable « toile » de coopération et de co-développement. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes dans les domaines les plus divers ont démontré déjà qu’ils sont prêts à agir pour rendre dignité et espoir à nos peuples. Qu’il s’agisse, entre autres, des défenseurs de l’environnement des rivages et de la mer, des associations humanitaires et culturelles, des chefs d’entreprises ou des universitaires et des chercheurs .
Est-ce dans ce but que vous avez créé la « Villa Méditerrannée » ?
Tout à fait. J’ai pensé qu’il fallait qu’il y ait en France un lieu où, au lieu de parler des blessures du passé, on pourrait parler de l’avenir. Un lieu ouvert à la fois aux institutions et aux acteurs de la société civile. Il s’agit pour nous de montrer qu’une autre Méditerranée est possible. En avril 2013, nous avons réuni à la Villa Méditerranée, à Marseille, des centaines de jeunes venus de tous les pays de la Méditerranée. Ils ont rencontré et ont discuté avec plus de deux cents représentants des régions méditerranéennes et quarante-deux présidents de parlements arabes et méditerranéens. Ceux qui y ont participé m’ont dit garder le souvenir de journées proprement « révolutionnaires » parce que, dans le respect mutuel, la jeunesse de nos pays a pu débattre avec ses représentants au sein même d’assemblées élues. Personne ou presque n’a parlé de cet événement parce qu’il n’y avait pas de Chefs d’Etat. La société civile et de simples élus du peuple ne font pas l’événement. Mais cette époque est terminée.
Votre démarche semble accueillie plutôt favorablement aujourd’hui par le gouvernement français puisque vous avez été chargé , voici un peu plus d’un an par le Président de la République française, de formuler des propositions qui s’inscrivent dans une «Méditerranée des projets ». Quel est le contenu de ces projets ?
Il s’agit pour nous de formuler « des projets dans le cadre d’une démarche à la fois ambitieuse et pragmatique » selon les termes employés par François Hollande lui-même. Ces projets peuvent être évidemment de grands travaux d’intérêt commun et la mise en œuvre de chantiers bénéfiques aux deux rives. De tels chantiers ne manquent pas, comme ceux qui concernent une entente méditerranéenne sur les problèmes de l’eau, de l’environnement ou de la pêche. La réponse de l’énergie solaire ou éolienne au défi énergétique est également, parmi d’autres, dans tous les esprits. Mais il s’agit aussi pour nous d’identifier des domaines de coopération et des propositions d’actions qui pourraient avoir un écho immédiat, politique, économique et populaire et qui concernent en particulier la jeunesse de nos pays. Pour ne citer que les plus urgentes des propositions d’action que nous avons formulées, je mentionnerais celle qui concerne la création d’un espace franco-maghrébin de la formation professionnelle; une initiative dans ce domaine peut être rapidement prise en mettant à profit les ressources au niveau européen qui existent déjà et ne sont que faiblement utilisées. Une autre piste concerne la formation des jeunes chefs de micro-entreprises dans le but de contribuer au développement d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui constitue un enjeu clé pour l’avenir économique et social des pays méditerranéens et ceux du Maghreb en particulier.
Propos recueillis par Hassan Haddouche