Les mesures de « facilitation bancaire » promises par le gouvernement sont désormais connues. Fidèle à son image de gestionnaire pragmatique, Abdemalek Sellal avait affirmé à l’occasion de la tripartite de novembre dernier que « les tracasseries rencontrées par les citoyens qui veulent déposer leur argent dans les banques ou ceux qui veulent en emprunter, doivent absolument disparaître ». Le premier ministre avait également, dans des termes qui ont retenu l’attention, demandé à la Banque d’Algérie de s’en occuper « immédiatement ».
Il n’est pas question de sous-estimer ou de traiter par la dérision le train de mesures annoncé par l’exécutif : faciliter l’ouverture de comptes bancaires, au profit des particuliers et des entreprises, alléger les démarches administratives sont bien sûr des décisions qui vont dans le bon sens, d’autant plus qu’elles sont accompagnées de décisions concernant l’encouragement fiscal d’une activité comme le leasing et l’investissement des PME . Malheureusement la circulaire du premier ministre ne suffira pas pour booster le secteur financier algérien.
En dépit des apparences et malgré la publicité qui les entourent et des échos médiatiques favorables, ces annonces se situent dans le droit fil d’une “réforme bancaire et financière” qui tourne au ralenti depuis près d’une décennie. Elles en appellent beaucoup d’autres, représentant une dimension différente, si on souhaite combler les retards considérables accusés par le système financier national.
Agences bancaires ; sous bancarisation et autorisation préalable
A quel niveau se situent les retards les plus importants ? Quelles sont les pistes qui permettraient de commencer à les combler ? La mesure sans doute la plus simple qui permettrait de rattraper rapidement un retard important. consisterait comme le propose le FCE, à la suite de nombreux acteurs et observateurs, de lever «la contrainte de l’autorisation formelle préalable instaurée par la Banque d’Algérie à la mise en service de toute nouvelle agence» et de remplacer cette autorisation par «un contrôle a posteriori». l’Algérie reste aujourd’hui un pays sous bancarisé, une agence pour 25 000 habitants quand la Tunisie en compte une pour 9 000 habitants. Au rythme évoqué par le nouveau délégué général de l’ABEF M.Abderrrezak Trabelsi de 70 agences ouvertes encore l’année dernière, un rythme de « croisière » qui semble donner satisfaction à la Banque d’Algérie, il faudra 20 ans pour doubler le nombre d’agences actuel .D’ici là l’Algérie comptera 60 millions d’habitants… A quand des banques privées à capitaux algériens ?
Une deuxième mesure serait techniquement simple mais idéologiquement compliquée. Elle renvoie au handicap que constitue pour le système bancaire national, l’interdiction qui ne dit pas son nom de la création de banques privées à capitaux algériens. Une situation dont il n’existe pas d’exemple au moins dans le bassin méditerranéen et sans doute beaucoup plus loin, La mesure est simple sur le plan technique. Il suffit que la Banque d’Algérie donne son agrément à quelques uns des dossiers déposés depuis de nombreuses années par des investisseurs algériens. Elle est idéologiquement plus compliquée. Ainsi que le rappelle Réda Hamiani en faisant référence aux affaires Khalifa et BCIA : « les pouvoirs publics doivent dépasser l’échec essuyé après les premières expériences qui n’ont pas été concluantes ».
Des banques peu intéressées par les fonds de garantie.
Des fonds de garantie, des sociétés de capital risque et de leasing, le paysage bancaire algérien naguère encore si peu diversifié tente de se doter depuis quelques années des outils nécessaire au financement de l’investissement des PME. Les fonds de garantie ont été créés et sont opérationnels depuis quelques années. Leur démarrage s’avère cependant laborieux et le nombre d’entreprises que compte leur portefeuille ne dépasse pas quelques centaines. Le plus important d’entre eux est la Caisse de garantie des crédits d’investissement aux PME(CGCI). Son directeur général est un ancien banquier, M. Ammar Daoudi, qui nous déclarait récemment : « Les banques ne peuvent plus refuser un bon projet pour absence ou insuffisance de garanties ».
A condition cependant, ajoutait-t- il, que les banques commerciales prennent la bonne habitude d’intégrer ce nouveau dispositif dans leurs procédures d’octroi de crédits. Ce qui est loin d’être le cas pour le moment. Le décollage attendu en 2011 n’a pas eu lieu. Le niveau d’activité du fond est resté identique à celui de 2010. Le gouvernement Sellal vient d’annoncer une augmentation des ressources ainsi qu’un redéploiement de la CGCI.
Capital investissement : changer d’échelle
Dans la période la plus récente le paysage du capital risque , appelé capital investissement dans la terminologie nationale, s’est beaucoup enrichi. On a créé un fonds national d’investissement (FNI) doté de 150 milliards de dinars . Les autorités financières algériennes ont exigé des banques publiques nationales qu’elles créent des filiales spécialisées dans le capital risque. On a également créé des fonds d’investissement de wilaya doté chacun d’un capital d’1 milliards de dinars. La lenteur remarquable qui caractérise ce processus et le niveau de ressources mis en œuvre semble cependant poser problème. Les ressources du FNI ont essentiellement été mises à la disposition du secteur public ,la plupart des sociétés de capital risque créées sur injonction par les banques publiques ne sont pas encore opérationnelles et le bilan de l’activité des fonds régionaux est encore extrêmement maigre.
Des résultats qui poussent le patronat mais aussi de nombreux spécialistes à réclamer le passage à une vitesse supérieure. L’une des étoiles montantes du patronat algérien, Nassim Kerdjoudj préconise la création de banques d’investissement spécialisées en partenariat entre public et privé. Une suggestion qui fait suite à la très ambitieuse proposition du FCE formulée au printemps dernier qui ne vise rien moins que la création d’une « Banque des PME » dotée d’un capital de 10 milliards de dollars.
Un électrochoc pour La Bourse d’Alger
« A quelques exceptions près l’économie algérienne ne compte pas de champions nationaux faute de marché financier » .L’auteur de cette entrée en matière est Lyès Kerrar , patron de la société Humilis, qui relève que dans la plupart des pays du monde la capitalisation boursière fait quasiment jeu égal avec les crédits bancaires. Après plus d’une décennie , le bilan des activités de la Bourse d’Alger est squelettique : Trois sociétés cotées et l’équivalent de 180 millions de dollars de capitalisation pour un volume de transaction annuel de…2 millions de dollars soit : « le chiffre d’affaire d’une agence immobilière qui aurait vendu 2 terrains bien situés ».Même la Bourse de Palestine fait mieux avec plus de 40 titres cotés.A l’image du FCE, Lyès Kerrar appelle à «initier un flux d’émissions permettant d’atteindre la taille critique de capitalisation boursière», et ce, en lançant un plan de «privatisation par la Bourse de toutes les entreprises publiques éligibles immédiatement ou à terme», et «en exprimant le souhait de voir les banques et établissements financiers ouvrir leur capital en Bourse», notamment en levant les obstacles réglementaires à la cotation en Bourse des établissements financiers et en encourageant les banques et filiales de banques étrangères à ouvrir leur capital à l’épargne algérienne.
Des appels à un changement d’échelle ainsi qu’à un changement de rythme et de priorités qui ne semble pour l’instant recueillir que de faibles échos de la part des pouvoirs publics. Le chemin de la réforme bancaire et financière est encore long….
Hassan Haddouche