Tourisme : l’Algérie est-elle devenue plus dangereuse depuis l’assassinat d’Hervé Gourdel ?

Redaction

Les professionnels du tourisme s’inquiètent de l’impact de l’assassinat d’Hervé Gourdel sur leur secteur d’activité. En Algérie comme en France, les voyagistes sont confrontés depuis quelques jours à de nombreuses annulations. S’ils dénoncent une mauvaise gestion de ce drame, ils pointent également des dysfonctionnements plus généraux, qui font de l’Algérie une destination délaissée par les touristes étrangers.

Mardi, l’agence chinoise Xinhua a annoncé que près de 1 000 touristes allemands, français et hollandais ont annulé, dans les jours suivant l’assassinat d’Hervé Gourdel, leur voyage de fin d’année dans le Sahara algérien. Pour faire face à cette crise, quatre agences de voyage travaillant dans les régions du sud ont sollicité une audience auprès du Premier Ministre. Elles veulent obtenir du gouvernement des garanties quant à l’avenir de leur secteur d’activité.

Chez tous les voyagistes, l’inquiétude est palpable. « Toute l’Algérie, et peut-être même toute l’Afrique, va pâtir de ce drame. C’est comme si on était revenu à zéro », déplore Mohamed Torche, patron de l’agence française Horizons Nomades, qui propose aux touristes français des séjours « aventure » dans les Aurès. Pour cet Algérien installé en France, l’assassinat d’Hervé Gourdel va coûter cher au tourisme algérien.

Un constat partagé par Madame Hahroui, cadre commercial dans une agence de voyage algérienne. « Nous avons eu des annulations et des reports ces derniers jours, à chaque fois pour des raisons de sécurité. Les touristes qui évoquent Hervé Gourdel pour justifier leur annulation disent être effrayés par les images diffusées dans les médias et sur les réseaux sociaux », explique-t-elle. Les avertissements de sécurité émis par plusieurs pays comme la France et l’Allemagne ont également dissuadé de nombreux touristes étrangers de se rendre en Algérie. « Même pour Alger, il y a eu des annulations. Les étrangers ont peur pour leur vie », ajoute Mme Hahroui.

L’Algérie, une destination dangereuse ?

Tous les professionnels du tourisme n’évaluent cependant pas de la même façon le risque encouru par les touristes étrangers se rendant en Algérie. Mme Hahroui déconseille pour le moment aux touristes étrangers de venir dans le pays. De même, l’agence Via Nostra, basée à Toulouse, n’envoie plus aucun touriste dans le Sahara algérien depuis 3 ans.

Mais pour Mohamed Torche, la psychose ne doit pas s’installer. « Il ne va rien se passer en Algérie. Il ne s’est rien passé pendant 15 ans ! Hervé Gourdel s’est jeté dans la gueule du loup. Lui et ses accompagnateurs auraient dû suivre les procédures de sécurité, d’autant que l’endroit où ils sont allés est dangereux », affirme-t-il. Mohamed Torche pense que, si Hervé Gourdel avait pris contact avec une agence de voyage, s’il s’était signalé auprès des autorités, les choses se seraient passées autrement. Selon lui, les forces de sécurité locales lui auraient tout bonnement interdit de partir en randonnée dans les environs de Tikdja. « On ne va jamais dans ces montagnes de Kabylie, mes contacts sur place n’emmènent jamais personne là-bas. Même moi, qui me rends souvent en Kabylie, je n’y suis jamais allée. Aucun Algérien avec qui je travaille n’accepterait de m’y emmener », confirme la directrice de l’agence Via Nostra.

Si le patron d’Horizons Nomades se veut rassurant, affirmant que l’Algérie n’est pas devenue plus dangereuse depuis l’assassinat d’Hervé Gourdel, il a tout de même décidé d’annuler le voyage prévu le 18 octobre prochain. « Il était impossible de maintenir ce voyage, moi et les touristes concernés étions d’accord là-dessus », précise-t-il.

Mais Horizons Nomades ne va pas pour autant renoncer à ses randonnées dans les Aurès. « C’est pour nous un geste symbolique et politique que de garder les Aurès dans notre catalogue de voyages. Tout d’abord parce qu’on se bat depuis plusieurs années pour diffuser une image véridique de l’Algérie, et ensuite parce que, si on abandonne maintenant, on laisse tomber nos amis sur place qui ont besoin du tourisme pour vivre », explique le gérant. Depuis deux ans, la demande pour les séjours qu’il organise dans les Aurès est d’ailleurs en hausse. « On y a emmené plusieurs groupes de touristes, et on a fait de très belles randonnées dans la région, sans aucun problème. L’Algérie répond à tout ce que nos clients et nous recherchons : l’authenticité, des endroits pour marcher, et un tourisme qui profite aux populations locales. La seule contrainte, c’est de respecter scrupuleusement les consignes de sécurité des autorités », ajoute-t-il.

Les directives de sécurité auxquelles sont soumis les voyagistes sont en effet très précises. Ceux-ci sont obligés de déclarer le parcours des étrangers aux autorités, et de les faire escorter lorsqu’ils se rendent dans les régions les plus instables. Après l’assassinat d’Hervé Gourdel, des mesures supplémentaires ont été prises dans les wilayas qui accueillent habituellement des touristes étrangers, et les forces de sécurité ont accentué leur présence dans le sud du pays, notamment dans le parc du Tassili n’Ajjer.

Comment alors expliquer que les étrangers ont peur de venir en Algérie ? Pour beaucoup de voyagistes, le silence des autorités algériennes contribue à renforcer le décalage entre la réalité de l’Algérie et l’image qu’en ont les touristes étrangers. « Au niveau de la communication, c’est le vide, déplore Mohamed Torche. Les autorités ont les moyens de sécuriser les sites touristiques, mais elles ne le disent pas ! »

Le tourisme en Algérie, une industrie qui peine à émerger

De manière générale, le tourisme ne semble pas être une priorité pour les autorités algériennes. « Le gouvernement parle beaucoup du renforcement du secteur touristique mais, concrètement, rien n’est fait », regrette Yassine Mostaghanemi, expert en tourisme et manager du site Algerian Tourism. « Rien ne facilite le tourisme en Algérie », ajoute-t-il, citant en exemple la cherté des billets d’avion, la complexité des démarches administratives, la saleté des sites naturels, ou encore le manque d’infrastructures.

Tous ces obstacles découragent beaucoup de touristes occidentaux. « On n’a personne qui a prévu de partir en Algérie sur les six prochains mois, et c’était comme ça avant l’assassinat d’Hervé Gourdel », note la directrice de l’agence Via Nostra.

Les chiffres du tourisme sont à cet égard éloquents. Selon le site spécialisé Maghreb Émergent, quelques 2,6 millions de touristes internationaux étaient attendus en Algérie en 2014, contre 10,2 millions pour le Maroc et 6,3 millions pour la Tunisie. L’Algérie est clairement à la traîne par rapport à ses voisins maghrébins.

D’autant plus que, selon Yassine Mostaghanemi, «  les « vrais touristes », ceux qui viennent uniquement pour découvrir le pays, représentent 10% maximum du nombre total de touristes comptabilisés ». « Le gros du flux est constitué par les pieds-noirs ou leurs descendants, la diaspora algérienne et les Tunisiens qui traversent la frontière sur la journée pour acheter certains produits moins chers en Algérie qu’en Tunisie », précise-t-il.

L’assassinat d’Hervé Gourdel va donc freiner encore un peu plus la construction d’une industrie touristique. Mais ce n’est, au final, qu’une goutte d’eau – certes dramatique – dans l’océan de difficultés au milieu duquel surnage le tourisme algérien.

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