Le ministère des Transports va relancer les commissions de contrôle du secteur aérien. C’est ce qu’a annoncé mercredi Boudjemaa Talai lors d’une rencontre avec les syndicats du secteur, déclarant qu’il voulait en finir avec « le mauvais accueil des clients, les retards, le manque de communication et la perte de bagages ». Le ministre peut-il réellement mettre de l’ordre dans un secteur défaillant depuis plusieurs années ? Algérie-Focus a interrogé, à ce propos, Redouane Benzerroug, pilote de ligne et expert judiciaire spécialisé dans les incidents aériens. Entretien.
Propos recueillis par Djamila OULD KHETTAB
Les commissions de contrôle du transport aérien ont-elles fait leur preuve par le passé ?
Oui, avec effet immédiat, par leurs rapports et suggestions. Suivant ses recommandations, les trois derniers PDG d’Air Algérie ont ainsi apporté des correctifs, notamment l’élargissement de la flotte et l’achat de nouveaux appareils.
Le retour de ces commissions permettront-elles de mettre enfin de l’ordre dans la gestion des compagnies aériennes publiques ?
Absolument pas. Une commission se limite à une mission spécifique qui est de donner la genèse d’un problème dans la perspective de prendre des mesures pour améliorer.
Les commissions se limitent généralement à dresser des rapports fastidieux. L’action devra venir du responsable direct. Mais qui effectuera les recoupement de ces rapports ? Comment seront-ils analysés, synthétisés ? Qui dressera la stratégie d’intervention et qui ordonnera l’intervention ? San oublier, que par le passé, certains membres de ces commissions de contrôle, amadoués par les compagnies publiques par des privilèges (notamment des cartes d’accès offertes pour de longues correspondances) ont fermé les yeux sur certaines négligences.
Peut-on toutefois s’attendre à moins de retard, moins de bagages perdus et à une meilleure communication des entreprises aériennes publiques grâce à ces commissions de contrôle ?
Avec toutes les conventions internationales signées, le législateur algérien a mis en œuvre l’adoption des nouvelles lois de l’aviation civile algérienne, c’est un support juridique renforcé pour protéger le voyageur des dommages aux marchandises basées sur le principe du Protocole n°4 de Montréal. Cela veut, dire que le transporteur est présumé responsable des dommages ou pertes subis par les bagages enregistrés.
En revanche, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard, s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires, ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.
Comment régler alors autrement les lacunes dans le domaine aérien ?
La gestion d’Air Algérie et de Tassili Airlines devrait être verticale. C’est-à-dire prise de décision immédiate et sanction automatique des cadres et responsables qui ont fauté. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, où certains managers intouchables, de par leur réseau de connaissances, jouissent de bienveillance. Mais qui pour imposer un management restrictif et punitif dans ces compagnies aériennes ?
Qu’est-ce qui explique la gestion désastreuse d’Air Algérie et les couacs à répétition en 2014 ?
Difficile de le savoir, car Air Algérie est gérée dans l’opacité totale. Les bilans annuels ne sont pas communiqués au grand public, ils sont adoptés à l’unanimité par l’assemblée générale. L’Etat algérien reste l’associé majoritaire, c’est lui qui renfloue les caisses de la compagnie endettée, ce qui explique certains dépassements flagrants de la part de certains employés et gestionnaires d’Air Algérie.
L’amélioration du transport aérien en Algérie nécessite-t-il l’ouverture aux entreprises privées ?
Sûrement. La concurrence est l’un des régulateurs par excellence mais il ne faut pas croire que l’ouverture aux privé sera facile. L’aérien est un domaine hyper réglementé. Ce n’est pas le transporteur routier dans un fourgon, conduisant d’une seule main et dans l’autre un gobelet. Les lois régissant l’aviation civile sont très restrictives, pour des raisons sécuritaires évidentes. L’Algérie a ratifié toutes les conventions internationales en la matière, ce qui explique le lourd cahier de charges demandé à un investisseur intéressé par la création d’une compagnie aérienne privée et l’affrètement d’avion. La difficulté réside surtout dans la maintenance des engins : un appareil mal entretenu coûte plus cher à opérer et, en cas d’accident, le transporteur peut tout perdre.
Le problème réside-t-il aussi dans la formation des pilotes de ligne algériens ? Le ministre vient d’annoncer l’ouverture de nouvelles écoles de formation.
Sur ce plan, l’Etat algérien a toujours bien investi. Nos pilotes n’ont rien à envier à ceux des plus performantes compagnies aériennes étrangères. Cependant, un problème majeur est apparu : le départ massif de nos pilotes vers des compagnies aériennes internationales, notamment Qatar Airways. Dans mon entourage direct, près de 35 pilotes quitteront prochainement les deux compagnies publiques algériennes. Ce déficit explique en partie que certains avions restent parqués au sol.
Il faut savoir, par ailleurs, qu’il existe déjà trois écoles de formation de pilote en Algérie. Mais étant donné le sérieux développement du trafic aérien et de l’aviation légère, nous en avons besoin d’au moins 15. D’autant plus que ces écoles ne forment pas seulement des pilotes, mais aussi des mécaniciens, des techniciens en instrumentation (avionique), des carrossiers, etc, tous des métiers aériens.
À l’échelle internationale, 2014 a été une année noire pour le secteur du transport aérien. L’avion demeure-t-il un moyen de transport sûr ?
Oui. L’avion est de loin le moyen de transport le plus sûr. On a sept fois plus de chances de mourir dans un accident routier que dans un crash aérien. Et les accidents aériens résultent, dans 70% des cas, d’une erreur humaine.
Mais avec les perspectives ne sont pas réjouissantes. D’après une estimation effectuée par des experts de l’Association internationale du transport aérien (IATA), en 2020, un accident aérien aura lieu chaque semaine. En cause, la croissance exponentielle du nombre de vols. Rien qu’en 2004, 1,8 milliards de voyageurs ont pris l’avion et ce chiffre ne devrait augmenter de 6% par an.