Le succès fulgurant de la pâte à tartiner algérienne El Mordjene en France, où elle s’arrachait à prix d’or, vient de subir un coup d’arrêt brutal. Alors que les amateurs de ce produit exotique se précipitaient pour l’acquérir, la dernière cargaison à destination de l’Europe a été bloquée au port de Marseille. Cet événement marque un tournant dans l’histoire de ce produit algérien, symbole de la montée en puissance de l’industrie agroalimentaire locale. Mais derrière ce blocage se cachent des enjeux économiques et politiques plus complexes, qui mettent en lumière les tensions commerciales entre l’Union européenne et les pays non membres, en particulier sur la question des normes alimentaires.
Un Succès Fulgurant en France
Depuis son arrivée sur le marché français, El Mordjene a conquis les consommateurs à une vitesse fulgurante. Pour beaucoup, elle représente bien plus qu’une simple pâte à tartiner. Fabriquée à partir d’ingrédients naturels, elle incarne une alternative plus saine aux marques de pâte à tartiner traditionnelles comme Nutella, souvent critiquées pour leur teneur en huile de palme et en sucres ajoutés. El Mordjene est rapidement devenue un produit prisé, notamment dans les épiceries spécialisées et les quartiers fréquentés par la diaspora algérienne.
Des amateurs de cette pâte à tartiner ont même été jusqu’à parcourir des centaines de kilomètres pour l’acheter, attirés par la qualité artisanale du produit et ses saveurs uniques, symboles de la richesse gastronomique algérienne. Mais ce succès commercial a également attiré l’attention des autorités européennes, qui ont décidé de renforcer les contrôles aux frontières, freinant ainsi l’exportation de El Mordjene vers l’Union européenne.
Un Coup d’Arrêt Brutal au Port de Marseille
Le 14 septembre 2024, une cargaison pleine de pots d’El Mordjene a été bloquée au port de Marseille, l’un des principaux points d’entrée des marchandises venues d’Algérie vers l’Europe. Mustapha Zebdi, président de l’Association algérienne de protection des consommateurs (Apoce), a confirmé que la cargaison n’avait pas été autorisée à entrer sur le territoire européen. Il a exprimé son indignation face à cette décision, tout en soulignant que l’article 20, alinéa 3 du règlement n°2202/2292 de l’Union européenne avait été invoqué pour justifier ce refus. Cet article concerne les normes relatives aux produits alimentaires contenant des ingrédients d’origine animale, notamment le lait, et impose des restrictions strictes sur les importations en provenance de pays tiers.
Cependant, selon Zebdi, cette décision masque d’autres enjeux. « Le produit entrait et voyageait sans encombre… jusqu’à ce qu’il devienne un danger pour leurs produits bien-aimés », a-t-il déploré dans une déclaration cinglante. En ligne de mire, des marques européennes bien établies, comme Nutella, qui, selon lui, voient d’un mauvais œil la montée en popularité de la pâte à tartiner algérienne.
Normes Européennes ou Protectionnisme Déguisé ?
Les Explications Officielles
Le cadre réglementaire européen impose des normes strictes pour les produits importés, en particulier ceux destinés à la consommation humaine. L’Union européenne exige que les produits alimentaires contenant du lait, comme El Mordjene, soient soumis à des contrôles rigoureux afin de garantir la sécurité des consommateurs européens. Ces normes sont conçues pour prévenir l’importation de produits susceptibles de ne pas respecter les standards sanitaires de l’UE.
Selon Mustapha Zebdi, l’Algérie ne figure pas sur la liste des pays autorisés à exporter vers l’Europe des produits contenant du lait, une barrière administrative qui, selon lui, est injustement appliquée pour protéger les marques européennes. « Quand leurs produits sont menacés, ils mettent en place toutes les restrictions possibles pour défendre leurs marchés », a-t-il affirmé.
Derrière les Normes, une Stratégie de Protection des Produits Européens ?
Pour beaucoup, la décision de bloquer l’exportation d’El Mordjene est perçue comme une stratégie protectionniste visant à protéger les intérêts économiques des grandes marques européennes. Dans un marché où la pâte à tartiner représente un secteur lucratif, la concurrence d’un produit venu d’Algérie, plus sain et de plus en plus prisé, pouvait commencer à inquiéter les industriels européens.
Zebdi n’est pas seul à penser que cette interdiction cache une tentative de limiter l’essor des produits étrangers qui commencent à rivaliser avec des marques européennes bien établies. Le président de l’Apoce a promis de « prendre une décision ferme » face à ce qu’il perçoit comme une manœuvre visant à freiner la montée en puissance des produits algériens sur le marché international.
Une Mobilisation Algérienne en Cours
L’impact de cette interdiction va bien au-delà de la simple pâte à tartiner. Pour de nombreux producteurs algériens, la capacité à exporter leurs produits vers l’Europe est un enjeu majeur pour le développement de l’industrie locale. La société Cebon, qui fabrique El Mordjene, n’a pas encore réagi officiellement à la situation, mais la pression monte du côté des consommateurs et des associations pour défendre la possibilité de voir les produits algériens accéder librement au marché européen.
Dans un contexte où les échanges commerciaux sont de plus en plus régis par des règles complexes, la question de l’accès des produits algériens à l’Europe devient un symbole des défis auxquels sont confrontées les industries locales. Les normes européennes, bien qu’elles soient justifiées sur le plan de la sécurité alimentaire, sont souvent perçues par les producteurs algériens comme des obstacles non tarifaires destinés à limiter leur expansion. Cette situation a réveillé un sentiment nationaliste autour de la défense des produits algériens, avec des appels à boycotter les marques européennes en réponse à l’interdiction de la pâte El Mordjene.
Un Succès Populaire Menacé
Malgré ce coup d’arrêt, la popularité d’El Mordjene ne faiblit pas, notamment en France, où la pâte à tartiner est devenue un véritable phénomène de mode. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des consommateurs français et algériens vivant en France parcourir de longues distances pour se procurer des pots de la célèbre pâte.
Dans certaines boutiques spécialisées, El Mordjene est devenue un produit rare et recherché, avec des stocks qui se vident en quelques heures. Cette frénésie reflète l’engouement des consommateurs pour des produits plus naturels et plus proches de la tradition culinaire artisanale. Mais elle montre aussi que l’industrie algérienne commence à rivaliser avec des géants du secteur agroalimentaire.
Pour Ali Hamadi, un commerçant basé à Paris qui vend des produits algériens, « la demande pour El Mordjene est incroyable. Les gens adorent ce produit et sont prêts à faire des kilomètres pour l’avoir. » Cependant, il s’inquiète des conséquences du blocage au port de Marseille. « Si les exportations ne reprennent pas, je vais perdre une grande partie de mes clients. »
Les Enjeux Économiques et Politiques
L’interdiction de la pâte El Mordjene soulève des questions plus larges sur la place des produits algériens dans l’économie mondiale. L’Algérie, qui cherche à diversifier son économie en dehors du secteur des hydrocarbures, mise de plus en plus sur l’exportation de produits agroalimentaires pour booster son économie. Les blocages réglementaires européens apparaissent alors comme des freins à ces ambitions.
Les autorités algériennes sont ainsi confrontées à un dilemme : comment répondre à cette interdiction sans compromettre les relations commerciales avec l’Union européenne, tout en défendant les intérêts de leurs producteurs locaux ?
Pour beaucoup d’Algériens, cette affaire résonne comme une bataille pour la souveraineté économique. « Nous devons défendre nos produits et montrer que nous sommes capables de rivaliser avec les grandes marques européennes », déclare Mustapha Zebdi.
L’industrie agroalimentaire algérienne, encore jeune et en plein développement, voit dans cette affaire un test de sa capacité à s’imposer sur la scène internationale. L’interdiction de l’exportation d’El Mordjene pourrait bien être le premier affrontement d’une série de confrontations à venir entre producteurs algériens et régulateurs européens.
Conclusion : Une Crise, mais Aussi une Opportunité ?
L’affaire de la pâte El Mordjene est révélatrice des défis auxquels sont confrontées les économies émergentes dans un monde globalisé. Les normes sanitaires et les réglementations commerciales sont des outils essentiels pour garantir la sécurité des consommateurs, mais elles peuvent aussi être utilisées pour protéger des marchés contre la concurrence étrangère. Dans le cas d’El Mordjene, il reste à voir si la situation aboutira à une révision des restrictions ou à une montée des tensions commerciales entre l’Algérie et l’Union européenne.
Pour l’heure, la popularité d’El Mordjene reste intacte. Le soutien massif des consommateurs algériens et des adeptes de la marque en France pourrait forcer une réaction des autorités et rouvrir les portes de l’Europe à ce produit, devenu un véritable symbole de la gastronomie algérienne. L’histoire d’El Mordjene est bien plus qu’une simple question de pâte à tartiner ; elle illustre la lutte pour l’accès aux marchés internationaux, la souveraineté économique et la bataille pour défendre l’excellence des produits locaux.