Les Iraniens se rendent aujourd’hui aux urnes. Les moins de 30 ans, qui représentent plus de 50 % de la population, sont touchés par le chômage et le manque de libertés individuelles. Dans cet étau, les jeunes femmes sont les plus discriminées. Mais malgré l’absence de démocratie, ils veulent croire encore à demain. Témoignages.
« Nous sommes totalement privés de libertés simples, comme le droit de nous exprimer publiquement ou celui de porter ce que nous voulons. » Reza est iranien, il a 30 ans et est diplômé d’un doctorat en ingénierie informatique. Il a pu accéder à un niveau d’études supérieures et a eu la chance de voyager. Des expériences qui lui ont fait découvrir la démocratie « à l’occidentale ». Et prendre conscience encore plus violemment de la situation de son pays. « Nous les Iraniens, nous sommes censés vivre dans une République, certes islamique, mais une République. Pourtant, nos droits sont de plus en plus spoliés. » Plus de la moitié de la population en Iran a moins de 30 ans. Et si cette jeunesse est privée d’une grande partie de sa liberté, les Iraniennes en paient, elles, le prix fort. « Le témoignage d’une femme en Iran devant un tribunal, par exemple, vaut deux fois moins que celui d’un homme », explique Armin Arefi, journaliste au Point et auteur de Dentelles et Tchador (éd. Pocket).
« Malgré le niveau d’études qu’elles acquièrent, qui est élevé par rapport aux autres pays de la région, elles sont beaucoup plus touchées par le chômage que les hommes. » Franco-iranien, Armin Arefi a vécu à Téhéran de 2005 à 2007, lorsque le conservateur Mahmoud Ahmadinejad a été élu président. Pour lui, la jeunesse iranienne a des ressources. Elle est éduquée, forte et garde un espoir d’avancer vers plus de liberté, même si le changement est long et difficile. En 2009, le Mouvement vert a fortement mobilisé les jeunes et déstabilisé, un temps, le pouvoir en place. « Les Iraniennes étaient sur le devant de la scène durant ce soulèvement », se souvient Armin Arefi. Mais cette volonté de tout changer a vite été réprimée dans la violence. Un sentiment de désespoir a alors envahi ces 20-30 ans, qui se sont tus jusqu’à aujourd‘hui. « Ils se sont rendu compte qu’il n’y avait pas d’alternative à cette époque », confie-t-il.
Pour ces élections qui doivent désigner un successeur à Mahmoud Ahmadinejad, les choses n’ont pas réellement évolué. Les candidats ont été triés sur le volet par le Conseil des gardiens de la Constitution, qui approuve ou s’oppose aux lois et valide les prétendants à la présidence. Aucune femme n’a finalement pu se présenter et le nombre de candidats réformateurs a été limité. Pourtant, un regain d’espoir est apparu. « Sauver notre pays et aider les gens à vivre la vie qu’ils méritent, c’est notre but. Si on s’arrête maintenant d’agir ou d’espérer, cela n’arrivera jamais », affirme Reza avec conviction.
Sheida vit à Téhéran. Cette jeune femme de 26 ans, fraichement diplômée en sciences économiques, tente de rentrer dans la vie active depuis plus de six mois, en vain. La politique, c’est ce qui la motive aujourd’hui. « Le taux de chômage a fortement augmenté ces dernières années, à cause des sanctions de la communauté internationale contre notre gouvernement et la hausse des devises étrangères par rapport à notre monnaie. Beaucoup d’entreprises et de commerces ont fait faillite. » Dans un rapport datant de 2012, la Banque nationale iranienne a qualifié la situation économique du pays de « catastrophique ».
Au-delà de cet aspect, Sheida souhaite, comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, qu’on lui « fiche la paix ». En allant voter pour le candidat des réformateurs, Hassan Rohani, elle ose espérer que la condition féminine sera plus respectée. «En allant voter pour le candidat des réformateurs, Hassan Rohani, elle ose espérer que la condition féminine sera plus respectée. « J’aimerais m’habiller comme je le veux. Dans notre pays, ne serait-ce que rentrer son jean dans ses bottes, c’est interdit ! Ces lois sont archaïques. » Sheida avoue parfois se réunir avec ses copines et s’enivrer, pour oublier les pressions des intégristes. Au mépris des interdictions, elle retrouve ses amis pour danser, comme elle le ferait à Paris ou New York. Surfe sur le Net, communique via les réseaux sociaux (les e-mails sont contrôlés) pour faire émerger d’autres idées. Mais elle ne se contente pas de refaire le monde derrière un écran. Comme elle, les jeunes Iraniennes sont nombreuses à se retrouver dans des meetings politiques pour prouver, et se prouver, qu’elles existent.
Même si elles savent que l’égalité des sexes n’est pas pour demain, elles souhaitent apporter leur pierre à l’édifice. « Je vais aller voter car je crois que ma voix compte. Les jeunes femmes doivent se mobiliser en masse pour montrer que nous pouvons peser dans la vie politique. Notre pays nous permet de nous éduquer, donc il ne faut pas s’étonner ensuite qu’on soit “éclairées” », souligne malicieusement Sheida. Les manifestations du ras-le-bol des Iraniennes face à leur condition prennent également des formes inédites. Comme un pied de nez à la police des mœurs, un groupe de jeunes filles s’est lancé dans le free run. Yamakasi en tchador, elles sautent de mur en mur et rebondissent sur les rampes d’escaliers. Si leur message n’est pas forcément politisé, il porte en lui une force enthousiaste. Si, selon Reza, « la liberté du corps féminin, en Iran, n’existe pas », ces femmes veulent montrer que malgré tout, elles ont le droit de faire ce qu’elles veulent. Ou en qu’en tout cas, elles le prennent.
Lu sur Figaro Madame