En Algérie, le figuier de Barbarie : une solution inattendue contre les incendies

Redaction

En Algérie, le figuier de Barbarie : une solution inattendue contre les incendies

La Kabylie en flammes : le souvenir des feux dévastateurs de 2021

En 2021, la Kabylie, cœur battant de l’Algérie, a été ravagée par des incendies d’une ampleur jamais vue. Des milliers d’hectares de forêts, d’oliviers et d’habitations ont été réduits en cendres, laissant derrière eux des villages endeuillés et une population traumatisée. La wilaya de Tizi-Ouzou a été l’une des plus touchées, avec des pertes humaines et matérielles considérables. Face à cette tragédie, les autorités ont dû repenser les stratégies de lutte contre les incendies, cherchant des solutions durables pour protéger à la fois les populations et les écosystèmes locaux.

C’est dans ce contexte que le figuier de Barbarie, ou opuntia, a émergé comme un allié inattendu dans la lutte contre les incendies. La direction de la Conservation des Forêts de Tizi-Ouzou encourage désormais la plantation de haies de cette espèce pour protéger les habitations et réduire la propagation des flammes. Mais comment cette plante, plus connue pour ses fruits estivaux, peut-elle jouer un rôle clé dans la prévention des feux de forêt ?

Le figuier de Barbarie, un bouclier naturel contre le feu

Le figuier de Barbarie est bien plus qu’un simple arbuste produisant des fruits prisés en été. Ses raquettes gorgées d’eau, qui stockent une importante quantité d’humidité, le rendent résistant aux flammes. Contrairement à d’autres végétaux secs qui alimentent rapidement les incendies, les haies d’opuntia ont montré leur efficacité pour freiner la propagation du feu dans des zones où des habitations étaient menacées. Plusieurs témoignages d’habitants kabyles confirment ce fait : lors des incendies, les haies d’opuntia ont agi comme un rempart, sauvant des maisons des flammes destructrices.

« Lors de l’incendie de l’été dernier, les flammes sont arrivées jusqu’à notre village », raconte Fares Abdelkader, un habitant de Bouzeguene. « Mais notre maison a été épargnée grâce aux haies d’opuntia qui entourent notre terrain. C’est incroyable de penser qu’une simple plante a pu faire la différence. »

Un projet ambitieux dans les montagnes de Kabylie

Face à l’efficacité prouvée du figuier de Barbarie, la direction des Forêts de Tizi-Ouzou a lancé un vaste programme de plantation de haies dans les daïras d’Azzazga et de Bouzeguene. L’objectif est de protéger non seulement les habitations, mais aussi les cultures et les écosystèmes locaux, tout en offrant une source supplémentaire de revenus aux populations rurales grâce à la production de fruits.

Un appel d’offres a été lancé pour la réalisation de 8.720 m² de haies dans ces régions. Les services forestiers misent sur une triple approche : protection contre les incendies, production agricole et préservation de la biodiversité. Ces haies offrent non seulement une barrière physique contre les flammes, mais elles servent également de refuge pour une faune locale variée et fournissent du fourrage aux animaux.

Un fruit à haute valeur ajoutée

Outre sa capacité à freiner les incendies, l’opuntia est aussi un atout économique pour les populations locales. Les fruits du figuier de Barbarie, riches en nutriments, sont de plus en plus recherchés sur les marchés, notamment pendant l’été. Leur vente constitue un revenu saisonnier pour de nombreuses familles kabyles.

« Chaque année, nous vendons des kilos de figues de Barbarie sur les marchés. C’est une source de revenu précieuse pour nous », explique Yasmine Merzouk, une agricultrice de la région de Souk Ahras. « Et avec la menace des incendies, savoir que ces haies protègent aussi nos terres est un vrai soulagement. »

De plus, la production d’huile de pépins de figues de Barbarie, aux propriétés cosmétiques et médicinales reconnues, ouvre de nouvelles perspectives pour l’économie locale. Cette huile est de plus en plus demandée sur les marchés internationaux, ce qui pourrait dynamiser l’agriculture dans les régions montagneuses de Kabylie.

Les menaces qui pèsent sur l’opuntia

Cependant, comme toute culture à grande échelle, le figuier de Barbarie n’échappe pas aux dangers de la monoculture. L’une des principales menaces qui pèsent sur ces plantations est l’invasion de la cochenille, un ravageur redoutable qui s’attaque à l’opuntia. Introduit accidentellement en Algérie depuis le Maroc, cet insecte a déjà causé d’importants dégâts dans les régions frontalières d’Oran et de Tlemcen.

Pour faire face à ce fléau, les services forestiers misent sur l’introduction de variétés résistantes à la cochenille. La station de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Béjaïa a été désignée pour constituer une collection nationale d’opuntia, composée d’écotypes locaux et internationaux. L’objectif est de préserver la diversité génétique de l’espèce et d’assurer des plantations résistantes aux parasites.

« Nous devons anticiper les risques et éviter la dépendance à une seule variété », explique Nourredine Bouguessa, ingénieur agronome à l’INRA. « Avec la cochenille qui se propage, il est crucial de développer des solutions durables pour préserver cette plante si importante pour nos régions. »

Une solution intégrée : des haies, du débroussaillage et plus de biodiversité

Les haies d’opuntia ne sont qu’une partie de la solution pour prévenir les incendies. L’expérience des pays méditerranéens, souvent confrontés à des feux de forêt récurrents, montre que le débroussaillage est également essentiel pour limiter la propagation des flammes. En Kabylie, des initiatives ont été lancées pour nettoyer les broussailles autour des habitations et des zones forestières. Ce travail, souvent réalisé de manière mécanique, peut aussi être effectué de façon plus écologique grâce à l’utilisation de chèvres et d’ânes, qui se nourrissent des herbes et des buissons secs, réduisant ainsi le combustible potentiel des incendies.

Au-delà de leur rôle dans la lutte contre le feu, les haies de figuiers de Barbarie contribuent également à préserver et à enrichir la biodiversité. Dans les zones rurales, les haies offrent un habitat à une faune variée, notamment les renards, les oiseaux de proie comme les chouettes, et les petits mammifères tels que la gerboise, souvent nuisibles aux cultures céréalières.

« Ces haies ne protègent pas seulement nos maisons et nos terres, elles permettent aussi à la nature de reprendre ses droits », souligne Makhlouf Sekour, chercheur à l’université de M’Sila. « Elles abritent des oiseaux qui se nourrissent des insectes nuisibles et favorisent un équilibre écologique. »

Des haies pour freiner l’érosion

Un autre avantage non négligeable des haies d’opuntia est leur capacité à réduire l’érosion des sols et à favoriser l’infiltration des eaux de pluie. Plantées selon les courbes de niveau, elles ralentissent le ruissellement, permettant à l’eau de pénétrer le sol au lieu de s’écouler en surface, emportant avec elle des couches de terre arable. Cette technique permet non seulement de limiter les risques d’envasement des barrages, mais aussi d’améliorer la fertilité des sols.

Dans les zones steppiques du sud de l’Algérie, notamment dans la wilaya de Laghouat, des études montrent que la plantation de haies d’opuntia et d’autres arbustes fourragers comme l’atriplex contribue à augmenter la productivité pastorale. Selon une étude menée par l’universitaire Ouarda Amranir, les zones où des haies ont été implantées présentent une productivité quatre fois supérieure à celle des parcours naturels.

Un avenir plus sûr grâce à l’opuntia

Alors que l’Algérie fait face à des défis environnementaux de plus en plus pressants, le figuier de Barbarie se révèle être un allié de taille. Que ce soit pour protéger les habitations contre les incendies, préserver la biodiversité, ou soutenir l’agriculture locale, cette plante robuste offre des solutions multiples et efficaces. Pourtant, pour maximiser ses avantages, il est essentiel de combiner cette approche avec d’autres méthodes, comme le débroussaillage, la diversification des cultures et la lutte contre les parasites.

Les services forestiers de Tizi-Ouzou ont pris des mesures décisives en misant sur cette stratégie innovante, mais le chemin est encore long. Avec des investissements adéquats et une meilleure gestion de la biodiversité, l’opuntia pourrait devenir un modèle de résilience pour les régions arides et semi-arides du pays, offrant ainsi une réponse durable aux crises environnementales qui se profilent.

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