Entretien (censuré) avec Fayçal Anseur, fondateur et rédacteur en chef du journal électronique « Algerie-Focus.Com »

Redaction

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L’entretien qui suit devait être lu dans un journal algérien (dont nous tairons le nom pour ne pas nuire à notre ami journaliste) le 3 mai, à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse. La rédaction de ce journal n’a pas jugé intéressant de le publier. Notre confrère qui a réalisé cet entretien nous a demandé de le reprendre dans notre journal afin de permettre aux lecteurs de tirer leurs conclusions sur la situation de la presse « privée » en Algérie.


Liberté de la presse en Algérie : « Après la parenthèse enchantée, le combat continue »

« Internet a révolutionné notre manière de vivre et de réfléchir. En ce qui concerne le volet médias, le Net permet de s’affranchir du contrôle des puissances politiques et financières », soutient Fayçal Anseur.

Propos recueillis par Karim Benamar


Nous célébrons aujourd’hui, la journée mondiale de la liberté de la presse. En Algérie, la naissance d’une presse plurielle est chose palpable depuis 1989. Comment, au titre de journaliste, pouvez-vous apprécier cette aventure de la presse algérienne depuis cette date symbole ?

En tant que journaliste, je ne peux que me réjouir pour un tel acquis. Néanmoins, le combat n’est pas terminé, il n’est qu’à son début, je pense. Nous avons été témoins en Algérie de cette période que l’on a qualifié de «parenthèse enchantée » ; six mois d’une liberté d’expression – et de presse- véritable en Algérie, fruit du soulèvement populaire de 88. Mais cette liesse éphémère avait cédé la place à une décennie sanglante pendant laquelle la corporation avait vécu des drames à répétition, notamment les assassinats de beaucoup de journalistes, quand d’autres s’étaient exilés pour sauver leur vie. Depuis, est apparu un autre phénomène qui, à mon sens, a enlevé à la presse dite « indépendante » son aura : à savoir sa soumission « aux lois du marché », c’est-à-dire à l’argent. Et nous savons tous qui établit les règles en Algérie. Par conséquent, avec le temps, les journaux se sont transformés en des entreprises mues par l’envie du gain rapide au détriment de l’essentiel : leur rôle d’informer en toute indépendance. Du coup, la presse privée ménage aujourd’hui certains milieux politiques ou financiers afin de récupérer des avantages pécuniaires, de la publicité principalement.

Les journaux nés de la loi permettant la diversité de la presse, ont aussitôt fait face à la violence du terrorisme des années 90. Considérez-vous que le sacrifice consenti par la presse algérienne pour son indépendance a porté aujourd’hui, ses fruits et permis une presse libre et plurielle ?

Cette période fut très trouble, car née d’une crise politique qui avait débouché malheureusement sur une guerre fratricide : La presse, dans son ensemble, s’était d’emblée rangée du côté de l’armée pour combattre ce qui était convenu d’appeler à l’époque « le terrorisme islamiste ». Quand la presse dénonce la violence et l’extrémisme, elle est dans son rôle aussi. Mais, à condition que tout le monde soit logé à la même enseigne.

Le paysage médiatique actuel en Algérie, reflète-t-il une presse indépendante ?

Il existe des journalistes indépendants et courageux, c’est évident. Ce n’est pas le cas pour les patrons de presse (la majorité). Comme souligné plus haut, ces derniers se plient souvent aux exigences du « marché » aux dépens de la déontologie.

Quel regard portez-vous sur le journaliste algérien et dans quelles conditions exerce-t-il son métier ?

L’actualité récente remet sur le tapis cette question récurrente. Des journalistes du public et du privé ont pour une énième fois donné de la voix pour exiger de meilleures conditions socioprofessionnelles. Nous avons aussi constaté comment leurs demandes ont été ignorées. C’est dire le mépris dont ils font l’objet. Ce qui a poussé certains d’entre eux, en désespoir de cause, de recourir à des méthodes plus extrêmes comme des grèves de la faim pour se faire entendre.

M. Anseur, en créant votre journal électronique « Algérie-focus.com », aspiriez-vous à palier au souci de la diffusion de l’information dans notre pays ?

Ce serait prétentieux de ma part de m’attribuer une mission aussi énorme. Algérie-Focus.com est né d’une double nécessité : d’abord essayer de marquer une présence médiatique algérienne sur le net, un espace où nous étions quasi-absents il n’y a pas si longtemps. En effet, depuis deux ans et demi que notre journal existe sur internet, je remarque que nos confrères ont enfin pris conscience de l’extrême importance de l’utilisation de l’internet pour diffuser de l’information, et mesuré combien son impact est grandissant sur le lectorat algérien.

Ensuite, notre journal a voulu se distinguer en essayant de traiter l’information selon les nouvelles normes et techniques du journalisme web (Web 2.0) : davantage de proximité avec les lecteurs, le recours aux multimédias, l’encouragement du journalisme citoyen, etc. Ces nouvelles méthodes diffèrent de celles de la presse classique. Aussi nous essayons de décloisonner l’information, en ce sens que pour comprendre l’Algérie, nous pensons qu’il est impératif de comprendre ce qui se passe dans le monde, étant donné qu’avec la mondialisation de la politique, de l’économie, de la culture, de la science,… tout est devenu tellement connecté que les décisions des uns (les puissances dominantes), déteignent d’une manière ou d’une autre sur les autres (les pays en voie de développement, ou le tiers monde). L’Algérie n’est pas isolée du monde, et elle en subit les mutations.

Aujourd’hui La liberté et la circulation, en temps réel, de l’information via le net est une évidence. L’internet, ne permettrait-il pas, justement, une expression plus libre qui plus est, échappe au contrôle de certains dictateurs ?

Internet a révolutionné notre manière de vivre et de réfléchir. En ce qui concerne le volet médias, le Net permet de s’affranchir du contrôle des puissances politiques et financières. Dans les pays où la dictature est imposée comme mode de gouvernance, Internet représente un danger, car la force des pouvoirs totalitaires réside en partie dans leur capacité à contrôler l’information. Quand ce monopole leur échappe, c’est un pan de leur pouvoir qui tombe. Dès que la propagande n’opère plus et que les esprits se libèrent enfin, les situations finissent tôt au tard par changer. Et dans le bon sens.

L’exemple des révoltes en Tunisie, en Égypte, et tout ces soulèvements que nous observons aujourd’hui dans le monde arabe nous démontrent que dès que les pouvoirs en place perdent la bataille de l’information, leur chute devient possible.