Les yeux rivés sur le téléviseur, Ahmed prie. Comme les milliers de Gazaouis qui espèrent, comme lui, passer la frontière entre Gaza et l’Egypte. Depuis le 3 juillet, date à laquelle le président islamiste Mohamed Morsi a été destitué, les Gazaouis renouent avec les longues files d’attentes devant le point de passage de Rafah, à la frontière sud de la bande de Gaza. Le 5 juillet, l’Egypte décide de fermer le terminal, unique accès au territoire palestinien qui ne soit pas contrôlé par Israël, à la suite d’attaques dans le Sinaï qui ont coûté la vie à un soldat et cinq policiers.
Les forces de sécurité égyptiennes ont également fermé des tunnels de contrebande sous la frontière, provoquant une importante pénurie de carburant et une hausse des prix dans la bande de Gaza. Le 10 juillet, le terminal de Rafah a été ouvert, mais seulement dans le sens des entrées vers le territoire palestinien. Chaque jour, Ahmed espère sortir. Il appelle ses contacts et scrute les moindres évolutions de la situation en Egypte. « C’est notre seule frontière, ça compte pour nous», martèle-t-il.
Depuis quelques jours, la frontière est ouverte pendant quatre heures. Mais seuls les malades et les étrangers sont autorisés à la franchir. Ahmed attend péniblement son tour. Avec la peur au ventre. Chaque jour, il apprend que des affrontements ont éclaté dans le Sinaï entre des groupes armés, et que des Palestiniens ont été arrêtés. Ce 15 juillet, à l’aube, au moins trois personnes ont été tuées et 17 blessées dans la province du Sinaï lors de l’attaque d’un bus transportant des travailleurs d’une usine de ciment. Selon l’agence de presse Reuters, le bus a essuyé des tirs dans la ville d’El Arish, dernière localité égyptienne avant la bande de Gaza.
Les militants islamistes du Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans au pouvoir à Gaza depuis 2006, sont soupçonnés d’être plus ou moins liés à l’anarchie qui règne dans le Sinaï. Une région hors contrôle bien avant la destitution de Mohamed Morsi: actes de banditisme, enlèvements, trafic humains et de marchandises fleurissent dans cette région hautement stratégique. Outre ses 240 kilomètres de frontières communes avec Israël, la région demeure la seule porte d’entrée et de sortie de la bande de Gaza depuis 2006.
Même s’il parvient à sortir, Ahmed craint des représailles à son arrivée à l’aéroport du Caire. Certes, lors de ses précédents passages, les autorités égyptiennes n’avaient jamais brillé par leur sympathie. «Si une personne tombe malade en Egypte, on dira toujours que c’est à cause des Palestiniens », ironise-t-il.
Mais, cette fois, les Palestiniens sont assimilés au camp des perdants, celui qui serait prêt à mettre en péril la stabilité du pays en recourant à la force armée.«Les forces de sécurité peuvent, à tout moment, m’arrêter. Pour eux, je suis du côté des Frères musulmans.»
«Le gros problème de la bande de Gaza, c’est qu’elle vit à l’heure égyptienne. Si une crise, comme c’est le cas en ce moment, se déclenche en Egypte, Gaza est la première ville palestinienne à être touchée. »
Ahmed sent aussi une crispation parmi les hommes du Hamas. Pour eux, la mise à l’écart des Frères musulmans en Egypte ne doit pas essaimer dans les autres pays de la région où les Frères sont au pouvoir. «Les restaurants et les cafés n’ont plus le droit de diffuser des images de l’actualité égyptienne. Les hommes du Hamas ont peur. Depuis quelques jours, à partir de 22 heures, les taxis et les voitures sont systématiquement fouillés.»
Nadéra Bouazza