Le procès de Smail Lamrani, directeur général de la Chaine 4 (télévision amazighe), accusé, par trois journalistes de son équipe, d’harcèlement sexuel, brise à nouveau le tabou lié à ce délit. Le 24 juin dernier, la justice a décidé de reporter le procès au 16 septembre, soit plus d’un an après le dépôt de plainte. Cette affaire médiatique pourrait durait des années, comme bien d’autres dossiers d’harcèlements sexuels en Algérie.
Pressions
«Au départ, les plaignantes ont eu très peur de le dénoncer. Ce directeur général avait déjà été poursuivie par une employée dans le passé, mais cette dernière s’est faite agressée par deux femmes à la sortie du commissariat. Mes clientes craignaient de subir le même sort, explique Me Youcef Dilem, l’avocat des victimes. Et d’ailleurs elles ont subi des représailles de la part de leur chefs mais ont très vite informé leur directeur général.»
Une peur que la plupart des victimes doivent encore affronter malgré l’introduction de l’article 341 bis dans le Code pénal en 2003, qui puni le harcèlement sexuel et moral. Cette modification a permis aux femmes d’en parler et désormais elles se tournent plus facilement vers le dépôt de plainte. Toutefois les victimes doivent encore avoir la force de se battre contre un appareil judiciaire compliqué, les menaces ou encore le jugement des autres.
« Très souvent les femmes prennent sur elles, pour une question de réputation, de travail. Et parfois ça peut aller loin. Nous avons eu récemment le cas d’une femme qui travaille dans une agence de communication. Elle était sans arrêt harcelée, elle a fini par porter plainte au bout d’un certain temps et c’est le procureur qui lui a dit que ce n’était pas seulement du harcèlement sexuel mais une tentative de viol !», explique Dalila Lamarene Djerbal, la coordinatrice du réseau Wassila, qui reçoit en moyenne deux à trois cas d’harcèlement sexuel par mois.
La dénonciation reste encore compliquée, à cause de la pression familiale, financière. Une fois la procédure judiciaire lancée il faut pouvoir prouver les faits et il est compliqué de trouver des témoins, qui peuvent à leur tour, être menacés sur leur lieu de travail. Les victimes vont alors se réfugier dans le déni ou fuir leur travail plutôt que d’entacher leur réputation.
De la rue au travail
Pourtant le harcèlement sexuel des femmes est omniprésent, même au quotidien dans la rue. « Il suffit que je marche cinq minutes pour entendre des insanités. Il n’y a pas un jour où je ne me fais pas insulter, où l’on me propose des choses dégoûtantes», raconte Malika. Quant à Nadia, elle explique que « dans le bus on me demandait si je me prostituais, et combien je prenais, seulement parce qu’il était 19 h et que j’étais une femme seule dans les transports.»
Des violences qui se poursuivent jusque dans les universités où de nombreux cas sont à déplorer. « J’’étais une étudiante universitaire, j’ai subi plusieurs harcèlements sexuels, au début indirectement, après directement par le professeur « … » qui travaille dans plusieurs universités en Algérie, dont ; la ville de Batna, Setif, Biskra, Oum el Bouaghi », confie une femme sur un forum d’échange. « Les étudiantes subissent le harcèlement de leurs professeurs qui ont un certain pouvoir sur elles. Elles n’osent pas parler car elles risquent d’avoir des mauvaises notes et de rater leurs études, ou leur famille leur interdiront de retourner en cours », explique Dalila Lamarene Djerbal.
Une législation trop faible
La loi actuelle reste insuffisante selon les associations de défense des droits des femmes, car elles ne protègent pas assez les victimes et les témoins qui peuvent consolider le dossier.
« Beaucoup de victimes viennent vers nous parce qu’elles sont déçues. Elles ont épuisé toutes les voies juridiques en vain. Parce qu’elles n’obtiennent pas gain de cause et parfois c’est pire car ça se retourne contre elles. Il y a des cas où les victimes sont déboutées et l’agresseur finit par porter plainte contre elles pour diffamation », explique Cherifa Kheddar, porte parole de l’Observatoire des Violences Faites aux Femmes.
Ce fut d’ailleurs le cas en 2008 avec l’affaire des deux employées de la Banque d’Algérie, alors qu’elles étaient les plaignantes dans un procès d’harcèlement sexuel, elles ont perdu et ont été condamnées plus tard à deux mois de prison avec sursis, et des amendes pour diffamation.
Soumia Salhi, militante féministe et l’Association pour la planification familiale ont joué un rôle important dans la reconnaissance du harcèlement sexuel. Elles poursuivent aujourd’hui ce combat en engageant une procédure auprès de l’APN afin de modifier la loi pour qu’elle soit plus précise et protège les victimes et les témoins. « Le 25 Janvier 2012 le bureau du parlement a approuvé un projet de loi sur la pénalisation de la violence à l’encontre des femmes qu’il a transmis au gouvernement. En tout cas on travaille sur le changement », promet Soumia Salhi.
Amina Boumazza