« Je ne sais pas si l’Algérie est actuellement dirigée »

Redaction

Saïd Chekri, rédacteur en chef du journal algérien Liberté, répond aux questions de Zaman sur la situation politique en Algérie.

Qu’avez-vous pensé de la vidéo montrant le président algérien avec le Premier ministre et son chef d’Etat-major ?
Il faut d’abord se souvenir que les images diffusées le 12 juin dataient de la veille. On s’est vraisemblablement donné le temps de les travailler et d’en faire un montage qui montrerait le chef de l’Etat sous son meilleur jour possible. Sauf que, même après ce rafistolage, le résultat n’a pas suivi. Les Algériens ont vu un Bouteflika très malade. Je crois qu’à trop vouloir donner une preuve de vie du président Bouteflika, les concepteurs de cette opération de com’ ont mis en évidence la gravité de son état de santé et, surtout, son incapacité à exercer ses fonctions et, en définitive, sa fin politique.
Qui dirige actuellement l’Algérie ?
Je ne sais pas si l’Algérie est actuellement dirigée. Peut-on dire d’un pays qu’il est dirigé alors qu’aucun chef d’Etat étranger ne peut s’y rendre faute d’interlocuteur ? Je crois qu’on se suffit, pour l’heure, d’expédier les affaires courantes. Les ministres, comme le reste des Algériens, vaquent à leurs occupations les plus ordinaires, pendant que le Premier ministre, lui, joue à combler le vide pour donner l’illusion d’une vie institutionnelle.
Pourquoi n’applique-t-on pas l’article 88 de la Constitution?
Tout est dans cette question. Une application correcte de cet article aboutirait forcément à une déclaration de vacance de la présidence de la République, donc à une élection présidentielle anticipée. Or, il est de tradition en Algérie qu’un consensus entre les différents clans au pouvoir précède la tenue de toute élection présidentielle. Rappelons-nous que Liamine Zeroual, le prédécesseur de Bouteflika, avait annoncé, en septembre 1998, qu’il démissionnait. Il a dû par la  suite retarder la prise d’effet de sa démission et la tenue des élections à avril 1999. Entre-temps, les clans sont parvenus à s’entendre sur le «candidat du consensus», qui était Bouteflika.
Qu’est-ce qui se trame actuellement ? Y a-t-il des divisions au sein du gouvernement et de l’Armée que l’on ne voit pas ?
Je pense que certains, au pouvoir, gardent espoir quant à un probable retour de Bouteflika aux affaires. Cela lui permettrait de mener à terme la révision constitutionnelle entamée avant son hospitalisation et ce serait alors conformément à la Constitution que se déroulera la succession. L’institution d’un poste de vice-président, évoquée avec insistance, pourrait régler le problème. Le vice-président pourrait alors assurer l’intérim du chef de l’Etat jusqu’à la fin de son mandat et, peut-être, lui succéder dans le cas où sa nomination, formellement décidée par Bouteflika, aura été le fruit d’un «consensus» entre l’Armée et le clan de Bouteflika. Une succession en douce, en quelque sorte.
Sait-on qui va lui succéder en cas de décès ? Est-ce l’Armée qui va choisir le nouveau président ?
Si Bouteflika ne reprend pas du service assez rapidement, ce qui semble très probable, il n’y aura pas de révision constitutionnelle avant la prochaine présidentielle (avril 2014, ndlr). Dans ce cas, l’Armée est partie pour s’impliquer  une nouvelle fois dans le choix d’un président de la République en Algérie. Le «consensus» est-il encore possible après 14 ans d’un règne de Bouteflika qui, visiblement, a chamboulé les équilibres au sein de l’Armée ? Certains craignent que la cohésion même de celle-ci n’en soit pas sortie indemne. Et  les choses seront encore d’autant plus compliquée que les changements intervenus dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient imposaient déjà à l’Algérie de se départir des processus électoraux arrangés d’avance. Si l’Armée a toujours eu «son» candidat à la présidentielle, il est probable, cette fois, qu’elle éprouve plus de mal à en trouver un qui soit accepté par l’Armée, par le clan présidentiel et dont le profil peut convenir au contexte national et international actuel né des révoltes populaires qui ont touché les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Lu sur Zaman