« La Casbah d’Alger doit entrer dans le 21e siècle »

Redaction

La Casbah d’Alger est l’une des médinas les plus prestigieuses du monde. Mais c’est aussi une cité millénaire qui menace de tomber en ruine, faute d’un vaste plan de réhabilitation. A Alger, plusieurs figures de la société civile viennent de créer l’association La Casbah autrement. Parmi eux, un architecte-urbaniste, Halim Faïdi, qui dirige l’un des grands cabinets de la capitale algérienne.

Pourquoi, 22 ans après son classement par l’Unesco, la Casbah n’est-elle toujours pas réhabilitée ?

Halim Faïdi : On est en train de partir de fausse piste en fausse piste.

Autrement dit, on s’attaque juste aux bâtiments qui menacent de tomber en ruine, mais on ne s’attaque pas aux vrais problèmes de la Casbah. Est-elle surpeuplée ? Mal gérée ?

Absolument, le problème est celui la surpopulation. 60 000 habitants aujourd’hui, là où il devrait y en avoir probablement 20 000. Parfois, les gens sont à vingt dans une pièce à dormir. C’est quasi inhumain. On est dans un énorme squat organisé. La Casbah a besoin d’un projet, pas d’un plan. Evidemment, il faut la restaurer. C’est évident puisqu’on est sur un sujet patrimonial.

Mais la restauration n’est qu’une ingénierie : restaurer pour quoi faire ? C’est cela le véritable sujet. Aujourd’hui, il n’y a pas de véritable plan qui prenne en charge toutes les dimensions, y compris celle de l’emploi, celle de l’hygiène, celle de la sûreté. J’ai envie qu’on me dise : « Pour la Casbah, ce n’est pas un plan qu’il faut, c’est un véritable projet ». Qu’on me dise que dans vingt ans, j’aurai 15 000 ou 20 000 habitants, 70 hôtels, des riads, des maisons d’hôtes… Qu’on me dise que j’aurai un réseau de 300 cafés maures, des restaurants, des artisans…

La vraie difficulté sur laquelle la Casbah est en train de buter, c’est qu’il y a 60 000 personnes. S’il doit en rester 20 000, que fait-on des 40 000 autres ? Il faudrait que le projet Casbah puisse les déplacer dans des conditions telles qu’elles ne soient pas tentées de revenir. La Casbah a relogé plus de 40 fois sa capacité depuis l’indépendance du pays.

Les gens s’en vont puis reviennent…

Oui, parce que c’est un patrimoine classé. Vous avez des gens qui vont forcer la dégradation de leur maison pour rentrer dans un statut de sinistré. Et puis, ils deviennent prioritaires dans l’accès au logement. Dès qu’ils repartent, ils mettent un cousin. Il y a donc ce phénomène de rente qui s’est installé à la Casbah d’Alger. Il suffit de dégrader sa maison, avec un certain nombre de complicités derrière, et puis on obtient un logement social. Nous avons une ministre de la Culture (Khalida Toumi, ndlr) qui a posé une espèce d’hégémonie sur la Casbah, qui ne veut pas discuter avec le wali d’Alger. Nous le sentons.

C’est extrêmement dommage parce qu’en politique, on ne dit pas les choses. On est dans une très grande discrétion. C’est probablement notre rôle à nous, opérateurs de terrain. Pas pour faire mal, parce qu’on n’en veut à personne, ni au wali d’Alger, ni à la ministre de la Culture, chacun fait ce qu’il peut. Mais si ça ne fonctionne pas, on dit qu’il faut faire un choix.

Pour sauver la vieille ville de Ghadames en Libye, le colonel Kadhafi avait trouvé une solution radicale : expulser tous ses habitants. Qu’est-ce que vous pensez de cette solution ?

C’est une solution trop entière. Je me réclame de l’école catalane, qui met l’homme au centre du dispositif. Il faut garder des gens à la Casbah, il faut garder ceux qui ont les gestes millénaires. Tous les puits de la Casbah sont connectés entre eux. Ca veut dire que si les habitants d’une maison n’ont pas les gestes qu’il faut pour récurer un puits, s’il est contaminé, il va contaminer l’ensemble de la cité. Il faut garder ceux qui ont les gestes millénaires. Parce que nous, nous ne les avons plus.

Ensuite, il faut garder pour les personnes déplacées dans leurs nouvelles habitations un espace social proche de ce qu’ils laissent à la Casbah. On ne peut pas les loger dans des HLM ou dans des immeubles les uns au-dessus des autres. Ils ont l’habitude d’habiter les uns à côté des autres.

Sur la question de la Casbah, et pas seulement celle d’Alger, l’ensemble des médinas et des ksours qu’il y a en Algérie (celle de Constantine a disparu, la Souika ; celle de Dellys est en train de disparaître ; l’ensemble des ksours que vous avez dans le sud algérien sont en train de s’effondrer), manifestement, la politique du ministère de la Culture est mauvaise. Ce n’est pas un jugement de valeur sur personne, c’est un jugement sur les faits. Il faudrait créer une institution et la Casbah peut être le départ de la réhabilitation de l’ensemble des ksours et des médinas algériennes.

La Casbah doit rentrer dans le 21e siècle. On doit y faire entrer la fibre optique. On doit y faire entrer de l’acier ou du béton armé pour étayer. Il faut arrêter ce discours historiciste qui consiste à dire : « Je vais travailler comme on travaillait il y a mille ans ». Ce n’est pas possible et c’est pour cela qu’il faut un projet de réhabilitation. On va y arriver.

Lu sur RFI