La création de la banque maghrébine (BMICE), un pas dans l’intégration économique maghrébine ?

Redaction

La concrétisation de la Banque Maghrébine d’Investissement et de Commerce Extérieur (BMICE), le 16 mars 2010 lors des réunions des Ministres des finances à Alger, est-elle le prélude à une intégration économique maghrébine ? Il faut l’espérer. Dotée d’un capital de 500 millions de dollars équitablement répartis entre les cinq pays du Maghreb avec son siège à Tunis, elle sera opérationnelle en principe courant 2010. L’objectif, selon l’UMA, de la création, dans les différentes résolutions, de cette institution financière maghrébine est : de contribuer à l’édification d’une économie maghrébine compétitive et intégrée, de réaliser des projets mixtes, de promouvoir les échanges commerciaux inter-maghrébins et de renforcer les investissements et la circulation des biens et des capitaux entre les pays du Maghreb.

Je considère, en effet, que le sous segment de l’intégration maghrébine au sein de l’espace euro-méditerranéen, son espace social et économique naturel – intégration à laquelle je suis profondément attachée depuis plusieurs décennies – vitale certes pour la région du Maghreb, n’est pas une utopie mais une nécessité économique et historique, mais également pour l’Afrique, pouvant être un puissant catalyseur, faisant le pont avec le monde arabe à fortes potentialités de capitaux, alors que les échanges intra maghrébins ne représentent que 3% et les échanges intra pays arabes moins de 6% moyenne 2008/2009, taux dérisoire, malgré de nombreux discours politiques, loin de la réalité économique. Le dernier rapport de la banque mondiale de décembre 2009 souligne que l’intégration maghrébine pourrait permettre une croissance du Maghreb de plus de 8% (hors hydrocarbures) gagnant ainsi plusieurs points qui auront une répercussion positive sur la création d’emplois et donc sur le niveau du taux de chômage. Alors, on pourrait imaginer les importantes économies d’échelle, les gains de productivité si l’intégration de l’Afrique pouvait se réaliser, par étapes, tenant compte d’espaces socio-économiques homogènes.

1.- Dépasser la vision étroite des micro- Etats suicidaire pour les pays du Maghreb

Le Maghreb a un poids économique insignifiant au sein du commerce mondial et d’une manière générale, la région méditerranéenne est frappée actuellement par une récession économique avec un écart croissant, les pays de l’UMA ayant un revenu PNB par tête qui représente moins de 15 % de ceux de la CEE. Le rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) paru courant janvier 2009 pour cette région, précise que l’écart de richesse entre les deux rives de la Méditerranée est le plus fort au monde, avec un PIB annuel par habitant qui se situe en moyenne dans un rapport de 1 à 10. Entre le Maroc et l’Espagne, il est par exemple de 1 à 12. Cette situation dramatique s’aggrave depuis plusieurs années avec son lot de tensions inévitables, l’augmentation significative de l’émigration vers l’Europe, et le risque de voir à terme la région s’embraser à la moindre occasion. L’OCDE estime qu’il faudrait créer au Sud de la Méditerranée, au minimum 40 millions d’emplois dans les quinze prochaines années pour seulement maintenir le taux de chômage à son niveau actuel. Il est peu probable, compte tenu de la situation économique des pays de la zone européenne, de solutionner à brève échéance ce problème majeur, et ce, malgré les meilleures volontés affichées. Toujours selon l’OCDE, « le flux d’investissements européens dans la zone est anormalement faible : l’Europe ne réalise que 2% de ses investissements en Méditerranée, alors que les Etats-Unis et le Japon investissent respectivement 20% et 25% de leurs investissements dans « leur » sud. La Méditerranée sera l’une des régions du monde les plus touchées à court terme, par les conséquences du changement climatique, dont la désertification Méditerranée ». Cette récession s’explique par différents facteurs dont le manque d’homogénéisation économique pour des raisons essentiellement historiques et sociologiques et qui fait fuir les capitaux vers d’autres cieux plus propices.

2.- Les objectifs stratégiques de l’intégration économique

Pragmatiquement pour réaliser l’intégration maghrébine on peut envisager plusieurs axes :

– La solution maximum : qui impliquerait la signature d’un traité instituant l’Union économique maghrébine, sur le modèle du traité de Rome, avec fixation d’un calendrier relatif à l’élimination des droits de douanes et des restrictions contingentaires, établissement d’un tarif extérieur commun, harmonisation des politiques économique, fiscales, monétaires et enfin, mise en place d’institutions communes dotées de pouvoir de décisions.

– La solution minimum : qui ferait de la création progressive d’une union économique, une simple déclaration d’intention, les seuls engagements juridiques se limitant à la participation périodique à des négociations sur les concessions tarifaires ou sur les choix des lieux d’implantation d’industries nouvelles.

– La solution intermédiaire : fondée sur l’interaction entre la libéralisation commerciale et l’harmonisation industrielle. Cette solution devrait couvrir une période de 5 ans au cours de laquelle les pays maghrébins s’engageraient à des réductions linéaires (10 % par exemple par an) des droits de douanes et des restrictions quantitatives frappant les produits échangés, à l’établissement d’une liste d’industries à agréer et dont les produits seraient assurés de la libre circulation et de la franchise sur le marché maghrébin. Pour cela la décision d’Alger du 16 mars 2010 de la création d’une Banque maghrébine d’intégration pour financer les projets d’intérêt commun pourrait favoriser cette industrialisation simultanée et équitable, et l’institution éventuelle d’une union des paiements et enfin l’harmonisation de leurs politiques commerciales à l’égard des pays tiers pour ne pas compromettre plus tard l’institution d’un tarif extérieur commun.

Après cette banque d’investissement, dont l’avenir sera en fonction d’une évolution positive des échange intra-maghrébins, il serait souhaitable de voir la création d’une banque centrale et d’une bourse maghrébine, car elles doivent précéder nécessairement la création d’une monnaie maghrébine devant s’insérer à l’horizon 2020, au travers des réseaux, dans le cadre de la future création d’une banque centrale et d’une bourse euro-méditerranéenne. Comme, il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’action éducative, car l’homme pensant et créateur, qui sont, avec la bonne gouvernance, les deux fondamentaux du développement du XXIème siècle, devra être à l’avenir le bénéficiaire et l’acteur principal du processus de développement. C’est pourquoi je préconise la création d’une université euro-maghrébine, ainsi qu’un centre culturel de la jeunesse euro-maghrébine comme moyen de fécondation réciproque des cultures et la concrétisation du dialogue soutenu, pour éviter les préjugés et les conflits sources de tensions inutiles.

Dans ce cadre l’émigration maghrébine ciment des liens culturels peut être la pierre angulaire de la consolidation de cette coopération et de cette intégration au sein de l’espace euro-méditerranéen. C’est un élément essentiel de ce rapprochement du fait qu’elle recèle d’importantes potentialités économiques et financières. Car la promotion des relations entre l’Europe et le Maghreb et sa communauté émigrée, doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir : le Gouvernement, les missions diplomatiques, les entrepreneurs, les commerçants, les Universités et les compétences individuelles. L’engagement implicite caractérisant les relations entre la communauté émigrée et les pays d’origine, ne doit pas occulter les légitimes intérêts strictement économiques des parties concernées pour garantir la rentabilité et la pérennité des opérations engagées. Les pouvoirs exécutifs devraient veiller, dans le cadre organisationnel et législatif, à alléger l’ensemble des procédures administratives, afin de favoriser la promotion de l’investissement et les échanges commerciaux, à l’instar de pays qui utilisent leurs compétences nationales localisées à l’étranger comme point d’appui au développement national. Cela permettrait par des actions concrètes de promouvoir la synergie de systèmes privés, politiques et administratifs, pour développer une approche de « coopération » avec l’Europe, qui pourrait être mieux perçue par l’interlocuteur maghrébin et africain, qu’une approche purement commerciale.

3.- Quelles sont implications socio-économiques de l’intégration ?

L’intégration économique consolidée du Maghreb devrait être conçue et mise en œuvre pour :

– tirer un meilleur parti / bénéfice des ressources complémentaires des différents pays ;

– créer un marché de taille plus vaste susceptible d’entraîner de significatives économies d’échelle, indispensable dans un univers de compétitivité économique ouverte ;

– créer un climat économique plus favorable au Maghreb dans les échanges économiques internationaux.

La mise en œuvre de l’intégration renforcée passe par les conditions suivantes :

– contrôle renforcé de la croissance démographique au delà des évolutions naturelles.

– reconquête des marchés intérieurs sur les produits intermédiaires où le Maghreb dispose, simultanément : des ressources naturelles, des ressources énergétiques, des ressources humaines et des compétences technologiques, des capacités de financement.

– spécialisation des pays dans les secteurs d’activités où ils disposent d’un avantage « naturel », du fait de leurs ressources, de leur situation géographique ou de leur capacité de financement, avec le souci affiché d’équilibrer les développements économiques entre régions ;

– harmonisation progressive des modes de vie et des spécifications techniques des équipements et des produits.

C’est que les pays du Maghreb disposent de sérieux atouts susceptibles de leur permettre d’enclencher, assez rapidement, de fortes croissances de leurs économies analogues à celles observées dans d’autres régions du monde, notamment en Asie ; parmi ces avantages on peut citer (dans le cadre d’une croissance soutenue) :

– une population jeune et en pleine expansion sur un vaste territoire;

– une homogénéité culturelle que renforce l’unité linguistique;

– l’existence d’une élite importante et de qualité;

– des moyens financiers appréciables – même en situation de crise – qui placent la région en position confortable par rapport aux autres régions en développement ;

– un potentiel énergétique, industriel et agricole prometteur, même s’il est inégalement réparti ;

– a proximité de l’énorme marché européen ;

– La disponibilité de la communauté internationale et spécialement les Etats Unis d’Amérique de l’Union Européenne pour ne pas parler des pays émergents (Chine, Inde, Russie, Brésil) qui s’intéressent à ce marché pour soutenir l‘intégration de la région (aides financières, délocalisations industrielles, ouverture des marchés, etc.).

4.-Conclusion : l ’UMA et la nouvelle donnée régionale euro- méditerranéenne et euro-africaine

La création du partenariat euro-méditerranéen, associant des dizaines de partenaires dans un cadre multilatéral complémentaire et d’un renforcement des relations bilatérales, a été officialisée lors du sommet de Barcelone de novembre 1995, qui il faut le reconnaître, a eu jusqu’à présent un impact mitigé selon le dernier rapport 2009 du Forum Euro-méditerranéen des Instituts de Sciences Economiques (Femise). Aujourd’hui, il y a urgence à ce qu’une nouvelle ère dans les relations euro-méditerranéennes s’ouvre alors que l’Europe redécouvre sa véritable dimension historique et géographique. Trois pays de l’UMA, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont signé des accords d’association. Bientôt la Syrie et la Libye, depuis la levée de l’embargo, intégreront cet espace qui peut devenir sans doute un des plus riches du monde si l’on intègre le sud de la méditerranée et le continent Afrique, car il faut éviter tout égoïsme, il faut parier sur un partenariat gagnant–gagnant et il serait suicidaire pour l’Europe d’ignorer ces espaces vitaux face à la concurrence des grands géants américains et asiatiques. L’ère des micros-Etats étant révolu, l’intégration économique du Maghreb est donc vitale et on pourrait envisager un grand espace économique Europe Afrique via le Maghreb horizon 2015/2020.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL Professeur d’Université en management stratégique Expert International