La loi de finances algérienne 2012 rompt-elle avec la logique rentière ?*

Redaction

Faute de prospectives, les observateurs nationaux et internationaux s’en tiennent uniquement en Algérie à la lecture de la loi de finances. Nous assistons périodiquement à des lois de fiances complémentaires traduisant le manque de vision stratégique.

Professeur Abderrahmane MEBTOUL

1-Certes, dans un contexte de ralentissement économique, mondial, à travers la loi de finances, 2012 l’Algérie maintient son programme d’investissement public massif de 286 milliards de dollars dont 130 de restes à réaliser. Face à ces dépenses, le montant du fonds de régulation des recettes géré par le trésor, différence entre le prix réel des hydrocarbures et le prix fixé par la loi de finances (37 dollars) à ne pas confondre avec les fonds souverains qui sont des fonds d’investissement (le gouvernement algérien ayant écarté le recours à cette procédure), est passé de 4 280 milliards de DA, à fin décembre 2008, à 4 316 milliards de dinars à fin décembre 2009 et à 4842 milliards de dollars le premier trimestre 2011 mais attention au déficit budgétaire croissant entre 2011/2012 .

Pour 2011, selon la loi de finances, le déficit budgétaire est de 4.693 milliards DA (environ 63 milliards de dollars au cours de l’époque) soit 33,9% du PIB. Ce déficit a fortement été creusé sous l’effet de la dépense publique, évaluée à 8.275 mds de dinars. La dépense de fonctionnement s’accroît de 857 mds DA du fait du soutien aux produits alimentaires de base (huiles et sucre) et de renforcer la dotation budgétaire aux produits qu’il subventionnait déjà (blé et poudre de lait). Ces dépenses comprennent aussi l’augmentation des salaires avec l’application de nouveaux statuts de la fonction publique et l’ouverture de nouveaux postes budgétaires et des dépenses d’équipement pour le logement.

Pour la loi de finances prévisionnelle 2012, les dépenses se situeront à près de 7500 milliards de dinars alors que les recettes atteindront 3456 milliards de dinars, soit un déficit de 4000 milliards de dinars. Sur la base d’un taux de change de 75 dinars le dollar, retenu par le projet de loi, cela donne un déficit de 54 milliards de dollars, environ 25% du produit intérieur brut. Mais ce léger recul du déficit budgétaire s’explique par le fait que le budget de l’équipement enregistre un recul de 32% par rapport à 2011 pour se situer à près de 2700 milliards de dinars. Et paradoxalement l’augmentation de 8% du budget de fonctionnement (dont les salaires de la fonction publique) dépassant les 4600 milliards de dinars, soit plus de 100% par rapport à 2008.

2- L’économie algériennes est une économie totalement rentière avec 98% d’exportation d’hydrocarbures et important plus de 70% des besoins des ménages et des entreprises. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures donnant ainsi des taux de croissance, des taux de chômage et des taux d’inflation fictifs.

La richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock ressources naturelles d’hydrocarbures) – stock monétaire (transformation: richesse monétaire) – répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation-fonds de régulation).

La monnaie est avant tout un rapport social traduisant la confiance entre l’Etat et le citoyen. Se pose cette question pour quoi ce dérapage du dinar depuis plus d’une année sur le marché parallèle avec une distorsion de plus de 45% par rapport au cours officiel de la banque d’Algérie (1 euro coté entre 14/15 dinars). L’on peut démonter qu’existe une corrélation statistique entre le cours des hydrocarbures et la valeur du dinar algérien de plus de 70%.

En 2011, sans hydrocarbures, le dinar flotterait avec un cours qui dépasserait 45 dinars un euro soit une dévaluation de 300%. Le taux d’inflation non comprimé serait supérieur à 10% en référence au taux officiel, et plus de 20% sans subventions et le taux de chômage, inclus la sphère informelle, serait supérieur à 50/60% de la population active estimée à 10 millions. Sur le plan diplomatique, l’Algérie jouerait, sans hydrocarbures, un rôle presque nul.

3- La rente des hydrocarbures rente contribue à l’effacement artificiel tant de la dette extérieure qu’intérieure via les assainissements répétées des entreprises publiques et des services collectifs, des bonifications des taux d’intérêts et donc directement et indirectement à 80% du produit intérieur brut via le couple dépenses publiques/hydrocarbures.

La société des hydrocarbures ne créée pas de richesses ou du moins très peu, transforme un stock physique en stock monétaire (champ de l’entreprise) ou contribue à avoir des réserves de change qui du fait de la faiblesse de capacité d’absorption sont placées à l’étranger (94% des 175 milliards de dollars), dont avec le taux d’inflation qui avoisine 3% et les taux directeurs des banques centrales très bas entre 0,25% et 1,75% donnent un rendement très faible voire négatif.

De plus en plus d’économistes algériens se demandent alors pourquoi continuer à épuiser les réserves pour aller placer cet argent à l’étranger accélérant l’épuisement des réserves. Le département d’Etat à l’Energie US, dans un rapport de mai 2011, estime que l’Algérie détient 2,37% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel conventionnel estimées à 4.502 milliards de mètres cubes loin de la Russie, classée première, qui détient plus de 47.570 milliards de mètres cubes, l’Iran, le Qatar, ( ces trois pays totalisant plus de 50%) , le Turkménistan, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, les Emirats Arabes Unis, le Nigeria et le Venezuela et il faudra compter à l’avenir sur la Lybie et d’autres pays africains.

4- Le calcul de la durée des réserves est fonction du couple coût( les coûts algériens étant élevés) du prix international, qui doit être supérieur à 9/10 dollars le milliard de BTU pour le gaz naturel par canalisation( GN) et 14 dollars pour le gaz naturel liquéfié(GNL), dont les contrats à moyen terme arrivent en 2012/2014 à expiration. Nos importateurs à travers Transmed via la Sicile et dont Galsi accuse un retard important pour un supplément de 8 milliards de mètres cubes gazeux via la Sardaigne et Medgaz via l’Espagne, les pays européens reconduiront-ils le même prix ou iront t-ils vers d’autres concurrents ou le marché libre, le problème est posé ?

Il y a lieu de tenir compte de la concurrence des énergies substituables dont les énergies renouvelables, et du gaz non conventionnel qui se commerce actuellement à 4/5 dollars le MBTU aux USA avec un léger redressement depuis la catastrophe nucléaire au Japon en Europe/Asie 7/8 dollar le MBTU au sein de ces espaces géographiques, entraînant avec la technique du forage horizontal une révolution dans le domaine gazier.

Avec des exportations prévues 2015/2020 de 85 milliards de mètres cubes gazeux et 100 horizon 2020 selon les rapports sud Ministère de l’énergie, (est ce que cela sera possible assistant depuis deux ans à des réductions de production ?) et 50/65 de consommation intérieure , si l’on maintient tous les projets prévus et le bas prix actuel, n’ayant pas découvert depuis 8 ans de grands gisements, malgré des dépenses de recherche colossales de la part de Sonatrach , l’épuisement prévu des réserves de gaz est à moins de 25 ans et moins de 20 ans si le cours international entre 2011/2020 est en dessous de 9/10 dollars le MBTU pur les canalisations et 15 dollars pour le GNL.

5- Dès lors face aux bouleversements géostratégiques énergétiques et mondiaux , supposant qu’ une très grave crise mondiale n’affecte pas à court terme les recettes algériennes : rappelons nous la chute des 2/3 des recettes de Sonatrach en 1986 et plus 45% en 2008.

Que sera alors l’Algérie avec une population en 2011 de 36 millions, en 2020/2025 dépassant les 40 millions et horizon 2030 plus de 50 millions sans hydrocarbures? Le sacrifice devant être partagé, alors que nous assistons à une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière. Conforté par une richesse artificielle ne provenant pas du travail, l’erreur du gouvernement est d’avoir manqué d’un discours de vérité parce que tétanisé par les évènements dans le monde arabe, nous assistons à une distribution passive de la rente à certaines catégories sociales sans contreparties productives des augmentations de salaires allant à plus de 50%.Maintenant tout le monde veut sa part de rente et immédiatement même si cela conduit le pays au suicide collectif. Cette tendance est confirmée par l’envolée des dépenses improductives des lois de fiances 2011/2012.

6- Le système financier algérien, poumon du développement et du pouvoir du pays doit être autonomisé et non être un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures. L’on ne peut continuer à privilégier les rentes aux dépens du travail et de l’intelligence.

Pour preuve, le poste service (appel aux compétences étrangères) est passé de 4 milliards de dollars à 10/11 milliards de dollars entre 2009/2010 et pourrait dépasser les 12 milliards de dollars entre 2011/2012 démontrant la dévalorisation du savoir local. Or un pays qui se vide de ses compétences est comme un corps sans âme.

La revalorisation du savoir n’est pas seulement un problème technique mais suppose de profonds réaménagements dans les structures du pouvoir. Il s’agira à l’avenir de reposer le développement sur une profonde moralité tant des dirigeants politiques que des responsables aux fonctions sensibles de l’Etat en conciliant l’efficacité économique et une profonde justice sociale.

Dans ce cadre , la déclaration d’une extrême gravité, dévastatrice sur le plan politique, du directeur général des impôts qui affirme officiellement le 12 octobre 2011 qu’il n’est pas question d’instaurer un impôt sur les fortunes( voir mon interview au quotidien gouvernemental arabophone El Chaab en date du 16 octobre 2011 concernant cette déclaration ) démobilise les acteurs qui vivent de leur travail, les poussant à la révolte sociale, alors qu’il n’est pas de ses prérogatives mais celle du gouvernement sur un sujet aussi sensible.

Cela pose toute la problématique d’un État de droit et d’une gouvernance renouvelée condition du passage d’une économie rentière à une économie hors hydrocarbures tenant compte des importants bouleversements géostratégiques du monde qu’il s’agit d’aborder par un dialogue large, loin de toute démarche bureaucratique autoritaire et des replâtrages conjoncturels.

En bref pour relever les défis futurs et réaliser l’adaptation nécessaire, en ce monde turbulent et impitoyable, l’Algérie a besoin d’une profonde mutation systémique.

(*) Article publié tel qu’il nous a été envoyé par son auteur

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