La semaine politique par Kamel Daoud

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Par : Kamel DAOUD

Les conférences de presse d’Ahmed Ouyhaia sont souvent un évènement de scène : non parce que le bonhomme y va dans le sens de la confidence ou de l’explication, mais le contraire, justement. Les journalistes d’Alger y vont pour voir comment un homme peut éviter de répondre, avec art, au lieu de répondre justement. Du coup, le bonhomme camp un rôle fascinant : celui du non-dit. Perspicace, Ouyahia joue souvent ce petit jeu de séduction avec la presse, multiplie les formules et laisse croire à son statut de porte-parole du Pouvoir réel. Autant les « sorties » de Bouteflika sont insipides à force de protocoles et de lyrisme nationaliste, autant celles d’Ouyahia sont amusantes à force de non-dits et d’esquives et de jongleries. Charmeur, Ahmed joue donc : avec les langues dont il maitrise les trois (arabe, algérien et amazigh), les rumeurs, les interdits et les sous entendus et la mauvaise formation des journalistes pour qui il a un mépris travaillé. Porte-parole du maquis, du « pouvoir réel », de ses tuteurs clandestins…etc, tout cela entre dans le personnage. Fin psychologue, il a su déceler chez les algériens et chez les journalistes, cette hypnose qu’ils ont pour « l’autre pouvoir », même s’il s’agit d’un mythe, les « Services », l’occulte. Du coup, pour lui, il y avait un rôle à camper dans l’imaginaire politique algérien et il le campe, justement.

A la fin les algériens lisent les comptes-rendus des « sorties » d’Ouyahia comme des jeux de cache-cache, des talk-shows et des prouesses de double langage : l’homme ne dit jamais plus qu’il ne veut mais laisse croire plus qu’il ne dit. Il respecte les formes du discours d’obédience en vogue en Algérie, envers la Présidence mais avec un curieux sourire au coin, un don pour l’italique. Pour bien comprendre Ouyahia donc, il faut donc trois choses : un divan, un éclairage propice et un manuel du freudisme de base. Car c’est cela : une sorte d’intelligence vive devenue cynisme avant d’aboutir à une esthétique du discours public. Le bonhomme s’amuse, profondément et se retient à peine de le dire et de le montrer.  Ses explications politiques sont ridiculement plates (genre « je dérange »), mais ses réponses aux questions directes des journalistes sont à retenir : Ouyahia a échoué ? « Oui » (aveux), « mais c’est un échec colletive » (déplacement et dépersonnalisation). Ouyahia Président ? « C’est un destin » répond l’oracle. L’armé a dopé le taux de participation ? « On n’a pas l’armée de la Chine ». Le FLN ? « On parle entre nous de cousins parce qu’on n’a pas fait un parti pour en rajouter un autre ou juste pour prendre le pouvoir», phrase délicieusement surréaliste.

Je suis le Destin

Du coup, on se pose la question de la raison : pourquoi on écoute cet homme à chaque fois ? La réponse est dans le style : parce qu’il sait vraiment comment faire pour ne rien dire. Les journalistes se bousculent pour lui poser la question gênante par excellence, peine perdu. Le bonhomme est rodé comme un formulaire qui rit. Car dans le casting politique, il y a le Président de la république, statut du Rite majeur, campant le discours fade et le socle nécessaire. Ensuite le militant obtus, comme Belkhadem et les siens, détenteurs de la légitimité « révolutionnaire » en cendre et du folklore des décolonisateur. Ensuite vient Ouyahia, porte-parole des coulisses et enfant imposé par le régime au système. Selon la mythologie algérienne et ses collections de rumeurs, il fait parti du clan des « protégés », face au clan des « nommés », des « subits » et des nouveaux arrivés. Dans royaume ancien, il occuperait le poste de l’intendant du Royaume, pas celui du grand vizir : sale besogne comme il dit, martyr par le sacerdoce. Le soir ? Il doit rire, vraiment, comme une magnifique intelligence rendue solitaire.

Dernière question : Ouyahia sera-t-il un jour Président ? Lui, il en est sur. Il rit déjà de la tête que se feront les algériens..