La semaine politique par Kamel Daoud

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Les 48 seigneurs du pays arraché



Par : Kamel DAOUD

Ce n’est pas le titre d’un film chinois sur les aventures d’une triade mais les confessions d’un homme d’affaires algérien, très connu pour son sérieux : « … Je ne comprends plus : parfois ce n’est même pas l’Etat. L’Etat fait des choses, donne de l’argent, propose des facilités mais le système est tellement pourri que cela ne sert à rien. Dernièrement, justement pour encourager l’investissement, on a décidé que le foncier industriel des wilayas allait dépendre des walis. En soi, c’est une bonne chose : cela permet d’éviter les lenteurs de la centralisation et d’accélérer le traitement des dossiers au niveau local. On était content.

C’était une bonne mesure et cela permettait de rêver d’entreprises créées plus rapidement. Les investisseurs ne devaient plus attendre, pendant de longs mois, les décisions d’Alger pour commencer. Sauf que du coup, cela est devenu pire : chez nous, dans notre wilaya, le wali en a profité pour magouiller, corrompre et faire ses affaires et distribuer le portefeuille selon ses amitiés et ses clients. Certains ont eu des actes de propriété en un jour ! Croyez-le ou pas. Du coup, ce fut un scandale qui est remonté très haut. Et en réaction, au lieu de penser à sanctionner, réguler et trouver des moyens de corriger le tir, on a décidé à l’algérienne : tout stopper. D’un coup. Et pour les VIP qui ont eu leurs actes de propriété en un jour, on ne sait plus quoi faire pour annuler. C’est la paralysie.

Donc, la mesure est bonne en elle-même : encourager l’investissement, décentraliser, accélérer le traitement des dossiers en instance. Mais dès que cela coince ou dérape, la solution est du coup extrême : tout stopper, arrêter et sanctionner tout le monde : le mafieux
du foncier et le bon investisseur. J’avais prévu de lancer une usine de fabrication de…. Tout est prêt, j’ai eu un partenaire étranger qui y a mis ses sous, les études sont faites et le bonhomme arrive demain. Que vais-je lui dire ? Qu’un wali a magouillé et que l’Etat a décidé de sanctionner tout le monde le bon et le mauvais ? Que le wali chez nous remplace le peuple et le pays ? Que rien n’est garantit pour un investisseur même algérien ? C’est quoi la solution ? Elle est simple : sanctionner le wali et trouver des moyens de régulation qui ne stoppent pas la machine à cause d’une mauvaise pièce quelconque. Sauf que c’est non. On gère par la même règle du « tout ou rien ». Et même au niveau des ministères concernés, on ne sait plus quoi faire. C’est soit le tout centralisé au niveau de la Présidence, soit la décentralisation abusive aux mains des walis.

Il y a des wilayas qui maintenant cumulent un retard de 12 ans sur le reste du pays. La raison ? Il suffit de se voir imposer deux mauvais walis, deux mandants de suite, pour se voir reculer vers la Préhistoire de 12 ans d’âge. La responsabilité y est énorme et l’impunité catastrophique chez ce corps. Que faire ? En parler au ministre ? Et puis après ? Que pourra-t-il faire lui-même ?  ». Oui. Souci de fond, panne des fondations : on croit que le Pouvoir est à Alger alors qu’il est dans les 48 wilayas, dans les mains des walis qui, en Algérie, sont plus souverain que leurs ministres. A l’excès, jusqu’à l’abus et sans contre-pouvoirs ni possibilité de surveillance par le bon peuple ou les élus.

Le Pouvoir des walis est excessif et personne n’en parle, beaucoup subissent, payent, se soumettent ou se taisent. Dans une autre wilaya de l’Oranie, le bon humour du peuple a même donné un nom aux dos d’âne qui parsèment les rues de la ville : « Les mamelles de la fille du wali ». La cause ? La jeune fille détient le monopole du marché sur les ralentisseurs. Tableau absurde d’un régime à la fois ultra-présidentiel (Bouteflika et son premier cercle décident de tout) et ultra décentralisé (les walis sont des Présidents absolus dans leurs wilaya et de dépendent plus des réseaux de protecteurs et de nominations que des ministres et du gouvernement). Deux personnes peuvent vous régler vos soucis : Bouteflika lui-même ou un wali. Entre les deux, il n’y a rien que des bavards souvent.

Démocratiser l’Algérie ? Oui : rendre les wilayas aux algériens.

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