La Spirale Infernale du Marché Noir des Devises en Algérie : Pourquoi l’Euro s’Envole Tandis que le Dinar Chute ?

Redaction

La Spirale Infernale du Marché Noir des Devises en Algérie : Pourquoi l’Euro s’Envole Tandis que le Dinar Chute ?

L’Algérie, en quête de stabilité économique, fait face à une situation alarmante sur le marché des devises. Alors que les taux de change officiels affichés par la Banque d’Algérie restent relativement stables, le marché noir, quant à lui, montre une flambée sans précédent, notamment pour l’euro et le dollar. Ces écarts de taux soulignent une crise de confiance croissante dans la monnaie nationale, le dinar.

Une Ascension Inquiétante : L’Euro s’Envole sur le Marché Noir

La Flambée des Devises : Un Phénomène Révélateur

Le 26 septembre 2024, les cambistes du marché noir en Algérie affichent des taux qui défient toute logique économique traditionnelle. L’euro, par exemple, s’échange désormais à 245,00 dinars algériens à l’achat et à 247,00 dinars à la vente. En comparaison, les taux officiels restent beaucoup plus bas, autour de 147,48 dinars à l’achat et 147,52 dinars à la vente. Ce décalage de près de 100 dinars entre les deux marchés illustre les tensions qui minent l’économie nationale.

Pour mieux comprendre l’ampleur de cette disparité, voici un tableau comparatif des taux de change entre le marché officiel et le marché noir :

Devise Officiel / Achat Officiel / Vente Marché Noir / Achat Marché Noir / Vente
Euro (€) 147,48 DZD 147,52 DZD 245,00 DZD 247,00 DZD
Dollar US ($) 132,18 DZD 132,20 DZD 223,00 DZD 225,00 DZD
Livre Sterling (₤) 176,98 DZD 177,00 DZD 282,00 DZD 285,00 DZD
Dollar CAN ($C) 98,45 DZD 98,47 DZD 162,00 DZD 164,00 DZD
Dirham EAU (AED) 35,98 DZD 35,99 DZD 60,00 DZD 62,00 DZD

 

Ce tableau met en évidence l’ampleur des écarts entre les taux officiels et ceux du marché noir, révélant un déséquilibre profond au sein du système économique algérien.

Pourquoi un Tel Écart Entre les Marchés ?

L’écart croissant entre les cours officiels et parallèles des devises en Algérie est le symptôme d’une économie en difficulté, où la confiance en la monnaie nationale, le dinar, s’effrite jour après jour. Plusieurs facteurs alimentent cette disparité. Tout d’abord, la rareté des devises sur le marché officiel, exacerbée par des restrictions bancaires strictes, pousse les opérateurs économiques, les importateurs et même les citoyens ordinaires à se tourner vers le marché noir pour répondre à leurs besoins en devises. Le contrôle des changes imposé par le gouvernement limite sévèrement l’accès aux devises étrangères, créant ainsi une demande accrue sur le marché informel.

Ensuite, l’inflation galopante et l’instabilité économique que connaît l’Algérie depuis plusieurs années ont érodé la valeur du dinar. Loin de s’atténuer, cette tendance s’est aggravée avec la conjoncture internationale, marquée par une inflation mondiale et une crise énergétique. Le dinar, déjà affaibli par une économie largement dépendante des hydrocarbures, peine à se stabiliser face aux devises fortes, entraînant une fuite vers l’euro et le dollar, perçus comme des valeurs refuges.

Les Répercussions Économiques et Sociales de la Flambée des Devises

Un Impact Direct sur le Pouvoir d’Achat

L’ascension des devises sur le marché noir a des conséquences directes et dévastatrices sur le pouvoir d’achat des Algériens. Le coût des biens importés, qui représentent une part significative de la consommation en Algérie, est directement impacté par la hausse des devises. Les produits de première nécessité, qu’ils soient alimentaires, pharmaceutiques ou électroniques, voient leurs prix augmenter de manière exponentielle, ce qui alourdit encore un peu plus la facture des ménages déjà fragilisés par la crise économique.

Kamel, un commerçant à Alger, témoigne de cette situation : « Nous devons désormais payer nos fournisseurs en devises, que nous obtenons sur le marché noir à des taux exorbitants. Le prix des marchandises a presque doublé en un an, et nos clients n’ont plus les moyens d’acheter. Nous sommes pris en étau entre des coûts qui explosent et des clients qui se raréfient. »

Ce constat est partagé par de nombreux autres acteurs économiques. Le secteur de la santé, par exemple, est particulièrement touché. Les médicaments importés, dont le coût est directement lié aux fluctuations des devises, deviennent de plus en plus inaccessibles pour une large partie de la population. Cette situation pourrait conduire à une crise sanitaire, si des mesures correctives ne sont pas prises rapidement.

Un Marché Noir Qui Gangrène l’Économie

Le marché noir des devises n’est pas seulement un symptôme de la crise économique, il en est aussi l’un des facteurs aggravants. En alimentant une économie parallèle, il prive l’État de précieuses recettes fiscales et contribue à l’érosion de l’autorité monétaire. La prolifération des transactions non déclarées renforce la culture de l’informalité, déjà bien ancrée en Algérie. Cette situation rend encore plus difficile la mise en œuvre de politiques économiques efficaces, car elle échappe en grande partie au contrôle des autorités.

Mounir, un économiste basé à Oran, explique : « Le marché noir des devises est une véritable épine dans le pied de l’économie algérienne. Il perpétue un cercle vicieux où l’informalité nourrit l’inflation, qui à son tour alimente la demande sur le marché noir. L’absence de régulation et la complaisance de certains acteurs rendent toute tentative de stabilisation du dinar extrêmement compliquée. »

La Banque d’Algérie : Une Institution en Quête de Solutions

Une Politique Monétaire à Réinventer

Face à cette situation, la Banque d’Algérie se trouve dans une position délicate. Les mesures traditionnelles de politique monétaire semblent inefficaces pour endiguer la flambée des devises sur le marché noir. La stabilité des taux de change officiels, bien que rassurante en apparence, masque une réalité plus complexe où le marché informel dicte sa loi. Pour restaurer la confiance dans le dinar, la Banque d’Algérie devra innover, en adoptant des stratégies qui vont au-delà des simples interventions sur les marchés des changes.

L’une des solutions envisageables serait d’élargir l’accès aux devises sur le marché officiel, en assouplissant les contrôles des changes et en facilitant les transactions pour les importateurs et les entreprises. Cela pourrait réduire la demande sur le marché noir et aligner progressivement les taux parallèles avec les cours officiels. Cependant, une telle mesure comporte des risques, notamment celui de vider les réserves de change du pays, déjà sous pression.

Réformes Structurelles et Renforcement du Dinar

Pour Mounia, une analyste financière, la solution passe aussi par des réformes structurelles plus profondes : « L’Algérie doit impérativement diversifier son économie pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Tant que le dinar restera lié aux fluctuations des prix du pétrole, il sera vulnérable aux chocs externes. Il est crucial de développer des secteurs comme l’agriculture, l’industrie ou les services pour stabiliser la monnaie nationale et renforcer sa résilience. »

La diversification économique est un objectif que les gouvernements successifs en Algérie ont souvent affiché, mais qui tarde à se concrétiser. L’enjeu est de taille : il s’agit de transformer une économie rentière en une économie productive, capable de générer des richesses de manière autonome. Une telle transformation nécessiterait non seulement des investissements massifs dans les infrastructures et l’éducation, mais aussi une réforme profonde du système financier pour le rendre plus transparent et plus efficace.

Les Acteurs du Marché Noir : Qui Sont les Cambistes ?

Un Système Informel Bien Rodé

Le marché noir des devises en Algérie ne pourrait prospérer sans une organisation efficace et des acteurs bien établis. Les cambistes, ces intermédiaires qui facilitent les transactions informelles, sont devenus des figures incontournables de l’économie parallèle. Ces acteurs, souvent discrets, opèrent dans l’ombre mais jouent un rôle clé dans la détermination des taux de change sur le marché noir. Leur influence est telle qu’ils parviennent parfois à dicter les prix, indépendamment des fluctuations économiques mondiales.

Les cambistes se répartissent généralement en deux catégories : les petits opérateurs, qui travaillent de manière individuelle et à petite échelle, et les réseaux organisés, qui disposent de connexions internationales et de ressources considérables. Ces derniers sont souvent en contact avec des traders étrangers, des hommes d’affaires et même des institutions financières informelles, ce qui leur permet de manipuler les taux de change en fonction de leurs intérêts.

La Complicité des Acteurs Économiques

La prospérité du marché noir des devises est aussi alimentée par une certaine complicité au sein de la société algérienne. De nombreux commerçants, hommes d’affaires et même certains fonctionnaires préfèrent recourir au marché informel pour obtenir des devises, échappant ainsi aux contraintes du marché officiel. Cette complaisance généralisée s’explique en partie par les lourdeurs administratives et les restrictions imposées par l’État, qui rendent l’accès aux devises difficile pour les acteurs économiques.

Amine, un entrepreneur opérant dans l’import-export, confie : « Il est pratiquement impossible de mener des affaires en Algérie sans passer par le marché noir. Les procédures officielles sont trop complexes et les délais sont interminables. Pour rester compétitif, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers les cambistes. » Cette situation illustre bien le dilemme auquel sont confrontés de nombreux Algériens : respecter la loi ou rester compétitif dans un environnement économique hostile.

Les Perspectives d’Avenir : Quel Avenir pour le Dinar ?

Scénarios Optimistes : Une Possible Stabilisation

Malgré les défis actuels, certains experts restent optimistes quant à l’avenir du dinar et de l’économie algérienne. Pour eux, une série de réformes bien ciblées pourrait permettre de stabiliser la monnaie nationale et de réduire l’écart entre les marchés officiel et parallèle. La clé réside dans la confiance : en rétablissant la confiance des citoyens et des investisseurs dans le dinar, il serait possible de freiner la demande sur le marché noir et de restaurer l’équilibre monétaire.

Ces réformes incluraient la libéralisation progressive du marché des changes, le renforcement des institutions financières, et surtout, une diversification accrue de l’économie. L’Algérie possède des atouts non négligeables, notamment une population jeune et dynamique, des ressources naturelles abondantes, et un potentiel touristique encore largement inexploité. En misant sur ces secteurs, le pays pourrait réduire sa dépendance aux hydrocarbures et stabiliser sa monnaie.

Scénarios Pessimistes : Une Dévaluation Inéluctable ?

D’autres experts, en revanche, sont plus sceptiques et envisagent un scénario où la dévaluation du dinar devient inévitable. Pour eux, tant que les réformes structurelles ne sont pas mises en œuvre, la spirale inflationniste continuera de peser sur la monnaie nationale. La poursuite des tensions sur le marché noir, combinée à une économie encore trop dépendante du pétrole, pourrait conduire à une situation où le dinar perdrait encore de sa valeur, exacerbant les difficultés économiques du pays.

Un tel scénario aurait des conséquences désastreuses pour la population, en particulier pour les classes les plus vulnérables. L’inflation galopante, la hausse des prix des biens de première nécessité, et la raréfaction des devises étrangères rendraient la vie quotidienne encore plus difficile pour des millions d’Algériens. Dans ce contexte, il devient urgent pour les autorités de prendre des mesures radicales pour éviter le pire.

Conclusion : Vers une Réforme Urgente du Marché des Devises

Le marché noir des devises en Algérie est le reflet d’une économie en crise, où la confiance dans la monnaie nationale s’érode à mesure que les défis économiques se multiplient. La flambée des devises sur ce marché parallèle n’est pas seulement un problème financier, mais aussi un enjeu de souveraineté pour le pays. Pour éviter que la situation ne dégénère, il est impératif de mettre en place des réformes structurelles visant à stabiliser le dinar, à renforcer l’économie nationale, et à restaurer la confiance des citoyens.

Le gouvernement algérien, en collaboration avec la Banque d’Algérie, doit adopter une approche globale qui allie réformes économiques, politiques monétaires innovantes, et lutte contre l’informalité. Il s’agit d’une course contre la montre, car chaque jour qui passe sans action concrète rapproche un peu plus le pays d’une crise économique profonde. L’avenir du dinar, et plus largement celui de l’Algérie, dépend des décisions qui seront prises dans les mois à venir.

En fin de compte, l’Algérie doit choisir entre continuer sur la voie actuelle, avec ses risques et ses incertitudes, ou prendre le tournant des réformes, pour construire une économie plus résiliente, plus diversifiée, et plus équitable. Le défi est immense, mais les enjeux le sont tout autant. Seul un engagement ferme et résolu permettra de redresser la barre et de garantir un avenir prospère pour le pays.