Lalla Fadhma N'Soumeur et Boubaghla. Du béguin aux…interdits

Redaction

Une histoire d’amour que d’aucuns rapportent mais sans donner plus de détails dans une société, il est vrai, régie par des dogmes et autres référents qui s’éloignent totalement des sentiments, pourtant, humainement nobles.

Au-delà de l’image guerrière que tout un chacun pourrait retenir à sa manière sur celle qui est convenu de surnommer « la Jeanne d’Arc du Djurdjura », n’en déplaisent à certains esprits étroits qui crieraient haro au néocolonialisme d’un nouveau genre.

Après tout, ce surnom lui est donné au lendemain de sa capture (11 juillet 1857) par le général Randon qui l’a crié à la face de ses officiers en signe de reconnaissance à une femme combattante qui lui a infligée plusieurs défaites et humiliations tout au long des huit années de combats armés qui les a opposés (1850-1857). C’est dire qu’il y a lieu de s’enorgueillir de ce qualificatif même si comparaison n’est pas raison.

Combien même on pourrait déceler une quelconque similitude entre ces deux femmes, il n’en demeure pas moins que l’histoire de la puritaine Jeanne d’Arc la Française ne peut en aucun cas être assimilée à notre héroïne nationale, Lalla Fadhma N’Soumeur. Ce n’est pas le même contexte historique encore moins culturel et/ou social.

Cela dit, Lalla Fadhma à laquelle Soumeur lui est associé à la faveur de son « exil » volontaire dans ce village habité, jadis, par son frère Si Tahar, représente à la fois une lueur d’espoir et une énigme non élucidée. De l’espoir, elle en a donné à volonté pour toutes les femmes Algériennes qui veulent s’émanciper et s’affranchir de la tutelle des hommes. D’abord par ses positions fermement constantes vis-à-vis de nombreuses sollicitations en mariage qu’elle réfutera de toutes ses forces. Ensuite quand elle sera sommée par son frère Si Mohand Tayeb d’épouser in petto son cousin Si Yahia n’Ath Ikhoulaf, Lla Fadhma se rebellera au domicile conjugal dans le but de ne pas consommer cette union forcée. Ce qui lui a value d’être « répudiée » un mois plus tard. Enfin, mise sous quarantaine, elle sortira de son « placard » quelques jours plus tard, certes, déprimée mais ne tardera pas à retrouver ses esprits en allant habiter chez son frère Si Tahar où le calme et l’harmonie conjugale régnait en maître des lieux.

L’énigme réside dans cette histoire d’amour que d’aucuns rapportent mais sans donner plus de détails dans une société, il est vrai, régie par des dogmes et autres référents qui s’éloignent totalement des sentiments, pourtant, humainement nobles. Vous l’aurez compris, il s’agit de sa relation privilégiée – si on peut présenter ainsi la chose – avec le chérif Boubaghla, littéralement l’homme à la mule. Ce chérif donc – non pas le justicier du Far West comme on en voit dans les films western américains mais plutôt une sorte de moine combattant – a, dés qu’il l’eut rencontré à Azazga, eu le béguin pour elle et vice-versa. Bien entendu, ce fut à un moment de guerre menée contre l’envahisseur français. Ce qui a eu pour effet immédiat la jonction de leurs troupes respectives. Les volontaires mobilisés, en effet, par Boubaghla associés à la soixantaine de guerrières de Lla Fadhma ont eu raison de la soldatesque du capitaine Wolf au cours de la bataille menée de front un certain 7 avril de l’an 1854 dans l’oued Sébaou.

Demande en mariage refusé

Un premier succès salué tel qu’il se doit par les populations kabyles dont l’espoir renaît et se cristallisa sur ces deux tourtereaux, suis-je tenté de dire, mais les interdits sociaux – ou si vous préférez les non dits – étant si pesants dans la balance que ceux qui ont esquissé quelque récits sur l’époque mettent l’accent davantage sur la ténacité et la résistance héroïque de Lalla Fadhma. C’est à peine si on évoque que Boubaghla de son vrai nom Mohamed Lamjad ben Abdelmalek, originaire de l’Ouest du pays qui plus est, s’est maintes fois déplacé à Ouerja (Iferhounen), village natal de Lla Fadhma pour demander sa main. Il butera sur le refus stupidement rancunier, non pas de celui des membres de sa famille mais sur celui de son ex époux. Eh oui ! Selon la tradition en vigueur à l’époque, ne pouvait prétendre épouser une répudiée que celui dont sa dulcinée s’entendra obligatoirement prononcé la sentence « Je te répudie » et à trois reprises s’il vous plait !

De guerre lasse, autant poursuivre la lutte armée qui, au moins les rapproche et leur fait goûter le bonheur évanescent. Lorsque Boubaghla sera blessé au cours de la bataille de Tachekirt, Lla Fadhma lui porta secours et ils allèrent se réfugier aux Ath-Yanni d’où ils appelèrent à la poursuite des combats…Mais comme dans les contes de fée, leur histoire d’amour – à relativiser certainement par rapport à une tradition orale qui dit ce qu’elle veut bien dire – prendra fin le 16 décembre de l’an 1854 date à laquelle Boubaghla sera exécuté suite à une dénonciation. Bien entendu, Fadhma Sid Ahmed de son vrai nom, à la tête d’un imposant contingent de confédérations poursuivra la lutte armée et remportera de nombreuses batailles avant d’être capturée au cours d’une «trêve» savamment orchestrée par le général Randon.

Pendant que celui-ci envisageait, en effet, une soi-disant paix avec le frère de l’héroïne si Mohand Tayeb, vingt solides gaillards furent conduits, à la tombée de la nuit, par un rallié au refuge de Lalla Fadhma ainsi prise par lâcheté en compagnie de ses guerrières. Beni Slimane, prés de Tablat sera définitivement sa résidence surveillée par le bach-agha Tahar ben Mahieddine.

Durant six années, elle consacra le meilleur de son temps au culte avant d’être terrassée par une hémiplégie selon les uns tandis que d’autres avancent de fortes présomptions portant à penser à un véritable camp de la mort à l’hitlérienne sans pour autant détenir la preuve. En septembre 1863, l’héroïne du Djurdjura rendit l’âme. Elle avait 33 ans. Ainsi prend fin l’épopée héroïque d’une femme vraiment pas comme les autres. Elle était très belle, raffinée, et surtout très intelligente. Des qualités mêmes si elles ne lui profitèrent guère au sens restrictif du terme pour des raisons que j’ai précédemment évoquées, lui ouvrèrent, fort heureusement, d’autres portes plus obscures, celles là, en ce sens que « Tamnafecqt » (la révoltée) a su comment mobiliser des femmes et des hommes qui lui vouèrent respect profond et craintes superstitieuses. D’une voix chaude et prenante, elle a pu capter un auditoire sur lequel elle avait un ascendant certain. C’est le fruit d’un travail assidu sur elle-même en apprenant à psalmodier des versets coraniques d’abord – une pratique pourtant réservée aux seuls mâles – à aménager en salle de consultation (El-Kheloua) ensuite. Et son pressentiment avéré sur le débarquement prochain de l’ennemi a fini par lui conférer le statut de « voyante » aux yeux de la population qui buvait insatiablement ses paroles…

Rabah DOUIK

*Ses restes seront réinhumés, le 3 juillet 1995, à El-Alia

Fadhma n'Soumeur