Un Héros de la Guerre de Libération Nationale, Un Crime d’État
Larbi Ben M’hidi, figure emblématique de la guerre de Libération nationale algérienne, est l’un des martyrs les plus vénérés du pays. Son nom est synonyme de courage, de résistance, et de sacrifice ultime pour l’indépendance de l’Algérie. Pourtant, derrière ce héros se cache une histoire sombre, celle d’un assassinat perpétré par l’armée française en 1957, maquillé en suicide pour dissimuler un crime d’État. Plus de six décennies après, l’ombre de ce meurtre plane encore sur les relations franco-algériennes, et la question d’une reconnaissance officielle par la France reste un sujet brûlant.
Le Contexte Historique : La Bataille d’Alger et la Répression Coloniale
Nous sommes en pleine guerre d’Algérie, un conflit sanglant qui oppose le Front de Libération Nationale (FLN) aux forces coloniales françaises. La bataille d’Alger, qui se déroule en 1957, est l’un des épisodes les plus violents de cette guerre. Larbi Ben M’hidi, membre influent du FLN et stratège redoutable, est capturé par les parachutistes français dirigés par le colonel Bigeard.
Connu pour sa bravoure, Ben M’hidi refuse de plier devant ses tortionnaires. « Jetez la révolution dans la rue et elle sera portée par le peuple », aurait-il dit peu avant sa mort. Ces mots, qui résonnent encore aujourd’hui, symbolisent l’indomptable esprit de résistance qui animait ce chef révolutionnaire.
Arrêté en février 1957, Ben M’hidi est transféré dans une ferme de la Mitidja, où il est soumis à des interrogatoires brutaux. Le 4 mars 1957, il est assassiné par pendaison sur ordre de l’armée française. Pour masquer ce crime, ses bourreaux maquillent sa mort en suicide, une version qui sera officiellement soutenue par les autorités françaises de l’époque.
La Vérité Émerge : Un Crime d’État Révélé
Malgré les efforts déployés pour dissimuler la vérité, la lumière finit par se faire sur les circonstances de la mort de Ben M’hidi. Dès les années 1980, des voix commencent à s’élever pour dénoncer le mensonge d’État. Le colonel Bigeard lui-même, qui avait livré Ben M’hidi aux services spéciaux, avoue à la sœur du martyr que ce dernier n’a pas mis fin à ses jours, mais a été tué par l’armée française.
Le véritable coup de théâtre survient en 2000, lorsque le général Paul Aussaresses, commandant des services spéciaux à l’époque, publie un livre choc intitulé Services spéciaux Algérie 1955-1957. Dans cet ouvrage, il reconnaît sans ambiguïté être l’exécutant de l’assassinat de Ben M’hidi. Il confie au journal Le Monde que ce dernier a été pendu par ses hommes dans une ferme appartenant à un colon extrémiste, et que la mise en scène du suicide a été orchestrée pour tromper l’opinion publique.
Aussaresses, qui n’a jamais exprimé de remords pour ses actes, décède en 2013 sans avoir été jugé pour ce crime. Son aveu posthume ne fait qu’alimenter l’indignation et la douleur des Algériens, pour qui Ben M’hidi reste un symbole de la lutte pour la liberté et la dignité.
Emmanuel Macron et la Mémoire Coloniale : Une Reconnaissance Attend-elle ?
En septembre 2018, le président français Emmanuel Macron reconnaît que Maurice Audin, militant communiste algérien disparu en 1957, a été torturé et assassiné par l’armée française. Cet acte est salué par beaucoup comme un geste fort de reconnaissance des crimes coloniaux. En mars 2021, il renouvelle cet engagement en reconnaissant que l’avocat Ali Boumendjel, autre figure de la résistance algérienne, a également été « torturé et assassiné » par les forces françaises.
Ces gestes, bien que symboliques, s’inscrivent dans une démarche plus large de réconciliation avec le passé colonial de la France. Macron a réitéré sa « détermination » à poursuivre ce travail de mémoire et de vérité, lors d’une rencontre avec les membres de la commission mixte d’historiens « vérité et mémoire », dirigée par l’historien Benjamin Stora.
Stora, dans ses récentes déclarations, laisse entendre que Macron pourrait aller plus loin en reconnaissant la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de Larbi Ben M’hidi. Bien que le président français n’ait pas encore pris d’engagement formel, son silence sur la question est perçu par certains comme un signe d’attente du « moment opportun » pour faire cette annonce.
La Réconciliation Mémoirelle : Entre Avancées et Résistances
La reconnaissance des crimes coloniaux par la France est un processus complexe et délicat. Chaque geste de reconnaissance suscite à la fois des espoirs et des controverses, tant en Algérie qu’en France. Pour de nombreux Algériens, ces reconnaissances sont perçues comme tardives et insuffisantes. Elles n’effacent pas les souffrances endurées, ni les stigmates laissés par la colonisation. Elles sont toutefois un pas nécessaire vers la réconciliation des mémoires, un processus indispensable pour construire des relations apaisées entre les deux pays.
En France, la question coloniale reste un sujet sensible, souvent instrumentalisé dans le débat politique. Les reconnaissances officielles des crimes de l’époque coloniale divisent l’opinion publique, entre ceux qui estiment qu’elles sont essentielles pour tourner la page du passé, et ceux qui les considèrent comme une remise en question de l’histoire nationale.
Un Geste Attendu, Mais Insuffisant ?
La reconnaissance de l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, si elle venait à être officialisée, serait sans doute un moment important dans le travail de mémoire entamé par la France. Mais pour de nombreux Algériens, ce geste, aussi symbolique soit-il, ne suffira pas à combler le fossé de la méfiance qui existe encore entre les deux nations. L’histoire coloniale a laissé des blessures profondes, et le chemin vers une véritable réconciliation est encore long.
Le cas de Ben M’hidi n’est pas unique. Des milliers d’Algériens ont été victimes de la répression coloniale, souvent dans des conditions atroces. La reconnaissance de ces crimes ne peut être que le début d’un processus plus large de réparation, qui doit inclure non seulement des excuses officielles, mais aussi une réflexion collective sur les mécanismes de violence et d’oppression mis en œuvre pendant la colonisation.
Un Dialogue à Construire pour l’Avenir
La relation entre la France et l’Algérie est complexe, façonnée par une histoire commune marquée par la violence, la domination et la résistance. Pourtant, cette relation est aussi un enjeu crucial pour l’avenir des deux pays. La jeunesse algérienne, née après l’indépendance, porte un regard différent sur cette histoire, tout en restant profondément marquée par les récits de la guerre de Libération nationale.
Pour que la reconnaissance des crimes coloniaux ait un véritable impact, elle doit s’accompagner d’un dialogue ouvert et sincère entre les deux sociétés. Ce dialogue doit permettre de dépasser les rancœurs du passé pour construire un avenir commun, fondé sur le respect mutuel et la compréhension. Il s’agit de ne pas se contenter de simples déclarations, mais de mettre en place des actions concrètes qui permettent de faire vivre cette mémoire, tout en la dépassant.
La Mémoire de Ben M’hidi : Un Héritage Vivant
Larbi Ben M’hidi, par son engagement et son sacrifice, incarne les valeurs de courage et de justice qui ont guidé la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Sa mémoire est aujourd’hui plus vivante que jamais, portée par les nouvelles générations qui voient en lui un modèle de résistance face à l’oppression.
La reconnaissance de son assassinat par l’État français serait un acte de justice historique, mais elle ne doit pas rester un geste isolé. Pour que cette reconnaissance ait un sens, elle doit s’inscrire dans un mouvement plus large de réappropriation de l’histoire coloniale, tant en Algérie qu’en France. Cela implique de revisiter les archives, de multiplier les témoignages, et de donner la parole à ceux qui, pendant longtemps, ont été réduits au silence.
L’histoire de Ben M’hidi est celle d’un homme qui a choisi de se battre pour la liberté de son peuple, au prix de sa vie. Sa mémoire doit continuer à inspirer ceux qui, aujourd’hui encore, luttent contre l’injustice et pour la dignité humaine. La reconnaissance de ce crime par la France serait un premier pas vers la réparation, mais le véritable hommage à Ben M’hidi réside dans la poursuite de son combat pour la vérité et la justice.
Conclusion : Un Pas vers la Réconciliation ou un Simple Geste Politique ?
Alors que l’on attend une possible reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, il est essentiel de s’interroger sur la portée réelle de ce geste. Est-ce un acte sincère de réconciliation ou une manœuvre politique destinée à apaiser les tensions sans remettre en question les fondements d’un passé colonial encore trop présent ?
Quoi qu’il en soit, cette reconnaissance, si elle se produit, devra s’accompagner d’un engagement réel pour la vérité et la mémoire. Ce n’est qu’en affrontant pleinement le passé, sans détour ni faux-fuyant, que la France et l’Algérie pourront espérer bâtir une relation fondée sur la confiance et le respect mutuel. Larbi Ben M’hidi, par son sacrifice, a montré la voie. Il appartient désormais aux dirigeants des deux pays de suivre cet exemple, en faisant de la vérité historique une pierre angulaire de la réconciliation.