Le chantier du futur siège d’Air Algérie : au coeur d’un scandale

Redaction

Le chantier du futur siège d’Air Algérie a du…béton dans l’aile. Le temps est aux scandales en Algérie et ce chantier ne fait pas exception. Retour sur l’histoire de ce projet qui fait un crash avant même de décoller. Quand le 10 février 2007 Air Algérie décida de s’offrir un nouveau siège digne des grandes compagnies aériennes, elle a conclu un accord avec Khatib et Allami, un bureau d’études libanais de renommée internationale.

Le coût prévisionnel de ce nouveau siège était de 3,4 milliards de DA.

Un premier appel d’offres lancé par le maître de l’ouvrage, Air Algérie, a été infructueux. C’est au bout d’un second appel d’offres que le projet a été attribué à une société canadienne, SMI, pour un montant de 83 millions d’euros, soit le budget annuel alloué à une wilaya. Le chantier devait démarrer en juin 2011. Seulement voilà, ce projet bascule dans une situation de blocage aux relents d’un scandale financier préjudiciable, aussi bien pour la compagnie Air Algérie, que pour le pays. Peu de temps après la signature de ce contrat avec la société canadienne, Air Algérie change de tête.

L’ancien P-DG, Wahid Bouabdellah, a été remplacé par M.Boultif. Ce dernier a hérité d’un cadeau empoisonné. Il n’est, en rien impliqué dans cette affaire… de gros sous. Et voilà une crise de confiance qui s’installe entre ce maître de l’ouvrage (Air Algérie) et la société de réalisation (SMI). Il convient de rappeler qu’Air Algérie avait entamé les travaux dans le but de gagner du temps en réalisant le fond de fouille.

Déjà, entre la soumission et la notification de démarrage des travaux, deux ans se sont écoulés. Durant toute cette période, le fond de fouille, réceptionné par Khatib et Allami en 2009, est resté exposé à la pluie et aux aléas du climat, ce qui a naturellement changé toute les caractéristiques du sol.

Avant de commencer les travaux, la société canadienne SMI a sollicité les services d’un laboratoire spécialisé et a découvert que la portance du sol a effectivement changé.

Résultats: Khatib et Allami, d’une part, et SMI, d’autre part, ont abouti au même résultat, à savoir la nécessité d’apporter des correctifs pour consolider la structure.

Il a fallu creuser 50 cm sur la totalité du terrain sur une superficie de 11.000 mètres carrés avec deux mètres supplémentaires dans les zones oû les tours devraient être érigées. Le changement n’est pas minime, mais très important pour un ouvrage d’art aussi compliqué.

L’erreur des Libanais a coûté 100 millions de dinars

Suite à cela, SMI a démarré les travaux de construction des tours. Pour cela, il fallait avoir en sa possession les plans. Or, contre toute attente, il n’a reçu ces documents qu’en octobre 2011, soit quatre mois après la notification du démarrage des travaux. Encore du temps perdu. Les plans étant récupérés, coup de théâtre: le CTC a jugé ces plans faux! Donc, il a fallu encore tout changer. Encore un autre mois de retard pour que le CTC valide les nouveaux plans. Ce n’est pas fini, car pour remplacer les plans de fondation remis par le bureau d’études Khatib et Allami, l’opération a pris encore cinq mois et demi. Et voilà le projet du nouveau siège d’Air Algérie dans un véritable labyrinthe. Jusqu’à la fin du mois de novembre 2011, la construction des tours était bloquée.

Pourquoi ces retards, notamment dans la transmission des plans? Personne ne répondra à cette question, mais le Trésor public continue de débourser de l’argent. L’Algérie est riche. Jusque-là, il y a au moins trois obstacles à la réalisation du projet.

Le problème de la portance du sol, le changement de tous les noyaux destinés aux escaliers et des ascenseurs d’implantation des tours, parce que les plans n’étaient pas coordonnés avec la Protection civile. Un problème qui relève du concepteur du projet et enfin l’obstacle des fondations. L’erreur des Libanais Khatib et Allami a coûté à la compagnie Air Algérie 100 millions de DA qui auraient dû être réglés avant l’intervention de l’entreprise.

Pour la directrice chargée du projet, Mme Karima Cheblal, «il y a quelque chose d’anormal dans ce projet» hérité par Air Algérie de l’ère Bouabdellah, l’ancien P-DG de cette compagnie. «Si j’avais été là le jour où l’étude a été acceptée, j’aurais contesté», atteste-t-elle.

Il y a un sérieux problème de fondations qui se pose. Le fait que les fondations et même les aménagements de l’immeuble prévus soient modifiés, les interrogations commençaient dès lors à planer sur le chantier.

On nous a fourgué le plan d’un palace 5 étoiles

Les fondations ont changé complètement. Elles sont devenues plus complexes. En fait, ce bâtiment était-il vraiment destiné à accueillir le siège d’une compagnie aérienne aussi grande soit-elle? La question se pose pour les spécialistes. Ainsi, la thèse selon laquelle la structure n’est pas destinée à une administration, se renforce davantage. Surprise: il semblerait qu’elle a été conçue pour un palace 5 étoiles et même dans un pays autre que l’Algérie. Preuve en est: «La cuisine que comporte la structure était une cuisine 5 étoiles», explique un expert qui garde l’anonymat. S’agissant des changements opérés sur la structure, la partie Air Algérie estime qu’ils sont mineurs. Or, le coût est faramineux: la facture avoisinera les quelque 700 millions de dinars, soit 7 millions d’euros en ajoutant le coût des fondations qui était déjà supporté par Air Algérie, soit un total de un million d’euros. Air Algérie se permet-elle ce luxe au moment où les plus hautes autorités du pays insistent sur la rigueur dans la gestion des budgets? A ces coûts s’ajoute le facteur temps encore plus précieux: il faudrait attendre encore 9 mois rien que pour remettre les plans d’architecture ainsi réaménagés. Toujours dans le chapitre de ces changements et à titre d’exemple, les cloisons qui étaient de 5000 m² sont modifiées pour atteindre 12.000 m². Pour les représentants d’Air Algérie, ces changements ne sont pas de grande importance. Ils attestent que «les changements étaient logiques et moins importants». Selon une source de la Protection civile, «le maître de l’oeuvre avec l’accord du maître de l’ouvrage devaient déposer un dossier pour un permis modificatif», ce qui signifie que le permis de construire, initialement approuvé, devient caduc compte tenu des changements qu’il a subis. Résultat des courses: 13 mois plu tard, les détails du changement annoncé par le maître de l’ouvrage, en octobre 2011, demeurent toujours non approuvés par la Protection civile.

Sans oublier le fait que les modifications doivent faire l’objet au préalable du même circuit que la demande initiale. C’est-à-dire que le bureau d’études devrait déposer un dossier auprès de la Duch pour procéder à la modification du permis. Entre-temps, les semaines, les mois et les années s’égrènent… Tous les acteurs impliqués dans cette affaire aux relents d’un nouveau scandale, se regardent en chiens de faïence. Entre l’ancien

P-DG d’Air Algérie, Wahid Bouabdellah, et le nouveau, Mohamed Salah Boultif qui a hérité d’un dossier s’apparentant à une arnaque, les relations sont exécrables. Les Canadiens de la SMI, chargés de transformer le place 5 étoiles en un siège administratif d’Air Algérie, sont devenus la victime collatérale, idéale de cette bataille où les Libanais, réputés pour leur sens du lucre et de l’arnaque, veulent tirer leur épingle du jeu.

Le projet en peu de mots

Le projet a pour objectif la construction du nouveau siège d’Air Algérie. Il a été lancé une première fois en 2009, puis annulé. Il a été relancé fin 2009. Avis d’attribution: juillet 2010. Signature du contrat: février 2011 et ODS de démarrage des travaux: juin 2011, Adjudicataire du marché: SMI. Montant: 8300 millions DA TTC. Délai: 23 mois. Pour rappel, le concurrent classé second dans l’appel d’offres, l’entreprise espagnole OHL, était à 15.600 millions de DA, soit presque le double de la soumission de SMI. Pour ce qui est du cadre du contrat, le maître de l’ouvrage est Air Algérie. Le maître de l’oeuvre est le bureau d’études Khatib & Allami qui est aussi l’ingénieur de suivi des travaux. Khatib & Allami joue le rôle d’assistant au maître de l’ouvrage, de maître d’oeuvre (il a conçu et établi le cahier des charges selon les conditions imposées par Air Algérie) et enfin, en phase de travaux, de bureau d’études de suivi des travaux. Le contrat est de type Fidic (Fédération internationale des ingénieurs conseil). Le contrat Fidic est à 100% équilibré, établi par des experts internationaux qui protègent les maîtres de l’ouvrage des malfaçons ou autres comportements non professionnels de l’entreprise et qui, dans le même temps, protège l’entreprise des éventuels dépassements qui pourraient émaner du maître de l’ouvrage. Le maître de l’oeuvre ou l’ingénieur est l’arbitre impartial.

Lu sur l’Expression