La semaine politique de Kamel Daoud.
L’homme de la semaine ? Benbouzid, le ministre de l’Education nationale. Si printemps arabe devait avoir un sens en Algérie, il serait celui de « Dégage » lancé à un ministre, pas à son président. Les algériens semblent moins voir en Bouteflika (12 an d’âge) l’incarnation du fameux « système » qu’en Benbouzid (22 ans). La raison ? Il est patron de l’un des secteurs stratégiques en Algérie : cet espace de transmission qui résume le malaise dit identitaire, le viol de l’histoire nationale, la dé-algérianisation massive. L’Ecole. Et il est ministre depuis plus 20 ans. Sur le net, des algériens se sont amusés à faire défiler les dix ministres de l’Education nationale en France pendant les 20 ans de Benbouzid. Un vrai kadhafi de la « pédagogie » et du 3ème plus gros budget algérien.
Un printemps pédagogique en somme, visant à sauver les générations futures et pas celle présentes. Un « Irhal » lancé par les nouveau-nés et pas par des manifestants. Benbouzid, pour les algériens, est aussi une « génération Benbouzid ». Celle qui avait six ans à son intronisation sous le parapluie du RND en 1993. En 2012, cette génération a 25 ans et ne sais pas quoi faire ni où aller. Une génération décrite par les aînés comme peu engagée, peu formée, peu apte à marcher un jour sur la lune, conservatrice, poussée vers l’islamisme bigot et terne héritière des fougueux jeunes des années 70. Le procès est sévère mais réel : les ainés rêvaient des grandes universités, les enfants de Benbouzid rêvent d’ANSEJ et d’être agent de sécurité assis. Le pays a réduit ses ambitions : de l’entreprise, au KMS.
Ensuite ? Ensuite Benbouzid représente le système occulte. Le mythe politique lui suppose d’abracadabrantes alliances matrimoniales : gendre de Poutine ou du Général Mediene. Affilé et affidé du Pouvoir réel et pas du Pouvoir formel. C’est ce qui explique, aux yeux des algériens l’incroyable mandat de cet homme, à ranger dans la catégorie dictateur arabe, Moubarak, Benali ou Kadhafi et sans élections, même truquées, en plus. Figure de ce régime sans nom à qui les algériens imputent leurs malheurs, le vol de leur liberté et le viol de leur indépendance. Benbouzdi est vu comme un barbouze dans les écoles et pas comme un Benbadis ou Mouloud Feraoun.
Et ensuite ? Ensuite le bonhomme a 22 ans de ministère (l’un des record du monde ! ), est conservateur, bureaucrate, indéboulonnable, et se réclame de cette idéologie que les algériens vomissent : l’arabisation, la scolarisation de masse et pas de qualité, les vieux clivages arabophones-francophones et le désastre du rêve d’une école algérienne saine, à la conquête du monde et de la Lune. Benbouzid est aussi l’un des dernier « stalinien » encore en poste un quart de siècle après la chute du mur de Berlin : formé à Odessa et St- Petersburg, il est l’enfant de l’URSS morte et enterrée.
Cela suffit-il ? Non. Dans un dernier entretien à El khabar, le ministre expliquera que l’Ecole algérienne est la meilleure en Afrique et dans le monde arabe ! Sous son règne et à cause des réformes bien sur. Ses preuves ? La collection de chiffres staliniens qui exhibe, à
chaque fois, dans la pure tradition du « dépassement des prévision » communiste : 98% de taux de scolarisation, 63% de taux de réussite au bac contrairement au 18% de 1999..etc. Le seul ennemi de Benbouzid ? Pas l’échec national mais les… Francophones. Cette vieille 5 ème colonne de la paranoïa nationale. Là où la Turquie dégage le plus grand budget de traduction du monde vers sa langue et attire les plus grandes universités polyglottes, le ministre algérien de l’Education revient vers les vieilles batailles qui nous ont conduit à n’être ni francophone, ni arabophone et à importer des chinois en masse pour nous remplacer. Triste et lamentable.
Tout les algériens répondent de chœur, impuissants : mais où sont scolarisés les deux filles de Benbouzid ? On connait la réponse. La plus désastreux est le reste : la dictature sur un peuple est moins nocive, parfois, que la dictature sur les enfants du peuple, nés ou à naître.