El Aâche est une commune située à 18 km au sud-ouest du chef-lieu de Bordj Bou Arreridj. C’est la commune la plus vaste dans cette wilaya. Ce qui en fait l’une des régions à vocation pastorale d’ovins et caprins par excellence. Paradoxalement, il s’agit également de la commune la plus pauvre. El Ghaith, une association très active se bat pour insuffler une dynamique de développement dans le secteur de l’élevage d’ovins.
A Lemkhazen, un village situé sur les hauteurs de la commune d’El Aâche à Bordj Bou Arreridj, nous avons l’impression que le temps est figé. En cette matinée de novembre, le village est serein. Loin du vacarme des villes, le moindre bruit de pas peut être entendu de loin. Les paysages s’offrant à nous sont composés d’interminables petits monts rocheux et de vastes terres semi-arides. Ce panorama aux couleurs jaunâtres sous un ciel gris se fend par endroit de quelques rayons de soleil. Les rues du village sont quasiment désertes.
Le silence qui règne ici témoigne de l’exode des jeunes du village, à l’image de leurs compatriotes des autres villages de l’Algérie profonde, partis vers les villes à la recherche d’un emploi. Un paradoxe pour cette région au fort potentiel agricole et d’élevage ovin et caprin.
Lemkhazen, ancien bastion de la révolution algérienne, n’a plus la cote auprès d’une jeunesse en quête d’un avenir meilleur dans les grandes villes perçues comme plus dynamique. En dépit des efforts et des espoirs des populations locales, la fuite des jeunes est une réalité qui coûte beaucoup à cette région.
« J’ai trois brebis et je prends soin d’elles comme mes enfants »
Une lueur d’optimisme émane pourtant de ce village. Elle vient des femmes ciblées par un ambitieux programme savamment préparé. Un programme visant à leur octroyer des brebis. Celles-ci ont accueilli à bras ouvert ce projet dans lequel elles mettent volontiers tout leur cœur comme en témoigne cette villageoise : « J’ai actuellement trois brebis et leurs trois agneaux, ainsi que deux chèvres. Je prends soin d’elles comme mes enfants. Je les fais passer avant tout. Je me réveille tous les jours à 5 heures du matin, et la première chose que je fais, c’est de me rendre dans mon étable pour les nourrir. J’espère arriver à en avoir une bonne centaine d’ici quelques temps, et pourquoi pas plus ? ». Nna Zouina Lakehal, malgré son âge, elle reste débordante d’énergie du haut de ses 54 ans. La rude vie villageoise qu’elle mène ne l’empêche pas de se fixer des défis, et de s’y donner à fond pour les atteindre. Fière, elle a un de ces regard qui reflètent une force d’esprit qui résiste à bien des épreuves. Digne et humble, elle incarne le courage des gens de la campagne.
Dans son semblant d’étable, une sorte de baraque adossée à une maison traditionnelle construite en pierres taillées que son petit cheptel d’ovins partage avec deux vieilles carcasses de voitures, Nna Zouina s’affaire avec passion à nourrir et à prendre soins de ses brebis.Mère de cinq enfants; trois filles et deux garçons, elle vit désormais seule avec sa mère alitée. Ses trois filles mariées, et ses deux garçons travaillant ailleurs, Nna Zouina affronte la vie seule, armée de son courage et d’une bonne dose d’optimisme. Entre son travail de femme de ménage dans le chef-lieu de la commune et l’obligation de se tenir tout près de sa mère malade, elle trouve encore du temps à consacrer à sa passion pour l’élevage d’ovins.
Cette opportunité inespérée lui a été offerte par l’association El GhAïth. Elle est parmi les premières à avoir postuler à ce programme initié par cette association l’été dernier. Un projet destiné aux femmes du village consistant à leur céder gratuitement des brebis en gestation. Ces bêtes bénéficient également d’une prise en charge sanitaire durant une année. Les femmes profitant de ce programme doivent, au bout d’un an et une fois que les brebis ont mis bas, rendre le même nombre de bête que celui qui leur a été donné.
Au total, 25 femmes ont été sélectionnées pour bénéficier de la première édition de ce projet. Les brebis rendues seront réintroduites dans le circuit pour être redistribuer à d’autres femmes nécessiteuses. Aux termes de ce cercle vertueux, les femmes qui ont reçu des brebis deviennent à leur tour donneuses pour d’autres demandeuses.
Depuis son lancement l’été dernier, cette opération a suscité beaucoup d’engouement de la part de la population locale. Plus de 300 dossiers ont été reçus depuis le commencement du projet. Et déjà, l’offre dépasse la demande. Ce qui a poussé les instigateurs de ce programme à établir des critères de sélection. Afin de choisir les femmes à aider en priorité, les responsables de l’association El GhAïth ont décidé de privilégier les femmes veuves ou divorcées : « Ce sont celles qui sont le plus dans le besoin. Pour celles qui sont sans revenu, elles peuvent, grâce à ce programme, subvenir à leurs besoins, et pourquoi pas s’enrichir », déclare Tahar Khababa, coordinateur de la cellule locale de l’Agence de Développement Social (ADS) sous tutelle du ministère de la Solidarité nationale. Tahar Khababa a mis beaucoup du sien dans cette opération, en collaboration avec le service sociale de l’APC et l’association El Ghaïth qui chapeaute cet ambitieux projet.
« Les femmes chez nous souffrent du silence »
Les autorité locales de la commune d’El Aâche ne sont pas en reste. Conscient l’impacte que pourrait avoir ce projet sur le long terme pour sa localité, le premier responsable de la commune, M.Saoudi Ahmed, n’a pas hésité une seconde pour accompagner les membres d’El Ghaïth dans leur démarche : « Les femmes chez nous souffrent du silence. Elles sont marginalisées. Ce programme va leurs permettre de mener leur propre projet, sur une activité qu’elles connaissent très bien, pour l’avoir déjà pratiqué depuis des dizaines d’années. Nous sommes optimistes, et nous encourageons cette belle initiative » nous confie-t-il.
Les objectifs fixés par les membres de l’association El Ghaïth répondent parfaitement aux attentes de la population locale et à celles des élus pour « l’amélioration des conditions de vie et du statut social de femmes en leur assurant des revenus stables et réguliers à travers leur intégration au développement communautaire par la création d’emploi ». Un projet qui tombe à pic au regard des besoins de la localité pour le développement de cette activité. Serait-ce suffisant pour sortir toute la commune de son marasme économique ? Ayant eu vent de notre présence au siège de la mairie, un groupe de jeunes de la commune d’El Aâche nous ont interpellés après notre rencontre avec M.Saoudi Ahmed : » Et nous ? Vous n’allez pas nous voir ? Personne ne veut écouter nos préoccupations ? Notre commune souffre. Nous souffrons du chômage, nous n’avons pas de structures pour jeunes, pas de travail, nous sommes marginalisés. Notre commune est oubliée par les pouvoirs publics » clame Fares Bourouh, membre d’une association de la société civile.
Le développement de ce créneau peut être salutaire pour cette commune. L’activité pastorale reste encore à l’état embryonnaire dans cette région. Cette activité se limite à quelques têtes d’ovins ou caprins par maison. Le déclic est donc encore loin, mais le défi est possible à relever. La volonté de dynamiser ce secteur par les autorités locales et la population d’El Aâche existe, et il suffit de peu d’efforts pour que cette ambition se concrétise.
Arezki IBERSIENE