Les Chimères du 8 mars, chronique de Nesrine Briki

Redaction

Depuis quelques années, au retour des beaux jours, à partir de la seconde semaine du mois de mars, vers le 8 plus exactement, je reçois quelques SMS et pas mal de messages me souhaitant « bonne fête ».

Au début,  entre étonnement et affolement, je me demandais quelle fête importante j’aurais pu ainsi oublier ?! Mais oui le 8 mars on célèbre la femme ! C’est la journée mondiale de la femme.

Femina, feminae ! 

Coincée entre la « Journée Internationale de la radio et de la télévision en faveur des enfants » et « la  journée mondiale du rein », la journée mondiale de la femme fut  instituée en 1977 par l’O.N.U.

Elle acquiert en France un statut officiel dès 1982, sous l’égide de François Mitterrand, dans le sillage des actions des Simone Veil (celle de la loi du même nom, et non son homonyme philosophe décédée à 34 ans) et De Beauvoir, et quelques temps après ces paroles chantées part Jean Ferrat qui  déclarait avec Aragon « La femme est l’avenir de l’homme ».

Ayant peut-être eu son heure de gloire, la journée du 8 mars passe quasiment inaperçue aujourd’hui en France (d’où mon étonnement du début) ce jour ne se distingue d’aucun autre jour et beaucoup de français ignorent jusqu’à son existence.

Bien que les chiffres sur les violences subies par les femmes soient alarmant et que la question de la parité et de l’égalité salariale reste toujours posée, il faut admettre que d’une manière générale la condition féminine n’est pas la plus à plaindre en Europe.

Ce qui expliquerait que mis à part quelques spots de sensibilisation, deux, trois manifestations discrètes et quelques actions associatives, c’est un jour comme un autre en France.

Mieux qu’une journée, une fête…

Rien à avoir avec l’ardeur, la ferveur et l’enthousiasme que l’Algérie voue à la journée de la femme, ici le retentissement est particulièrement visible.

Déjà, dans les années 80 de mon enfance, je garde le souvenir de grandes tablées interminables et exclusivement féminine, quand ma mère et ses copines se réunissaient pour le 8 mars.

Cette tradition s’était un peu essoufflée pendant la décennie noire, mais depuis une dizaine d’années, la journée de la femme connait une renaissance, chaque année un peu plus flamboyante.

Elle se célèbre plus que dignement dans les principales villes algériennes : galas, après-midi dansants, conférences féministes, défilés de modes, et autres réjouissances sont proposées en abondance pour l’occasion.

Le 8 mars, partout où l’œil se pose, il ne peut échapper à des groupes de femmes et de filles sorties  investir l’espace des grandes villes, les esprits semblent en joie, l’air diffuse une douce allégresse.

Ce jour-là, les rues se féminisent. Par respect, ou parce qu’elles sont en surnombre, les badauds qui d’habitude ne manquent pas une occasion de tourmenter les passantes se tiennent tranquille. Pour cette fête, ils se poussent en silence, cèdent le passage à ces hordes de femmes sans protestation, parfois avec le sourire.

Et pour le reste de l’année ?

Il faut savoir que même si les Nations Unies n’avaient pas décrété la journée du 8 mars jour férié, en Algérie, pour leur « fête », les femmes ont droit à une demi-journée de congé. Magnifique avancée pour le statut des femmes algériennes n’est-ce pas ? Oui, c’est incontestable, s’il n’y avait pas eu la coexistence paradoxale avec un ‘code de la famille’ et la réalité des 364,5 autres jours.

Bien qu’il y ait eu de véritables progrès visibles en matière d’éducation et d’accès à l’emploi,  que le nombre de diplômées soit supérieur à celui des diplômés, que les femmes aujourd’hui semblent avoir gagné plus d’autonomie que leurs mères, il faut avouer que la condition féminine algérienne n’est pas la plus enviable du monde…

En réalité, le statut féminin est si précaire en Algérie qu’il justifie une réhabilitation annuelle en grande pompe, ce qui est en cohérence avec l’engouement pour la journée du 8 mars.

Vous allez peut-être penser que je suis rabat-joie, mais je trouve l’esprit initial de cette célébration vidé de sa substance, la journée du 8 mars ressemble à toutes ces fêtes pré-fabriquées qui font la joie des fleuristes. Quand on y pense : le 8 mars est aux femmes, ce que le 14 février est aux amoureux, et la Fête de la Femme est au féminisme, ce que la Saint Valentin est à l’amour. Alors bonne fête !

Nesrine Briki

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