Après trente ans d’attente, les Algérois ont enfin un métro.«On se sent redevenir humain!» affirment certains d’entre eux. Reportage.
Pour prendre le métro, le vieux monsieur s’est mis sur son trente et un. Costume bleu strict, chemise blanche, cravate rouge, raide comme un « i » il avance canne à l’appui vers l’entrée du métro à la station «Mer et Soleil» dans le haut de Hussein-Dey, à l’est d’Alger. Sa femme, en hidjab, a de la peine à le ramener à une cadence plus conforme à ses artères. Les quatre policiers en faction devant la bouche de métro sourient. L’un d’eux interpelle le vieux:
«Vas-y doucement, Grand Père, il y a beaucoup d’escaliers à faire avant d’arriver en bas ».
Le vieux s’arrête. Pour reprendre du souffle mais il veille à n’en rien laisser paraître. Il houspille le policier.
«Doucement ? Mais cela fait trente ans que je l’attends ! Et à mon âge, on peut partir à n’importe quel moment. Donc pardonnez-moi d’être pressé ». Franche rigolade. «Mais non Grand-père, il y a encore de la Baraka, Inchallah tu vivras encore longtemps pour voir d’autres métros».
En bas, du monde devant le guichet. Une trentaine de personnes. Beaucoup de femmes et des enfants en attente. Cela manque de fluidité. Deux femmes fouillent laborieusement dans leurs sacs à la recherche de l’argent pour acheter des tickets. Le temps se fait long.
Contrairement aux habitudes algéroises aucune réflexion désobligeante ne fuse parmi ceux qui font la «chaine». Un agent de la RATP El Djazaïr en gilet fluo jaune apprécie l’inhabituelle retenue des algérois.
«C’est le début, les gens ne savent pas qu’ils doivent préparer leur 50 dinars avant d’arriver devant le guichet». Cela fini par décoincer. La femme sort un billet de 500 dinars. Regard perplexe de la caissière. «Je veux huit tickets!». D’un geste machinal, elle désigne un attroupement de sept personnes. Toute la famille est là pour «l’inauguration» du métro d’Alger.
Comme le vieux monsieur et des milliers d’algérois qui ont fait mercredi 2 novembre un accueil enthousiaste, presque solennel, au métro d’Alger, inauguré officiellement la veille, le mardi 1er Novembre, à l’occasion de la commémoration du déclenchement de la guerre d’indépendance. Même ceux qui n’ont pas l’habitude de prendre cet itinéraire sont venus, pour le plaisir, prendre le métro.
Des extensions annoncées
Sur le quai, l’attente est courte. Le train, tout neuf arrive, et les gens, sans se presser, montent. De l’espace. Des places libres. Le vieux et sa femme s’installent. En face d’eux, un groupe de quatre belles lycéennes en conciliabules et visiblement contentes pour de cette première.
Le vieux, on le comprend aux explications qu’il donne à sa femme, a connu en des temps anciens, le métropolitain de Paris. A chaque arrêt, il lit le nom de la station: Amirouche, les Fusillés, le Jardin d’essais, le Hamma…. 80.000 personnes auraient emprunté ce mercredi cette unique ligne n°1 avec ses dix stations sur une distance de 9 km. Le métro peut assurer le transport de quelque 25.000 personnes par heure et par sens sur son unique ligne. Des extensions à l’est vers El-Harrach et à l’Ouest vers la place des Martyrs devraient être opérationnelles en 2014. Le réseau global devrait couvrir une quarantaine de kilomètres en 2020.
L’entreprise du Métro d’Alger (EMA) a d’ailleurs lancé, mercredi, un appel d’offres pour le choix de bureaux d’études pour de nouvelles extensions entre El Harrach-Bab Ezzouar, Aïn Naâdja, Baraki et place des Martyrs-Bab El Oued-Chevalley). Faire le parcours en près d’un quart d’heure suscite l’émerveillement. Un changement qualitatif qui rend « acceptable » le prix de 50 dinars (0,50 centimes d’euro) le ticket jugé, par la presse, trop lourd à supporter pour les bourses modestes des algériens (le salaire minimum est de 18.000 dinars, soit 180 euros). Mais pour ce jour J+1, les Algérois ne comptent pas.
«Je me sens propre!»
Dans le train, certains font les blasés. Un groupe de jeunes retient son exubérance, discipliné par la solennité ambiante.
«Les Algérois ont le bonheur sérieux» observe un jeune qui se dit écrivain. Cela se voit. Contrairement aux habitudes, les passagers parlent doucement, avec un sentiment de quiétude jamais vu dans l’enfer des transports en commun d’Alger. Le groupe de lycéenne après des séances de photos avec les téléphones portables joue au que ressentez-vous en ce jour historique».
«On n’a rien à envier au métro de Paris. C’est mieux. Ou alors, c’est la ligne 14 !» dit l’une en pouffant. «Je plane, je suis dans un film» dit l’autre. «Je suis dans un transport en commun et je me sens propre ! C’est un miracle!».
Ce dernier propos recueille l’assentiment général. Prendre un bus à Alger est en effet un calvaire et souvent une humiliation. Les bus de l’entreprise publique de transport Etusa sont en général bien tenus, mais ils sont insuffisants. Les Algérois se rabattent sur des norias de bus privés qui ne démarrent que quand ils sont bourrés de voyageurs. Entre la promiscuité forcée et des bus vaguement entretenus, le parcours est en général pénible. «Avec le métro, on change de temps. On se sent redevenir humain» entend-on.
A la station Khelifa Boukhalfa, l’avant dernière avant le terminus de la Grande Poste-Tafourah, le vieux et sa conjointe descendent. Sur le quai, on le voit agiter sa canne en l’air. Ce n’est pas de la colère. C’est du contentement. Dans le train, on souriait. Tout le monde a compris ce qu’il voulait dire.
In SlateAfrique