Les Algériens à qui il faut dire : Dégage  » Par Abdou Semmar

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Je suis en colère, énervé, exaspéré, révolté, j’ai la rage et j’ai envie de crier «dégage». Oui, «dégage». Je sors dans la rue, je prépare une banderole et je vais la déployer pour que tout le monde m’entende, me voit. Oui, tout le monde : policiers, gendarmes, agents du DRS, des RG, simples passants, mendiants, migrants sub-sahariens, étudiants, écoliers, les vieux retraités qui jouent aux dominos, les dealers qui font leur business, les filles célibataires au regard provocateur qui cherchent un mari derrière leur hidjab moultazim.

Mais, je m’arrête une seconde, un instant et je regarde ma banderole pour me poser une seule petite question : à qui il faut dire dégage en Algérie ? Oui, à qui je dois m’adresser précisément pour crier : «dégage » ? Quelle personnalité, groupes de personnes ou institutions dois-je viser ?

À Bouteflika qui m’a écrit un message insultant le 19 mars, le jour de la Victoire de mon propre pays ? Ah celui-là, il a encore le culot de me menacer, m’intimider et m’accuser de «nuire à l’Etat de son pays». Allez, dégage Boutef… Mais, attendez, un homme aussi malade et aussi affaibli peut-il proférer de telles menaces ? Bon, je vais m’en prendre à son frère. Oui, lui, le petit Saïd Bouteflika qui se la joue modeste et inoffensif. Il serait en train de préparer un nouveau parti pour nous la faire à l’envers et prendre le pouvoir. Tata Louisa Hanoune a, d’ailleurs, dit qu’il doit s’exprimer et parler. Allez, le petit Saïd dégage toi-aussi… Le Pouvoir ? Mais, le pouvoir peut-il se résumer à un seul petit homme en Algérie ? Mais non, je ne suis pas idiot ! Tonton Saïd, tout seul, il peut aller se rhabiller. Mon «Dégage» doit avoir plus de sens. Il doit être plus grand, plus significatif, plus puissant. Et la puissance en Algérie, c’est…l’armée. Ah oui,  c’est à l’armée que je dois dire «Dégage». Allez, je me lance contre Ahmed Gaïd Salah pour qu’il m’explique comment on peut devenir un général-major à gros ventre sans faire la moindre guerre. Oups… il va me répondre qu’il a combattu le terrorisme non ? Hey, il ne faut pas se moquer de moi : le terrorisme, c’est moi tout petit qui l’ai combattu en refusant de déserter les bancs de mon école alors que tout brûlait autour de moi.

Ah, je me rappelle : il faut dire «dégage» à tous ces émirs repentis qui sont devenus des millionnaires. Oui, ils m’énervent, ils me révoltent. Moi, j’ai étudié, je travaille jour et nuit. Je galère et je n’ai pas de quoi m’offrir un démodulateur Bein Sport pour voir le Bayern, le Barça et le Réal. Oui, qu’ils dégagent ces anciens terroristes.

Attendez, il n’y pas qu’eux qui m’énervent. Ce cheikh Chemssou qui passe sur Ennahar TV pour dire ce que je dois faire pour être un bon musulman. Qu’il dégage lui aussi au lieu d’interpréter maladroitement les rêves érotiques de ses téléspectatrices. Hamadache, ce frustré en manque de tendresse qui manifeste contre les cadenas d’amour, la loi criminalisation les violences faites aux femmes, les séquences du film L’Oranais, lui aussi, il doit dégager !

Attendez, je n’ai pas encore terminé : Amara Benyounes, ce ministre « zaâma» laïc, il m’énerve aussi. Il m’accuse quotidiennement de servir François Hollande alors qu’il n’est même pas foutu de gérer nos Dellalates. Qu’il dégage avant que tous nos commerces ne mettent la clé sous le paillasson. Attendez, et ce Bouchaoureb de l’Industrie qui n’arrive même pas à rouvrir une de nos anciennes fabriques de Districh. Soyons sérieux, un ministre qui nous parle de clowns au lieu de nous ouvrir des usines ! Allez, qu’il dégage lui aussi…

Et attendez, je ne dois pas oublier tonton Sellal. Ses blagues complètement ratées et sa théorie sur les couches de bébé et le gaz de schiste, franchement, je n’en peux plus. Qu’il dégage lui-aussi… Mais, ce n’est pas tout. Les importateurs véreux qui nous arnaquent en nous vendant des cailloux pour détourner nos devises, ils doivent dégager eux-aussi. Et ces conservateurs qui truquent des images sur Facebook pour dénoncer le décolleté très sexy de la présentatrice de Canal Algérie, ils m’énervent aussi. Qu’ils dégagent. Algérie-Télécom, oui, je ne dois pas l’oublier ! Avec son débit d’escargot, elle peut me provoquer un AVC et je n’ai même pas le moyen de partir me soigner au Val-de-Grâce. Que tout Algérie-Télécom dégage.

Ooredoo et son réseau de téléphonie mobile complètement merdique m’énerve également. Quelques antennes de plus sur le territoire national auraient constitué un investissement plus judicieux et, surtout, plus utile aux Algériens qu’un contrat avec le Real de Madrid. Que le «lobby Qatari» dégage lui-aussi. Ce n’est pas encore fini. Ce n’est jamais fini ! Nabil Fékir qui joue avec mon patriotisme pour me dire à la fin qu’il est content de choisir… la France, les enseignants grévistes qui prennent en otage mes enfants, les policiers et gendarmes qui organisent des barrages pour me bloquer dans des embouteillages monstrueux, les partis de l’opposition qui tentent de récupérer la colère populaire d’In Salah, ces riches algériens qui cachent leur argent en Suisse au lieu de créer des richesses ici chez nous, ces filles matérialistes qui veulent se marier pour avoir le portefeuille de ces «bagarras» ultra-riches, ces imams qui abusent sexuellement des enfants dans les écoles coraniques parce qu’ils n’osent pas sortir draguer le plus normalement possible dans les rues, ces bourgeois sophistiqués qui veulent me donner des leçons de morale parce qu’ils sont tous branchés sur The Voice de TFI, enfin, tout ce beau monde mérite que je lui dise «Dégage». Alors, oui, «Dégagez» tous, j’en ai marre de votre mascarade. Et la liste est encore longue…