Algérie. Amour, gloire et piston Par Abdou Semmar

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Dis-moi qui est ton papa et je te dirai où tu vas travailler et combien tu seras payé. Selon que vous serez fils d’un haut responsable ou d’un simple zawali misérable, l’Algérie vous rendra blanc ou noir, heureux ou malheureux, chômeur ou travailleur, respecté ou méprisé, malade ou en bonne santé.

Triste réalité connue de tous nos concitoyens ? Oui, et après ? Faut-il se taire encore pendant des années devant ce fléau ravageur qui est le népotisme, le piston ou «El-marifaa». Clanisme, clientélisme, «beniamisme», les néologismes ne manquent jamais pour qualifier cet innommable phénomène qui ronge notre pays depuis son Indépendance. En 2015, à l’ère des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, le recrutement des fils, filles et proches des hauts responsables du régime algérien dans les plus importantes entités économiques du pays est un tabou qui n’a point lieu d’exister. Les fils et filles des ministres, généraux ou personnalités influentes touchant des salaires mirobolants dans des postes occupés ou attribués illicitement, voici la prochaine bataille qui sera déterminante pour l’avenir dans la démocratie en Algérie.

Pire et plus dangereux que la dictature, la corruption, la répression des libertés individuelles et publiques, «El-marifâa» empêche l’émergence de notre pays en soumettant notre économie au diktat des caprices de nos dirigeants. Notre économie demeure prisonnière de ces luttes d’intérêt opposant les différents centres de décisions qui composent notre système politique. Chaque haut responsable veut mettre à l’abri ses enfants, ses proches et ses amis en instrumentalisant les institutions publiques. Les entreprises publiques les plus florissantes de notre pays ont été détruites de l’intérieur avec cette pratique qui privilégie l’incompétence, l’irrégularité au profit de l’intérêt clanique d’un cercle du pouvoir.

«El-marifâa», le piston, empêche l’émancipation de l’individu algérien et la constitution de son propre «Je». Dès son enfance, on inculque à l’Algérien cette nécessaire dépendance d’un parent bien placé ou d’un père qui lui offrira un poste sur un plateau en or. C’est une éducation à la triche, la tromperie, la mauvaise foi et, surtout, un enfermement dans un cercle vicieux où finalement le libre arbitre finit par disparaître puisque «je ne peux rien de ma vie sans l’appui de mes parents ou famille». «El-marifâa» est la première ennemie de la liberté individuelle en Algérie.

En 2015, les langues se délient et les noms des proches des dirigeants qui profitent des largesses de la compagnie Air Algérie ont été révélés. Une entreprise déstructurée, malade et souffrante de tous les dysfonctionnements se permet le luxe d’embaucher les yeux fermés des filles et fils de ministres et généraux. Demain, il faudra plancher sur le recrutement de Sonatrach, Sonelgaz, Cosider, l’entreprise du Métro d’Alger, la direction des Douanes, le ministère des Finances et autres entreprises prestigieuses où une simple femme de ménage, avec tout le respect que l’on doit à ce métier, est mieux payée qu’un enseignant et un médecin travaillant dans un hôpital public.

Il faudra aussi apprendre à nos concitoyens lambda de ne pas perpétuer cette tradition dans leurs mœurs quotidiennes. Il ne faut plus observer le silence lorsqu’on vous demande d’aller voir un médecin, un policier, un directeur, un revendeur de matériaux de construction et de plaider votre cause auprès de lui pour la simple et bête raison qu’il est membre de votre famille ! Il ne faut plus agir en complice en reproduisant dans notre routine ce que des hauts responsables véreux se permettent d’exercer dans leurs fonctions. Un policier, un gendarme, un médecin, un transporteur, un infirmier, un enseignant, tout ce beau monde, et d’autres encore, peuvent donner l’exemple en restant impartiaux et équitables dans leurs métiers. «Fuir le vice est le commencement de la vertu», disait le poète latin Horace. En 2015, et en Algérie, pour que la vertu puisse exister, il ne faut pas fuir le vice. Mais lui opposer, au nom de la justice et de la dignité, une résistance acharnée car il n’y a aucun bonheur, développement et démocratie là où le piston fait et défait les hommes.

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