L’Algérie qui exporte déjà son gaz vers l’Europe grâce à 3 gazoducs voudrait en construire un 4e . Le gouvernement se propose même de relancer le projet pharaonique de gazoduc trans- saharien . Mais où est donc le gaz qu’on mettra dans tous ces tuyaux ?
Notre pays peut-il compter encore longtemps sur ses réserves gazières ? A cette question simple, il y a aujourd’hui clairement deux réponses. La première , officielle et très optimiste , est celle des responsables du secteur . La deuxième, beaucoup plus réservée, est celle des experts .
On a eu encore un exemple très spectaculaire de ce « débat à distance » au cours de la semaine passée. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a proposé mardi dernier à l’Union européenne la relance de plusieurs projets énergétiques. L’Algérie , qui est actuellement le deuxième fournisseur de l’Europe en gaz après la Russie à travers trois gazoducs: deux via l’Espagne et un gazoduc qui alimente l’Italie, a notamment préconisé la relance du projet du gazoduc « GALSI » devant relier notre pays à l’Italie via la Sardaigne et dont les travaux n’ont pas encore démarré. Monsieur Sellal a également évoqué le projet de gazoduc Trans – saharien dont ont n’avait plus entendu parler depuis quelques années .
L’optimisme de M. Sellal…
Mais comment alimenter à l’avenir tous ces gazoducs alors que notre production de gaz diminue régulièrement et que la consommation interne, en croissance très rapide, réduit les quantités disponibles pour l’exportation ? Fidèle à sa réputation d’optimisme, M . Sellal ne semble avoir aucun doute sur ce sujet. Il a indiqué que « de nouvelles découvertes énergétiques sont enregistrées annuellement en Algérie » et que « nous ne pouvons pas encore évaluer toutes nos réserves énergétiques souterraines ». Le Premier ministre ajoute qu’ « une réflexion est engagée, aujourd’hui, en Algérie sur les moyens d’exploitation de ces nouvelles découvertes d’hydrocarbures conventionnels ». « L’année passée, on parlait de réserves pour l’année 2025. Aujourd’hui et avec ces nouvelles découvertes, on parle de réserves pour l’année 2033, nonobstant l’augmentation de consommation interne », a expliqué M . Sellal .
….Et les inquiétudes des experts
L’optimisme, en passe de devenir légendaire, de M.Sellal n’est malheureusement pas partagé par la plupart des experts algériens. Nazim Zouioueche, ancien PDG de Sonatrach est l’un d’entre eux parmi les plus réputés. Lorsque nous l’avons rencontré la semaine dernière chez nos amis de Maghreb émergent, il s’inquiétait du déclin du gigantesque champ gazier de Hassi R’Mel . Selon Nazim Zouioueche, le temps presse et si les exploitants ne font rien dans les plus brefs délais, d’importantes quantités de gaz de ce champ risquent d’être piégées dans le sous-sol par des infiltrations d’eau. L’essoufflement de ce gisement géant est dû à ses yeux au non-respect du « cyclage », c’est-à-dire de la réinjection d’une partie des gaz extraits afin de maintenir la pression. Les arbitrages faits à ce sujet il y a près de dix ans ont consacré l’augmentation des volumes à commercialiser au détriment de la pérennité du gisement. Résultat : « si on ne fait rien tout de suite, ce sont 40 % des réserves de ce champ, soit près de 1500 milliards de m3, qui risquent d’être piégés ».Rappelons que le champ de Hassi R’Mel, découvert en 1956 et mis en production en 1961, recelait des réserves initiales estimées à 2400 milliards de m3 . Le déclin du champ s’est accéléré à partir de 2010 et on enregistre , depuis cette date, un manque à produire de l’ordre de 3 milliards de m3 par an.
Une production qui diminue depuis 2008
Dans ces conditions , Nazim Zouiouèche ne cache pas son scepticisme à propos des prévisions des responsables actuels du secteur qui évoquent une augmentation de la production de gaz de 50% d’ici 2019. Pour l’expert algérien, il s’agit d’ « effets d’annonce, la réalité est que notre production d’hydrocarbures diminue de 4 à 5% par an depuis 2008″. « Qu’a-t-on fait là dessus ? », interroge-t-il. Les potentialités des gisements du Sud Ouest algérien qui « pourraient permettre une production de 12 milliards de m3 par an supplémentaires , sont connues depuis 2006 et on parle maintenant d’une entrée en production en 2018. On a perdu énormément de temps », ajoute l’ancien PDG de Sonatrach.
Une réponse multiple
Nazim Zouiouèche plaide en faveur d’une « réponse multiple » face aux défis rencontrés aujourd’hui par le secteur de l’énergie. Elle passe, selon lui, d’abord, par une meilleure exploitation des gisements anciens qui « représenteront encore pour longtemps la marge de manœuvre la plus importante pour le secteur. » A condition qu’on s’occupe sérieusement de Hassi R’mel , ce qui ne semble pas avoir été le cas ces dernières années si on en juge par les cris d’alarme poussés par de nombreux experts nationaux .
Ce n’est malheureusement pas le seul gaspillage de ressources que connait le secteur gazier en Algérie. Fidèle à une position qu’il défend depuis de nombreuse années, Nazim Zouiouèche souligne également la nécessité d’une stratégie nouvelle en matière d’économies d’énergie qui devrait passer, au moins dans une première étape, par la réduction du volume des gaz torchés qu’il estime à « 6 milliards de m3 par an qui partent en fumée alors qu’à la fin des années 90 on avait presque complètement éteint les torches. »
Terminons quand même sur une note optimiste pour dire que les jeux ne sont pas encore faits. Même si aujourd’hui « l’Algérie ne remplace pas ses réserves par la découvertes de nouveaux gisements », l’ancien patron de Sonatrach, à l’mage de beaucoup de ses collègues, est convaincu qu’une « démarche plus percutante » à travers l’intensification de l’effort d’exploration de Sonatrach et de ses partenaires peut encore réserver de bonnes surprises. Il rappelle dans ce domaine qu’ « on évoquait déjà dans les années 80 un épuisement prochain des réserves avec la perspective d’importer du pétrole en 1995 avant que les découvertes du Bassin de Berkine ne remettent en cause ces prévisions. » Pourvu qu’il ait raison….