«J’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’une affaire entre l’homme et son créateur, dans laquelle personne d’autre, et surtout pas le public, n’avait le droit d’intervenir», disait en 1776 Thomas Jefferson, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, l’actuelle première puissance mondiale. Aujourd’hui, cette citation qui dessine toute une ligne de conduite, toute une pensée politique, colle plus que jamais à la situation algérienne.
Oui, l’Algérie musulmane, conservatrice, arriérée ou je ne sais quoi encore, a besoin d’une telle pensée éclairée et éclairante. L’Algérie où le pouvoir en place instrumentalise la religion depuis des lustres pour contrôler les esprits et engourdir la société doit aujourd’hui, et une fois pour toute, pouvoir débattre sur la relation qu’entretient la religion avec l’Etat. Une relation incestueuse, on peut oser le dire, car depuis maintenant deux décennies, les ravages de ce couple «Religion-Etat» ou «Islam-Politique» et «Coran-Constitution», empêchent tout un pays d’émerger et de rejoindre le banc des pays développés.
Lorsqu’on voit comment nos imams sont mobilisés et instruits de manipuler les fidèles dans les mosquées afin de les pousser à voter ou donner leurs voix dans les urnes lors de scrutins obscurs et truqués, on ne peut guère nier que l’instrumentalisation de la religion par un régime politique est une menace pour l’avenir de notre pays. Lorsqu’on voit comment des prédicateurs religieux défendant une vision fanatique, arriérée et idéologisée de notre religion, sont soutenus et appuyées par des cercles politiques, on ne peut pas affirmer que l’ingérence du politique dans la religion n’est pas source de dangers en Algérie. Lorsqu’on voit comment des politiques et hauts dirigeants utilisent l’influence religieuse de certaines zaouïas et confréries, on ne peut pas minimiser le risque de ces manigances sur la stabilité de notre société. Lorsqu’on voit comment des courants religieux extrémistes prospèrent dans nos écoles et autres institutions publiques sous le regard bienveillant de nos autorités qui réagissent de manière très différente, et surtout violente, quand des revendications démocratiques naissent dans ces mêmes lieux, on ne peut pas dire qu’il faut encore attendre longtemps pour tirer la sonnette d’alarme.
Lorsqu’on voit comment le ministère des Affaires Religieuses gère dans l’opacité totale les fonds de la Zakat et les biens constitués en wakf, on ne peut pas dire qu’un ministère entièrement dédié à la religion est une excellente initiative sur tous les plans. Quand on voit comment les minorités religieuses et les gens qui osent afficher leur liberté de pensée comme les non-jeûneurs sont traités et réprimés, on ne peut pas dire que «l’Islam religion de l’Etat» est un principe indiscutable et son application «incritiquable».
Les Algériens ont-ils besoin qu’on leur rappelle à chaque fois qu’ils sont majoritairement musulmans en diffusant l’Adhan au milieu des matchs de football ? Les Algériens ne sont-ils pas capables à eux-seuls de protéger leurs convictions religieuses ? A-t-on besoin d’un Etat pour développer le pays, garantir les soins et l’éducation pour tous les citoyens, rendre justice aux opprimés ou pour propager l’Islam, une religion d’ores et déjà enracinée dans notre pays depuis des siècles ?
Ces questions méritent réellement un véritable débat. L’identité politique de notre Etat nourrit en ce moment les crises structurelles de son fonctionnement. Le code de la famille et ses articles inspirés maladroitement de la Charia sans aucun effort de contextualisation cause chaque jour le malheur de plusieurs algériens et algériennes. Les libertés individuelles et publiques en pâtissent aussi à cause de cette religiosité politique exacerbée. Les Algériens sont musulmans et ils le savent tous. Une politisation de la religion ne leur apporte aucune quiétude spirituelle. Au contraire, la décennie noire nous l’a démontré, cette «étatisation de la religion» comme disait le regretté Mohamed Arkoun, un islamologue algérien éclairé mais rejeté dans son propre pays, n’a apporté que misère sociale, malheurs et frustrations collectives. Il est temps d’ouvrir le débat sur l’impérative nécessité d’une séparation entre l’Etat et la Religion. Je ne détiens aucune réponse. Mais j’ose poser, et se poser, des questions. Je suis un séculier, je l’affirme haut et fort. Mais la laïcité autoritaire à la Française ne m’intéresse pas. Aucun modèle occidental ne m’intéresse. Nous les Algériens, nous devons arrêter de reproduire les expériences des uns et des autres dans notre pays. Soyons enfin nous-mêmes et fondons notre propre modèle socio-politique. La sécularisation, c’est-à-dire la désacralisation du champ social et l’émancipation des valeurs religieuses du champ politique, est une option de gouvernance qui peut remettre le pays sur les rails du développement. Elle peut aussi mettre fin à ces problématiques identitaires et sociétales qui empêchent notre société de se concentrer sur un projet national dédié à la modernité. «Le gouvernement n’a pas l’ombre d’un droit de se mêler de religion. Sa plus petite interférence serait une usurpation flagrante», disait aussi James Madison, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique. Beaucoup d’algériens ne sont pas d’accord avec cette vision. Mais ce n’est pas grave. Osons au moins d’en débattre !