Algérie : Nouveaux riches contre futurs pauvres Par Abdou Semmar

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C’est l’histoire d’un milliardaire qui a défrayé la chronique à El-Eulma, dans la wilaya de Sétif, en achetant une villa avec plus d’un 1,8 milliard de centimes pour la détruire ensuite et faire bâtir à sa place une autre villa plus luxueuse. C’est aussi l’histoire d’un homme très riche originaire de Biskra qui a dépensé en une seule soirée dans un cabaret à Oran plus d’un milliard de centimes en «rechka». Et puis un autre homme d’affaires qui a offert une Porsche Cayenne, dont le prix dépasse aussi le milliard de centimes, au joueur de l’équipe nationale Djabou pour remercier ce dernier d’avoir inscrit un but contre l’Allemagne en Coupe du Monde au Brésil.

Ces milliardaires qui jettent leurs milliards par les fenêtres sont les nouveaux riches de l’Algérie. Les nouveaux nantis qui affichent leur insolente richesse sans craindre personne. Des fortunes amassées dans des conditions douteuses et sous les yeux de ces autorités qui n’ont pas bougé leurs petits doigts pour enquêter sur les origines de tous ces milliards gaspillés en quelques heures pour s’offrir des frivolités. Toute cette «chkara» inonde notre pays de voitures prestigieuses, villas construites dans un luxe sans pareil, des châteaux de marbre et de faïences distinguant plusieurs de ces quartiers chics qui nourrissent cette même interrogation lancinante : d’où vient tout cet argent dont se targue nos nouveaux riches ?

Disons-le clairement et sans aucune langue de bois : Aujourd’hui, l’Algérie se rue sur les richesses, le clinquant mais vide, le luisant trompeur et éphémère comme les chromes de ces 4×4 et grosses bagnoles allemandes. Une richesse qu’affiche sans complexe des hommes dont les regards se cachent derrière le luisant vulgaire des grosses lunettes de soleil. Des nouveaux riches qui ont apparu mystérieusement alors que l’économie nationale demeure dans le coma et entretenue uniquement par notre rente pétrolière. Des nouveaux riches qui s’offrent régulièrement des gros immeubles construits à coups de valises bourrées de cash.

Oui, l’Algérie des nouveaux riches est une nouvelle Algérie que très peu de personnes peuvent décrypter, expliquer et comprendre son fonctionnement. Cette Algérie de la frime, de l’argent tombé du ciel, des filles aux voiles dorés mais en jeans collants, cette Algérie des restos chics mais sans âme cohabite aussi, nous avons tendance à l’oublier, avec une autre Algérie. Le revers d’une même médaille, l’Algérie underground des nouveaux riches réfugiés dans les zones résidentielles surveillées par des sociétés de gardiennage privées s’efforce toujours à faire disparaître cette Algérie des chômeurs du Sud, des harragas, des zawalias, l’Algérie de la débrouille ou de l’embrouille.

En face de ces nouveaux riches au sommet de leur puissance, on retrouve ces futurs pauvres emprisonnés dans leur banlieue populaire privés d’un pouvoir d’achat digne de ce nom. Privés de toute possibilité de jouir d’un moment de loisir ou d’une évasion à cause de leur précarité continue. Privés de tout bonheur nocturne parce qu’ils ne peuvent pas s’acheter des voitures neuves et partir loin de leurs lotissements manquant cruellement de tout y compris d’un réseau d’assainissement.

Ces Algériens-là sont condamnés à demeurer les futurs pauvres à qui on vend le rêve d’une équitable répartition des richesses nationales en allant déposer à l’AADL une hypothétique demande de logement. Pour les faire taire, les berner et les manipuler : on leur offre surtout un 13e mois qui dépasse les 40 ou 50 mille Da, un mouton de l’Aïd et un couffin de Ramadhan. Et pendant ce temps-là, les nouveaux riches cultivent leurs fortunes au-delà de toute moralité, éthique et élégance. A chacun son Algérie…

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