Je ne suis pas juge. Je ne suis ni devin ni sorcier. Je ne suis pas enquêteur de nos glorieux services de renseignement. Je ne suis pas dénonciateur ni «un corbeau» en quête de célébrité. Je ne détiens pas la vérité et je n’ai pas de révélations fracassantes à vous faire. Je suis un simple Algérien qui se pose des questions et qui aimerait vraiment obtenir des réponses parce qu’il ne veut pas jouer le rôle de sot, de dindon de la farce ou de l’idiot qui croit que toute mort doit effacer le passé et le faire taire.
«Puisque la mort est inévitable, oublions-la». Cette pensée du célèbre auteur français Stendhal semble déterminer aujourd’hui la ligne de conduite de mon Etat, l’Etat algérien, qui a perdu récemment un de ses hauts fonctionnaires en la personne du défunt Wali d’Annaba, Mohamed Mounid Sendid. Un Wali n’est pas un immortel. Il arrive un jour où il doit rendre l’âme. Mais voilà, il se trouve que Mohamed Mounid Sendid est décédé dans des conditions qui m’inquiètent, me préoccupent et cette mort, celle d’un Wali, me pousse à crier ma colère.
Colère parce que selon moi, la mort de ce haut cadre de l’Etat s’apparente réellement à un thriller politique. Une mort présentée comme naturelle et lavée de tout soupçon. Un malaise cardiaque, un AVC, une longue et difficile hospitalisation et un dernier soupir. Rien d’anormal ? Pas vraiment. La mort d’un haut commis de l’Etat ne peut passer inaperçue surtout si ce dernier a tenté d’imposer la loi à Annaba, cette ville coquette où le charme de sa corniche a cédé depuis des années la place aux pratiques de la mafia politico-financière. Non, ce n’est pas une mort que l’on doit passer sous silence. Le malaise cardiaque n’explique pas tout. Un autre malaise est à l’origine de cette fin brutale. Toutes les personnes l’ayant connues le présentent comme un cadre intègre, honnête et patriote. Mais voilà, l’intégrité ne plait pas aux corrompus, aux puissants qui s’enrichissent en détournant le foncier, les deniers publics et abusent de leur pouvoir pour amasser des fortunes.
Je n’ai pas de preuves matérielles et indéniables pour accuser publiquement tels ou tels notables. Mais la Justice, nos juges, notre ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, notre ministre de la Justice, Tayeb Louh, ont tous les moyens nécessaires pour auditionner des témoins, interroger des acteurs politiques et éclairer par la suite l’opinion publique. Oui, je n’ai pas encore de preuves ni des pièces à conviction, mais j’ai le droit de poser des questions à ces gens influents qui inspirent à la fois la méfiance et l’admiration à Annaba. Je n’ai rien contre Baha Eddine Tliba, le député FLN et homme riche qui suscite tellement la polémique à Annaba ces dernières années. Je n’ai pas le droit de l’inculper sans apporter de preuve. Je ne veux pas lui faire la guerre. Je veux juste m’adresser à lui en tant qu’Algérien qui réclame la vérité sur cet épisode triste de l’actualité de son pays. Oui, monsieur Baha, la rumeur publique, la rue à Annaba, mais aussi plusieurs sources officieuses locales citent votre nom à maintes reprises dans les pressions qui auraient été exercées à l’encontre du défunt Wali. Ce dernier avait affiché publiquement sa volonté de bloquer plusieurs projets immobiliers qui ne seraient pas conformes à la loi. Monsieur Baha, tout le monde à Annaba sait que le chantier de votre résidence immobilière a été érigé à la cité Beni M’haffeur face à une voie express et un rond-point ! Des citoyens ont déposé plainte contre vous parce que vos travaux ont provoqué des secousses qui menacent l’instabilité du terrain. La justice vous a donné raison et a rejeté ces plaintes. Je ne jette pas l’opprobre sur vous. Je ne veux nullement mettre en cause votre moralité. Mais parlez maintenant ! Dites-nous ce que vous savez sur ce Wali. Dites-nous la vérité ! Sur votre page Facebook, vous avez démenti au début la mort de Mohamed Mounib Sendid. Vous avez même affirmé sur ce même support que ce Wali se portait bien alors qu’il était plongé dans un coma profond ! Et plus tard, quelques jours après sa mort, vous avez dénoncé les mensonges et les scénarios imaginaires, selon vos propres mots, concernant les doutes soulevés autour de cette mort que vous qualifiez de «très normale». Pourquoi une telle banalisation ? De quoi avez-vous peur ?
Ce sont des questions. Et non des accusations. Je suis votre compatriote et non votre ennemi intime. Vous êtes député et moi citoyen. J’ai le droit de vous exiger de me dire tout ce que vous savez. Je lance le même appel au fils de Gaïd Salah, le chef de l’Etat-major de notre Armée. Les récits qui nous parviennent d’Annaba tentent de vous rendre coupable de la mort de ce Wali. Je n’ai aussi aucune animosité à votre égard. Mais je suis un Citoyen et je ne veux pas que le soupçon nourrisse le mensonge. Avez-vous giflé ce Wali lors d’une rencontre à l’hôtel Sabri à Annaba à cause d’un différend concernant un de vos projets immobiliers ? Une question bête et naïve qu’un journaliste ose vous poser parce que dans ce pays tout est fait pour que l’on m’empêche d’enquêter. Les gens ont peur de parler, de témoigner et de fournir des preuves matérielles. J’ai les poings liés et je me tourne, sans aucune méchanceté, vers vous. Je vous adresse en toute sincérité cet appel parce qu’aucune mort suspecte ne peut être longtemps étouffée pour cacher la vérité. Je ne vous accuse de rien. Mais je vous demande de parler et de nous dire tout ce que vous savez parce que nous sommes vos compatriotes et nous avons le droit de connaître les informations que vous détenez au sujet de la mort d’un Wali, un haut responsable de notre Etat à tous !
A Annaba, la peur régule les comportements. Qui croire ? Qui accuser ? A qu’il faut faire confiance ? Sincèrement, je ne le sais pas. Je sais uniquement que l’on doit agir vite pour qu’Annaba cesse d’être une Annabamorra, comme Gomorra cet univers mafieux si effrayant révélé par Roberto Saviano.
Depuis des années, les scandales s’enchaînent à Annaba comme celui de l’Office National des terres agricoles, de l’APC d’Annaba sans compter les innombrables scandales fonciers qui sont toujours bloqués dans les tribunaux. C’est dans ce climat morose que le chômage ravage la jeunesse de cette ville au potentiel de développement impressionnant. Une jeunesse réduite depuis des années à menacer de se suicider collectivement si un emploi ou un logement ne lui est pas accordé par les autorités. Faut-il se taire encore lorsqu’on sait qu’Annaba est devenu un terrain de jeu idéal pour les mafias très puissantes, capables de déstabiliser un pays tout entier ? Faut-il se taire lorsque des sources nous apprennent que le Wali d’Annaba, comme par hasard avant sa mort, il avait envie de demander le départ de 7 directeurs centraux qui sont tous des personnages influents de l’exécutif local ? Faut-il encore continuer à banaliser la mort, certes, d’un homme souffrant de maux cardiaques, mais aussi d’un homme qui avait voulu dire Stop à la corruption et l’impunité ? Non, il est temps que justice soit rendue…