Boudjedra, la femme de Yasmina Khadra et le verre de vin Par Abdou Semmar

Redaction

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 Abdou-Semmar1L’Algérie, un pays qui cherche désespérément des intellectuels dotés d’un minimum vital de conscience.  Oui de la conscience parce que ces derniers temps nos écrivains, artistes, comédiens, musiciens et autres «métiers de l’esprit» ont brillé par une inconscience rarissime. L’inconscience, le célèbre écrivain Rachid Boudjedra en est aujourd’hui le digne ambassadeur. Lui, l’immense auteur  préfère aujourd’hui philosopher sur la vie conjugale de son «ami bien-aimé» Yasmina Khadra au lieu de peser sur les débats nationaux qui animent la société algérienne.

Notre cher grand écrivain Rachid Boudjedra donne ainsi rendez-vous dans un grand hôtel à Alger, El-Aurassi, à la presse et à ses fidèles lecteurs. Il parle, comme d’habitude, de son livre, de son grand talent d’homme de lettres, le meilleur de toute l’histoire de l’Algérie à l’entendre naturellement. Boudjedra, oui lui, est le seul à pouvoir faire de la grande littérature. Les autres, ce sont des plagiaires, des simples journalistes qui écrivent des reportages, des scribouillards qui ne méritent même pas une comparaison avec son immense œuvre. Soit ! L’auteur de La Répudiation est certainement un grand écrivain. Personne ne peut le contester. Concédons-lui cette flatterie.

Mais s’il est un bon écrivain, il n’est guère un intellectuel exemplaire. Sinon comment peut-on expliquer qu’il aille tacler son adversaire, Yasmina Khadra, sur le terrain de la vie privée ? Nos confrères d’Algérie Patriotique ont révélé qu’ils détiennent un enregistrement prouvant qu’en public Rachid Boudjedra raconte des anecdotes croustillantes concernant les aventures extraconjugales de l’auteur des Hirondelles de Kaboul ! Boudjedra accuse même son adversaire d’être un hypocrite qui refuse de prendre un verre de vin en public prétextant qu’il est un musulman alors qu’il «trompe sa femme dans les hôtels».

Vous l’aurez compris, le niveau intellectuel du débat animé par Rachid Boudjedra à El-Aurassi était au ras des pâquerettes. Au même moment, l’Algérie toute entière recherche son élite pour lui demander qui va défendre notre environnement contre cette exploitation ravageuse de nos gisements du gaz de schiste. Mais l’élite, à l’image d’un certain Boudjedra, préfère se réfugier dans les salons luxueux des hôtels pour parler de l’infidélité cojugale des uns et des autres. La gestion autocratique de notre avenir énergétique ne passionne guère nos intellectuels. Preuve en est, au moment où Boudjedra nous parle de son verre de vin et de la femme infortunée de Yasmina Khadra, à Ghardaïa la société civile  lance des cris de détresse. Des cris que presqu’aucun de nos écrivains ou artistes ne s’empare pour en faire des tribunes appelant à la tolérance, défendant la paix et déplorant la «fitna».

Au moment où Boudjedra nous parle de son verre de vin et de la femme de Yasmina Khadra, des chômeurs à Ouargla manifestent pour réclamer leur droit à la vie digne et respectable sur une terre qui regorge de pétrole. Ces jeunes chômeurs, très peu de nos intellectuels ont pris la peine de sonder leurs âmes, de dessiner leurs visages défigurés par les traits de la misère ou de témoigner de leur combat pour un partage équitable des richesses nationales.

Au moment où Boudjedra nous parle de son verre de vin et des aventures galantes de Yasmina Khadra, des migrants subsahariens fuyant la mort et la famine subissaient le racisme le plus abject dans nos rues et les colonnes des quotidiens de notre presse nationale. Mais ces migrants n’inspirent bien-entendu aucun de nos écrivains ou artistes. Presqu’aucun représentant de notre intelligentsia n’a fait l’effort de publier une tribune dénonçant cette xénophobie rampante et indigne des valeurs de notre pays.

Le pays, son actualité ou son avenir. Nos intellectuels ont finalement divorcé avec cette réalité, depuis belle lurette. Quelques-uns continuent de résister, de proposer des alternatives et d’agiter la scène politique avec leurs œuvres engagées. Ces intellectuels méritent respect et considération. Mais ils demeurent une minorité invisible. Une minorité si invisible que les Algériens ont, semble-t-il, oublié que dans leurs pays il existe une élite dotée des vertus de l’esprit.

On ne peut, certes, pas obliger un écrivain, artiste ou musicien d’être ou de devenir un intellectuel engagé. Toutefois, nous avons le droit de leur demander de ne pas sombrer dans la médiocrité, dans la corruption en acceptant de chanter à la gloire d’un Président en échange de quelques enveloppes, ou de relayer l’inélégance en s’entre-déchirant à propos de leurs déboires privées dans les salons des hôtels d’Alger. Nos intellectuels ont, peut-être, le droit de ne pas avoir le courage de prendre des risques avec une sincérité sans failles pour militer en faveur d’une nouvelle philosophie de la liberté. Ceci dit, quoi qu’il en soit, l’histoire et la culture leur confèrent «la responsabilité de dire la vérité et de dévoiler les mensonges», comme le répète souvent le grand linguiste et intellectuel américain Noam Chomsky.

Si l’Algérie subit aujourd’hui les contrecoups du déclin, ce n’est finalement pas pour rien. Car ce déclin est surtout la conséquence d’une démission fracassante de notre élite.