Bouteflika même dans les manuels scolaires par Kamel DAOUD

Redaction

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Vu sur le livre d’éducation civique 2ème année moyenne, école algérienne : le portrait de Bouteflika, Abdelaziz, en couverture. Avec une autre photo à l’intérieur. De mémoire floue du chroniqueur, c’est la première fois. Du moins depuis Boumediene. On a le culte du Régime comme Père du peuple dans la tradition algérienne, mais presque pas celui du culte d’une seule personne dans le pays de « un seul héros, le peuple ».

Un culte est en train de naître donc, « monarchisant » doucement les moeurs politiques. Car cela nous est étrange et cela est scandaleux : un manuel scolaire n’a pas a être un manuel de propagande aussi grossier. Dans quelques années, Bouteflika ne sera pas là et donc il faudra changer les manuels à la même vitesse que les constitutions jetables. Cela implique que le prochain voudra lui aussi avoir cette honneur ridicule qui ne sied pas au siècle que nous vivons. Du moins en principe. Du coup, on soupçonne le reste : Bouteflika veut sa photo partout, dans les administrations, dans les meetings par procuration, sur des stèles et des affiches et aujourd’hui sur le manuel scolaire, en attendant les billets de banque, les timbres, les immeubles ou les yaourts.

Au regard de la ruse légendaire du bonhomme et de son intelligence politique, le chroniqueur ne s’attendait pas à ce qu’il cède à une telle pente bouffonne. Le manuel scolaire ne devrait pas servir à cet usage narcissique finissant et on devrait épargner à nos enfants cet apprentissage de la monarchie comme culture politique. Cet homme est un fonctionnaire, il n’est ni éternel, ni Père fondateur d’un pays mythique, ni l’Emir Abd El Kader, ni un Martyr glorieux. C’est un Président de république, sa fonction est limitée dans le temps, et sa gloire sera liée à son bilan, pas à sa personne. Glisser son portrait dans les têtes des enfants est grotesque après la mort du siècle des « Pères », des cultes de la personnalité et des totalitarismes. De quel droit ? Au nom de quelle raison ? Le bonhomme aurait pu laisser la postérité décider de l’usage de ses cendres et non pas s’imposer aux esprits de nos enfants de son vivant.

Le manuel scolaire devrait rester un espace d’apprentissage, de Savoir, d’alphabets et d’images du monde ou de nos héros, pas être transformé en une notice pour Kasma nationale. Les enfants algériens n’ont pas à être encartés, ni conditionnés par un caprice.  C’est un dangereux précédent et le signe d’un lamentable basculement dans la mièvrerie et le totalitarisme. On entre dans la liste de ces pays tristes et comiques où un homme impose son portrait partout, ses prénoms aux mois des calendriers, ses biographies dans les manuels scolaires et son épopée à l’imaginaire d’un pays asservi : Chine, Corée du nord, Iran, Turkménistan. En gros, le pays étrange et étranglé de l’Egonistan. On gardera à la ministre de l’Education le bénéfice de la confiance en sa volonté d’arracher l’école au Moyen-âge, mais là il s’agit du premier signe d’une mission presque impossible : enseigner les valeurs d’une république avec les illustrations d’une monarchie.

Bouteflika devrait s’éviter et nous éviter de tels usages démodés. Cela ne sied pas.  C’est honteux et scandaleux.